Un temps de chien

 

Il pleut.

Il pleut depuis des jours et des jours.

Il pleut depuis des semaines et même depuis plusieurs mois. 

Il pleut comme vache qui pisse.

Et voilà c'est la guerre chez les animaux. 

Il y a les heureux et les furieux. 

 

La grenouille est élue chef des heureux, et l'araignée Tipsy est à la tête de ceux qui n'aiment pas l'eau parce que quand « voilà la pluie Tipsy tombe par terre. » 

 

La basse cour est devenue le principal lieu de bataille.Tous à l'eau claironnent les canards en traitant les poules de poules mouillées. Mais personne ne les a suivis. Les lapins se sont terrés dans leur terrier, les hérissons se sont mis en boule, les oiseaux se sont tus, pelotonnés dans leur nid douillet. 

De l'autre côté, dans la bergerie, les moutons ronchonnent sans cesse, ils ont toutes les peines du monde à protéger leur toison laineuse. Les chèvres qui sautent comme des cabris, s'ennuient à mourir. Où grimper sans se cogner aux murs ? Et le chat râle : 

« ça m'agace, ça m'agace, ce n'est pas un temps pour courir après les souris. »

 

La famille cochon a été mise de côté, ils n'aiment pas l'eau mais se vautrent dans la bouillasse, éclaboussent aux alentours. Ils sont tout sales et sentent mauvais.

 

La grenouille et le crapaud coassent du matin au soir au bord de la rivière, et les poissons sautent de joie, heureux comme des poissons dans l'eau. Les escargots sortent de leur coquille et rampent tranquillement vers les feuilles de nénuphars. Les petites taupes creusent facilement leurs galeries dans la terre humide et la pelouse se couvre de tortillons de vers de terre.   

 

A la ferme, c'est Pierrette qui s'occupe du poulailler. Elle aime bien ses poules qui chaque jour accourent vers elle en caquetant, picorant entre ses jambes. Pierrette a toujours un mot gentil.

 

Alors mes poulettes, vous m'avez donné de gros œufs aujourd'hui, regardez les belles feuilles de salade que je vous apporte, vous allez vous régaler. 

 

Mais depuis plusieurs semaines Pierrette n'a plus de mots gentils, elle chante sans cesse « il pleut il mouille c'est la fête à la grenouille, il pleut il mouille, c'est la fête à la grenouille, il pleut il mouille..... . ». Cela met les poules en colère : 

 

Ce n'est pas notre fête à nous, on en a marre de cette pluie.

 

L'araignée qui, ici et là, continue à tisser sa toile s'inquiète : ils vont tous tomber malades, ils vont s'enrhumer, éternuer, tousser, se moucher ou encore se déprimer. 

 

La pluie ça suffit, il faut chasser la pluie. Faire revenir le soleil. Le ciel doit nous entendre. Ces batraciens m'insupportent, ils chantant faux et font pleuvoir. Et puis, je ne peux plus supporter ce coassement incessant. Ce n'est pas toi, vilain crapaud qui va faire la pluie et le beau temps, ni toi grenouille, même si tu te crois aussi grosse qu'un bœuf.  

 

Elle décide de réunir tous les animaux qui n'aiment pas l'eau. Elle demande au coq de sonner le rassemblement. C'est très difficile : on se repose disent les oiseaux, laisse moi tranquille dit le chat, les poules ne quittent plus leur perchoir. 

 

 

 

 

Mon joli coq toi seul peux donner le signal de rassemblement. 

 

Le coq est fier qu'on le sollicite. Il monte sur ses ergots et lance ses cocoricos triomphants. Il y avait si longtemps qu'il n'avait pas chanté, qu'il ne peut plus s'arrêter. Les poules sont les premières à réagir et caquettent comme si elles avaient pondue trois œufs à la suite. Les pintades cacabent, les dindons glougloutent, les pigeons roucoulent. Les oiseaux accourent et ce n'est que piaillement, gazouillis, l'hirondelle trisse, la chouette hulule. De leur côté, les moutons et les chèvres étonnées bêlent encore plus fort. Tous les animaux sortent de leur torpeur, s'agitent, tapent du pied en cadence ou volettent avec grâce. 

Près de la rivière, la grenouille et le crapaud s'étonnent de cette exubérance. Il craignent l'arrivée du printemps et du soleil qui va tout assécher. Ils redoublent d'efforts et chantent encore plus fort tant et si bien qu'au ciel les nuages se déchainent. Un orage énorme, poussé par un vent d'ouest, apporte des trombes d'eau et arrachent le vieux peuplier, qui s'affale avec fracas. Le tonnerre gronde, les éclaires zigzaguent dans le ciel. 

 

Juste avant l'orage des grues cendrées se sont arrêtées dans la cour de ferme, demandant hospitalité. Coq et poules, curieuses les accueillent sous leur toit et les invitent à picorer graines, feuilles de salade ou trognons de choux. Les grues parlent de leur voyage. Elles ont fui l'hiver et là elles remontent vers le nord emportant avec elles le vent du sud. C'est alors que la reine des grues dit :

« Nous nous sommes abritées, reposées, restaurées, notre voyage est bientôt terminé, nous n'avons plus vraiment besoin du vent du sud, pour remercier nos hôtes, libérons-le. » 

 

Alors, toutes ensemble, les grues, ouvrent grand leur bec, se mettent à claqueter, elles gonflent leurs plumes, ouvrent leurs ailes et un gros nuage blanc, bien rond monte dans le ciel qui repousse tous les lourds nuages menaçants. 

 

Ouf ! voilà le soleil.