S’éveiller après une courte nuit, succédant à une soirée prolongée et arrosée, augure bien des difficultés pour les heures à venir.

J’ouvre un œil, le ferme, change cent fois de position, je serre les dents car à chacun de ces mouvements, mes douleurs dorsales sont là présentes pour me rappeler ma condition, et je me rendors.

 Enfin pas tout à fait, je me trouve dans une position intermédiaire oscillant entre somnolence et sommeil. Un espace dans lequel tout ce qui se passe autour de moi ne parvient à mon cerveau qu’après un passage chaotique dans les neurones.

La nuit a été peuplée de cauchemars, je n’ai cessé de gigoter, pour me rassurer, je cherchais la femme que je pensais dormant à mes côtés. Pourtant il faut bien le constater et l’avouer rien, ni vêtements jetés au sol, ni lingerie suggestive éparpillée dans la pièce, le fameux soutien-gorge sur une chaise. Rien et pour cause, elle n’était même pas là. En réalité ce qui m’étouffe, ce n’est pas son bras sur mon torse, mais un gros matou ronronnant qui me pèse sur la cage thoracique.

Essayer dans de telles conditions de revenir dans la réalité est une action hors de mes capacités du moment, donc, je choisis de rester en léthargie sans savoir ce qui m’attend.

De temps à autre, un bruit, un craquement perce le silence, mais discret, feutré, mon état ne me permettant pas de lui prêter l’attention nécessaire à son interprétation, je laisse courir.

 Il faut dire qu’empaqueté comme je le suis, étendu sur le dos dans un canapé profond avec le chat sur la poitrine, je me fais la réflexion qu’une tortue dans cette situation n’en mènerait pas plus large que moi. 

J’aperçois juste le plafond au-dessus de ma couche, il aurait besoin d’un bon coup de peinture !

Un bruit de porte qui crisse légèrement, un pas glissé sur la plancher, peut-être est-ce mon hôtesse qui vient aux nouvelles !

Un choc, un vrai choc, juste à hauteur de mes yeux ; une adorable paire de fesses vient de passer. Bien rondes avec de très jolies fossettes, on a vraiment tort de ne pas leur accorder suffisamment d’attention, car c’est tout un spectacle. Elles ondulent au rythme d’un pas de danseuse à la Degas, le tout sous une nuisette de principe qui visiblement s’arrête à la taille.

Ce n’est pas possible « je viens de voir passer un ange », j’en suis tout éberlué ! C'est peu dire.

Le problème, c’est que les anges n’ont pas de sexe à ce qu’on m’a appris, dommage. La vie au paradis doit être un peu austère. (A cet instant je réalise que si j’ai vu passer un ange, c'est que je suis mort en attente à la porte du paradis, un peu comme aux urgences d’un CHU).

Nouveau bruit de pas glissé, j’entrouvre un œil et là nouveau « rechoc », désormais, je peux vous l’affirmer en toute bonne foi et, quoique puisse en penser les huiles du Vatican dont le Pape : les anges ont un sexe. Après l’émoi suscité en moi par la vue des satellites de la lune, cette fois j’ai droit à une vue en gros plan sur la canopée de la forêt de Brocéliande, de toute beauté, frisée et abondante, un endroit de mythes et de légendes où l’on rêve de s’égarer. 

Par la même occasion, j'ai eu un bref aperçu de ce que la nuisette avait pour mission de mettre en valeur. Là, il n’y a peut-être pas la quantité, tout est affaire de goût ; mais le site vaut le détour comme il est écrit dans les guides touristiques.

Moi qui étais prêt à demander à Saint Pierre de m’expédier en enfer où la vie des seins doit être pour le moins plus chaude, je crois désormais que je vais me contenter du paradis !

Les bouleversements s’enchainent.

Tout d’abord je ne la voyais pas comme ça ma cavalière d’hier au soir, quand je pense que je me suis endormi sans l’honorer, je sens mon statut de mâle dominant se déliter et le déshonneur s’abattre sur mes épaules ; quelle misère. Mais aussi que n’a-t-elle insisté en me faisant un bouche-à-bouche oxygénateur pour me ranimer ?

Nouveau crissement de porte, je me dis : je vais avoir droit à un bis et peut être à un baiser.

Je tends l’œil et patatras, moi qui croyais avoir droit à une danseuse étoile pleine de remords, je tombe des cintres fort désappointé. Point de danseuse, mais le danseur étoile en majesté : le David de Florence nu comme un ver, flamberge triomphant battant la mesure. 

Où suis-je tombé ? Je ne vais tout de même pas avoir droit au défilé de tout le corps de ballet. 

Elle a combien d’amants en réserve cette charmante hôtesse ? Dans ces conditions, qu’avait-elle besoin de moi, si ce n’est pour m’ajouter à son harem et dans ma tête abasourdie, j’imagine des combinaisons fantasmatiques du style « Artousamak » * où les têtes des trophées de chasse de madame seraient accrochées dans ses escaliers par ordre chronologique, avec plaques en cuivre portant noms et dates !

Après cette série d’électrochocs, je repense aux longs baisers langoureux que nous avons échangés et qui ont permis le transfert de quatre-vingts millions de bactéries et autres créatures à chaque fois que nous avons partagé nos langues. Car ils contenaient aussi, ces discrets visiteurs en plus du champagne et du cannabis, venant renforcer nos systèmes immunitaires respectifs, mais à quoi bon, si c’était pour en arriver là. 

Je ne suis plus du tout en léthargie, Je récupère mes chaussures à tâtons, les garde à la main et veille à ce que la porte ne claque pas lorsque je sors.

Un passant matinal pour un jour de l’An (il est treize heures), m’indique la direction d’une station de métro.

Ce n'est qu’en arrivant devant ma porte, au quatrième étage sans ascenseur que je découvre que je n’ai plus mes clefs. 

Comment on peut commencer sa journée en rêvant au Paradis et la poursuivre en Enfer.

PS : la concierge compatissante m’a accompagné pour m’ouvrir la porte, je l’ai remerciée, et lui ai souhaité une bonne année.

  • Merci, c’est déjà bien, mais espérons que les locataires y penseront et seront moins pingres que l’an passé, pour les promesses, ils sont très forts pour les étrennes ils ont la mémoire courte !

Étant l’un des locataires concernés. Je glisse son message dans mon porte-monnaie comme pense-bête !

 

 

* Kamasoutra en verlan