Après avoir bu un grand bol de thé chaud brûlant et englouti quelques tartines, je me suis endormie d’un sommeil bien gagné, que j’espérais réparateur.

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Me voilà avec cette gamine sur les bras, je me demande ce que je vais en faire. La question serait peut-être que va-t-elle faire de moi ? Elle semble beaucoup plus mature et à l’aise que la plupart du commun des mortels. En fait, c'est presque une femme bien sortie de l’adolescence

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Le problème pour moi avec le sommeil, c'est que généralement, il m’entraîne dans des méandres étranges auxquels je ne suis pas préparée. C’est quelque part excitant d’être emportée comme ça comme un fétu dans des aventures ubuesques. Qui plus est sans qu’il y ait eu besoin d’effectuer le moindre préparatif, ni d’avoir dû peser le pour et le contre, ni tenté d’imaginer les risques que l’on peut y encourir. 

Je savais désormais par expérience qu’il y avait un rapport direct entre des éléments entendus dans une conversation ou dans des informations, pour qu'immédiatement mon cerveau élabore des projets et des stratégies qui échapperaient rapidement à mon contrôle.

Je me savais être porteuse de l’élément déclencheur, mais sans savoir à l’avance quand cela se produirait, ni ce qu’il en adviendrait et les conséquences qui en découleraient…

Nous rêvons tous de façon naturelle, moi, je constatais que cela allait bien au-delà j'étais emportée dans un tourbillon dans lequel je vivais réellement ces rêves. Il y avait là de quoi rester pensive.

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Hier au soir, c'est au moment où elle m’a reconnue que j’ai fait le lien avec ma dernière promotion d’étudiants et en particulier avec cette fille brillante et discrète. Un vrai plaisir de pouvoir partager à nouveau avec quelqu’un de passionné tous ces éléments qui composaient ma vie professionnelle. Personnellement, j'avais choisi cette voie pour faire revivre des langues disparues ou en partie disparues afin de les remettre en lumière, préservant ainsi leurs richesses et leurs singularités. Par là même, j’avais le sentiment de redonner de la vie et des formes à mon histoire familiale et à celle de personnes et de peuples qui s’étaient effacés au travers de pogromes et de guerres.

De son côté, elle m’a ébahie en m’expliquant avoir choisi cette discipline un peu au hasard après avoir lu une phrase à l’entrée de son cours de yoga. Même à notre époque, il est toujours aussi difficile pour une jeune femme d’échapper à la pression de l’autorité parentale. Choisir le sanskrit, c'était pour elle faire un pied-de-nez aux siens et à leur conformisme en les privant de toute possibilité d’ingérences et pouvoir de coercition dans sa vie. En plongeant dans cet univers auquel ils ne comprenaient rien, elle leur échappait complétement, devenant une extra-terrestre.

On tenait à ce qu’elle s’engage dans une voie classique correspondant aux canons familiaux ce n’est qu’après avoir rejeté cette démarche qu’elle avait retrouvé de l’air et du plaisir, en un mot la liberté.

Elle avait tout pour me plaire

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Je n’ai aucun souvenir de ma visite à l’université, simplement ce matin, j'étais sale de la tête aux pieds, le corps rompu comme si j’avais couru un marathon ou qu'on m'ait battue.

Le fait est que dans le séjour se trouvait réuni tout ce qu’elle n’avait pas eu la possibilité de récupérer lors de la fermeture de la fac, celle-ci ayant été brutale et inattendue.

Lorsqu’elle était venue me réveiller, elle avait les larmes aux yeux et ce n’est qu’à cet instant qu’elle avait fait le rapprochement entre ce retour et mon état. Selon mon habitude, j'étais trempée et épuisée.

La surprise ne s’arrêtait pas là, j'avais aussi récupéré des vivres qui devaient nous permettre de tenir un siège pendant un certain temps.

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Dans un sens, je suis tout heureuse et ragaillardie par ces bouleversements, d’un autre côté, je commence à me demander à quel milieu elle appartient. Ce n’est pas possible, il faut qu’il y ait derrière elle toute une organisation politique ou mafieuse pour réussir de telles opérations si rapidement. Dans le même temps, je me sens honteuse de lui être aussi peu reconnaissante et de douter de sa probité. Cependant il faut comprendre que ce qu’elle réalise dépasse l’entendement.

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Je me suis réveillée tardivement, tout était noir ou dans le noir, la pièce, la rue, pas de lumière et pas un bruit. C’est une expérience déroutante que de devoir se déplacer dans l’obscurité. J’avais désormais une idée assez précise de la configuration des lieux et pensais pouvoir circuler à l’aveugle sans difficulté, eh bien non ! Pas assez éveillée je n’ai pas réalisé que je partais à l’inverse de ce que j’aurais dû faire. La table basse du salon que je croyais dans mon dos était en réalité devant moi, et elle s’est chargée de me le faire savoir. La douleur a été fulgurante j’ai poussé un cri, dans ma chute je suis tombée au travers de ladite table qui sous mon poids a éclaté dans une déflagration détonante.

Elle m’a ramassée en larmes, incapable de marcher, et hébétée de mon aventure. Je suis restée quelques instants accrochée à elle, essayant de retrouver mon calme. Je sentais sa main dans mon dos qui en glissant doucement tentait de m’apporter la sérénité. J’avais mal c’est vrai mais n’ayant rien de cassé hormis la table, je lui ai expliqué que je pouvais me déplacer, le voyage jusqu’à son bureau m’a demandé beaucoup d’efforts et d’abnégation pour ne pas crier ou me plaindre. Nous étions toutes deux dans les problèmes moi avec ma jambe dont le genou présentait un bel hématome et elle qui avait voulu brancher son ordinateur alors qu’il n’y avait pas d'électricité.

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  Il va falloir que je me mette en quête de bougies lors de mes prochaines sorties ou de tout autre moyen de s’éclairer. C’est infernal à peine une question cruciale résolue que nous étions confrontées à un autre difficulté, et là nous n’y pouvions rien. Il y avait bien les églises mais les cierges me paraissaient trop fins pour pouvoir donner suffisamment de lumière et servir d’éclairage. Pas de problème je savais que je trouverais bien une solution.

Mon genou a continué d’enfler et de me faire souffrir, me réduisant à un immobilisme pesant. Installée sur le canapé comme une « Pachate», j’ai dévoré tous les documents qu’elle m’apportait, un vrai retour à la fac avec une préceptrice rien que pour moi. C’est fou les progrès que j’ai pu faire. Elle me laissait le temps de lire, après quoi nous commentions l'article ou le chapitre à tour de rôle. Cette femme était une véritable encyclopédie à elle toute seule. 

La première semaine je n’ai pas bougé ; dès la seconde j’ai commencé à béquiller, la troisième j’ai abandonné toute assistance et me suis déplacée en boitillant… ce n’est qu’après six semaines que j’ai pu entreprendre de monter et descendre les escaliers.

L’immobilisme incite à l’introspection, je ne dormais plus avec elle restant terrée dans mon igloo annexe et à mon grand étonnement j’ai vécu cela comme un manque, sa présence, sa chaleur, son odeur. J'ai dû entamer une régression, il me fallait ma mère, en tout cas une forte présence affective.

 

Je suis devant la porte de l’appartement familial, à mon étonnement elle est entrebâillée, et j’hésite. Puis l’envie est la plus forte et je pénètre dans l’entrée et dès cet instant mon univers s’effondre.

Vide, la pièce est vide, et au fur et à mesure de mon déplacement je ne peux que constater que tout ou presque a disparu, emporté, pillé, dévasté. Il ne reste que des traces poussiéreuses sur les murs indiquant où se trouvaient meubles, tableaux, glaces. Le sol est parsemé de tout ce qui y a été jeté parce qu'il n'intéressait pas les pillards finalement ou les déménageurs. Je m’assois sur une chaise bancale seule survivante de cet exode. J’ai envie de pleurer, c’est comme si on venait de m’arracher le cœur, c’est ma vie que l’on a amputée dans ce pillage. Celle des années heureuses de ma jeunesse et celles plus contrastées de mon adolescence.

Un soir en rentrant de son travail mon père avait lancé en voyant ma mère ; j’y suis passé Oui, c’est très joli tu veux visiter .

Elle n’avait pas levé les yeux de son ouvrage haussant juste un peu les épaules.

Devant leur silence nous les avions pressés de questions, ils étaient restés silencieux, nous pensions que c’était pour ménager l’effet de surprise.

Puis notre mère avait fini par dire - votre père nous a trouvé un nouveau logement.

Nous nous sommes précipités sur lui en criant, nous voulions tout savoir. Il est vrai qu’ici c’était tout petit et que nous dormions sur des lits à étage.

Les pas sont difficiles à faire, il y a mon genou qui fait de la résistance, mais aussi le cœur qui bat à se rompre. Dans la pièce qui leur servait de bureau et qui nous était interdite il y a une multitude de papiers et de classeurs qui perdent leurs feuilles qui sont là éparpillées.

Je me suis assise par terre et c’est à cet instant qu’a commencé le cauchemar !