Chapitre 2

 

Il est bien tôt pour se retrouver à quatre pattes au milieu d’un champ mais j’ai promis et il convient de faire jouer la solidarité paysanne au mieux.

Robert, mon voisin au cor de chasse est aussi un paysan à la main verte et c’est le moment de ramasser les patates. Comme Robert ne fait pas les choses à moitié, il en a planté quatre rangs de 50 mètres. Les plants, Robert il ne laisse à personne le soin de les mettre en terre. Je ne suis pas loin de penser qu’il donne un prénom à chacun.  Nous voilà donc avec Gaston et La Denise à extraire ces maudites patates de la terre nourricière.

 

Robert est un vrai retraité de la poste qui est revenu au pays le devoir accompli pour s’adonner à ce qu’il aime le plus, s’occuper de la Terre.

 

« Tu vois, petit, face à la terre, il faut respecter, se courber et mettre genou à terre. La terre, elle nous nourrit, il faut l’aimer alors elle nous offre ses trésors. Tu comprends bien ça, petit ».

 

Robert, il améliore sa retraite de postier en vendant ses productions de patates, carottes, poireaux et tutti quanti sur les marchés des environs et comme il dit : « j’fais que du local, jamais à plus de 60 kms du marais ».

Robert, c’est en revenant au pays qu’il a marié La Denise comme il dit. Je le soupçonne d’être passé par une agence matrimoniale pour dégoter La Denise.

 

La Denise, c’est une jeunette dans la soixantaine qui a trouvé là un bon gars qui passe plus de temps dans ses champs qu’à la maison et qui a un bon regard de chien battu tant qu’on lui fout la paix, ce qu’a bien compris La Denise.

C’est que qu’on appelle le partage des tâches. 

 

La Denise a lâché, une fois, qu’elle avait été mariée puis veuve et que Robert avait été sa dernière chance.

 

Mais La Denise, elle n’est pas manchote, faut la voir faire des allers-retours avec ses paniers pour remplir les sacs à patates tandis que nous trois on déterre et surtout recommande Robert, en faisant bien attention de ne pas abîmer le fruit de la terre avec la houe.

 

Faut dire que les patates de Robert, c’est tout un poème.

 

« Les patates petit, ça a sauvé des générations de paysans, sans oublier la population, retiens ça ».

 

Avant de mettre les patates au grand jour et en sacs, c’est :

 

« Jo, faut qu’tu viennes nous donner un coup main, faut désherber les patates »

 

« Jo, viens donc, y’a les patates à butter »

 

« Jo, les doryphores vont tout bouffer, faut qu’on s’dépêche ! »

 

C’est une vie de patate !

 

Ah, oui ! Je m’appelle Joseph mais Jo me va bien aussi. Ce sont mes parents qui ont choisi Joseph. Moi, j’aurais choisi un autre prénom.

Joseph, c’est le prénom du gars qui était charpentier et si je voulais persifler je dirais bien que sa femme l’a embobiné à propos de la naissance du gamin qui lui, a quand même bien réussi dans la vie, à l’époque. 

 

Mais revenons à nos moutons ou plutôt à nos patates. Trois gars courbés qui, de petit matin, pour éviter les grosses chaleurs, prélèvent leur quota offert par Mère Nature.

Mère Nature, elle est plutôt bienveillante dans notre coin de marais, la terre est bonne, pas caillouteuse et protégée par l’humidité ambiante malgré ces temps de canicule. 

 

Et au bout du champ, au bout de son rang, il y a le dernier larron, Gaston, celui qui a un gros nez comme dans la chanson de Jacques Brel.

Gaston, il a été amené par Robert mais ce n’est pas un ancien de la poste. Avec Robert, ils se sont rencontrés sur les marchés.

Gaston, il vendait des chaussures avec sa femme. Il avait un chouette banc sur les marchés du pays. Il n’était pas exigeant mais cette vie lui convenait même si « faire les marchés » ce n’est pas toujours drôle avec les intempéries mais on vit dehors et on est libre.

 

Et puis avec le temps, va tout s’en va, les gens désertent les marchés au profit des hypers et de la pieuvre Internet alors Gaston a plongé dans la dépression et a pris une maîtresse exigeante, la boisson. Madame Gaston a continué un moment, seule sur les marchés de France et ne pouvant plus lutter face à cette maudite maîtresse et à ce coquin de sort, elle est partie.

 

Là-dessus, Robert au bon cœur a dit à son ami Gaston : « laisse tout tomber, bazarde tout ce qu’t’as, les bouteilles, la boisson et le reste et viens habiter du côté de chez nous.

C’est comme ça que Gaston s’est trouvé une petite maison et qu’il donne un coup de main à son ami Robert pour compléter son bout de retraite de commerçant non sédentaire.

 

Ces deux gars, je suis sûr qu’ils s’aiment, ce ne sont pas des « causeux » mais ils savent d’où ils viennent et ils plient l’échine face à la terre.

 

Gaston, maintenant il dit partout, chaque fois qu’il le peut : « Robert, il m’a sauvé la vie ».

 

  • Jo !
  • Oui Robert.
  • Quand on aura fini, tu pars avec un sac de 25 kg de patates, c’est ton salaire.
  • Mais Robert 25 kg, c’est trop pour moi tout seul, elles vont germer et je vais en perdre.
  • Ben, t’auras qu’à en donner à la petite qu’est venue te voir l’aut’jour de brouillard.
  • Comment tu sais ça, toi qui es toujours fourré dans tes champs ?
  • C’est pas moi, c’est La Denise qui m’la dit.
  • Ah ! parce que La Denise maintenant, elle fait le guet derrière ses carreaux.
  • Non, mais quand y’a du brouillard, elle aime bien regarder quand y’a rien à voir. C’est mieux qu’la télé.
  • C’est pas faux, Robert, mais ce n’est pas une petite comme tu dis, c’est une femme. Les petites, c’est plus de mon âge.
  • P’t-être ben, mais avec le brouillard, on peut confondre.

 

Robert, sans le savoir, venait de me donner un bon prétexte pour contacter Suzy : les patates d’abord et un oubli impardonnable, je ne lui avais pas dit quel était mon prénom.

 

Subitement la patate venait de se faire plus légère ou la terre moins basse, au choix.

 

Mais quand même, je vais en toucher deux mots à La Denise de la fenêtre et à l’abri des regards et des oreilles des deux furieux de la houe.

 

A suivre