Je vous l'avais bien dit, nous ne sommes pas immortels. Aujourd'hui, ce sont les obsèques de Tonton Théo. Le prêtre parle de Théodore, un don de Dieu. Très connu et aimé, les enfants, les petits-enfants, les amis et les collègues se sont succédé pour faire son éloge. Quand je vois ce qu'on peut dire de nous quand on est mort j'aurais envie de mourir tous les jours. Tous ont souligné sa générosité, son dévouement, son sens de l'accueil, son dynamisme, sa spontanéité, ses compétences professionnelles, sa joie de vivre, son rire....

Je dirais que tonton Théo était un mélange de Saint Martin, de Gaston la Gaffe et de Lucky Luke.

 

Il faisait mieux que Saint Martin, il ne partageait pas son manteau en deux pour le donner à un mendiant mais donnait son manteau en entier quitte à attraper une pneumonie en rentrant chez lui. Tu comprends, moi, je savais que j'allais dormir au chaud disait-il pour s'excuser auprès de son épouse, lui, il va dormir dehors.

 

Il était largement aussi fort que Gaston La Gaffe. Je me souviens de cette rentrée en janvier où il salue chaleureusement sa collègue professeur de français, rigoureuse et exigeante en lui disant : Mes meilleurs vœux chère Madame TAPEDUR.

Celle-ci s'est alors brusquement reculée en se redressant, elle l'a regardé en fronçant les sourcils : merci cher collègue de m'apprendre de quel surnom mes chers élèves m'ont affublée.

Et ce nouveau collègue qu'il accueille avec un large sourire en lui disant : bonjour et bienvenue dans notre collège Monsieur BROCHIER !

  • Non, Moi, c'est ROCHIER
  • AH ! Oui, je savais que cela se terminait par CHIER.

Celui-ci ne devait pas avoir cette information car il lui en a voulu plusieurs mois.

Heureusement, parfois, il savait rattraper ses gaffes, comme le jour à une réunion parents-professeurs il salue des parents : bonjour Monsieur et Madame COURTEPATTE.

  • Non, nous c'est Monsieur et Madame De BRANCHEVILLE
  • Oui, vous êtes les parents de ce petit Pierre, c'est un élève très intelligent, très appliqué, consciencieux, un peu réservé, je fais très attention à lui car il a quelques difficultés à s'intégrer avec ses camarades beaucoup moins doués et instables.

 

Comme LUCKY LUKE, il était plus rapide que son ombre. Par chance ou par malheur, c'est selon les moments, il avait épousé ma tante, une femme toujours d'égale humeur, très lente, qui ne faisait jamais un geste plus rapide que l'autre. Ce samedi, ils devaient aller faire des courses. Lui était dans la voiture, il l'attendait, piaffant comme d'habitude. Il avait mâché et recraché successivement deux chewing-gums. En voiture, elle avait peur avec lui, aussi elle avait pris l'habitude de monter toujours derrière. Enfin, il peut démarrer, au supermarché il commence par vouloir prendre de l'essence. Il descend de sa voiture et réalise qu'il a gardé ses chaussons, et le feutre de ses charentaises s'imbibe immédiatement du fioul répandu sur le sol devant la pompe à essence. Puis il lui faut aller à la caisse pour régler, il tâte toutes ses poches, et dépité retourne vers sa femme qui, sans attendre, lui tend son portefeuille : j'avais vu que tu l'avais oublié.

Le chariot de courses est plein, il va devant, range les sacs dans le coffre, va raccrocher le chariot sous l'abri à côté, récupère le jeton, et revient à sa voiture qu'il démarre pour rentrer chez lui. Au bout de quelques kilomètres, il demande à sa femme : qu'est-ce que l'on mange ce soir ? Elle ne répond pas. Il réalise alors qu'il est tout seul dans la voiture. Aussitôt son GPS intérieur lui dit : dès que possible faites demi-tour, à 300 mètres, au rond-point faites demi-tour. A l'entrée du parking, sa femme l'attend. Calmement elle remarque : je pensais bien que tu te rendrais compte que je n'avais pas eu le temps de monter dans la voiture.

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- Maintenant, la vie de tante va changer, il faisait tout à la maison.

-  Oui, mais il lui laisse tellement de souvenirs qu'elle ne va pas s'ennuyer.