La saison pleure les larmes de son corps, et c’est peu de le dire, ce furent d’abord les caniveaux, puis les fossés, enfin les rivières et les fleuves qui semblèrent frappés de potomanie ! Cependant, là, ils n’en pouvaient plus.

Les rives, puis les routes et les champs, disparurent. On ne se repérait plus qu’aux rangées d’arbres et de haies qui leur rendaient les honneurs alignés sur leur passage. Dans certains villages, voire certaines villes, disparurent en premier lieu les maisons isolées, puis subrepticement l’eau gagna les rues, les squares, les centre-ville. On vit ainsi des combattants de la grande guerre figés sur leur socle au milieu de l’onde se donner des faux airs de statues de la liberté. 

Postée sur les ponts, une foule abasourdie regardait passer une ribambelle étrange composée de tout ce que ce flot avait arraché sur son passage et qui flottait au fil du courant : des voitures, des réservoirs d’eau, des portes, des fenêtres. Les arbres arrachés aux rives impressionnaient, semblant faire la planche sur la plage tant l’eau était boueuse. Les campings pieds dans l’eau que la crue avait noyés déversèrent leur butin du pillage : ce furent alors les caravanes et les bungalows qui se prirent pour des caravelles ou des gondoles.

Leur voyage s’arrêtait là, l’eau étant trop haute ces voyageuses venaient s’écraser contre les arches des ponts, résistaient un instant avant de se replier dans des craquements secs, et de sombrer corps et bien, laissant à la surface un plumetis de débris divers que l’on retrouverait dans les champs après la débâcle.

On ne parlait que de ça lors de nos repas à la brasserie, chacun échangeait ses informations sur les cotes d’alerte atteintes et celles à venir.

C’est qu’il y avait dans tout cela des aspects troublants de fin du monde. Tout un chacun, en appréciant les économies de chauffage, les pots ou les repas pris en terrasse, se sentait pris par l’angoisse et la culpabilité.

Je m’étais lancé ne sachant pas trop comment mes propos allaient être entendus. À ma grande surprise, mes idées reçurent un accueil attentif et salué par des commentaires propres à faire avancer la réflexion.

La pollution est un problème majeur qu’aucun pays n’est à même de régler seul. Tchernobyl, vous vous souvenez ? le nuage radioactif qui s’arrête à la frontière, ce n'était pas triste !

Une autre surenchérissait.

Un hiver où nous étions en vacances dans la Gironde, nous nous sommes rendus en balade sur les plages de Soulac-sur-Mer et de Montalivet. Vous n’imaginez pas le spectacle, vous vous seriez crus dans des décharges. Pas étonnant après cela qu’il y ait des continents de plastique qui flottent au gré des courants, couvrant une surface grande comme trois fois la France.

Ce jour-là, je n’ai pas vu la journée passer.

Le patron me tanne, il voudrait que le dossier qu’il m’a confié soit déjà terminé et que les contrats soient signés. 

Vu les délais de paiement, m’explique-t-il nous ne disposerons de ces sommes en trésorerie qu’en fin d’année, voire l’an prochain. J’étais fière de lui, de le sentir aussi impliqué dans la marche de l’entreprise et attentif à l’avenir de ses collaborateurs. 

Mes interlocuteurs sont coriaces, dans le domaine de la pétrochimie, ils savent bien que le marché des produits pétroliers va à terme se rétrécir comme peau de chagrin, voire se tarir. Peut-être attendent-ils que je craque et baisse nos tarifs, élargissant leurs marges, ce qui est pris est pris.

 

C’est en bonne voie, mais pas question de lui dévoiler les résultats avant la signature, un échec serait après cela plus difficile à accepter.

Son téléphone a sonné, il s’est excusé et m’a laissé seul dans son bureau tandis qu’il arpente le couloir, le téléphone à l’oreille. Une feuille qui traîne sous le bureau a attiré mon regard, je la ramasse et là surprise, c'est la copie de l’une de mes fiches de résumé de contact avec mes homologues. Un signal de danger s’allume dans ma tête, on me surveille en douce, mais pourquoi ?

J’ai laissé la feuille retrouver sa place sous le bureau. Désormais, je multiplierai les séquences de précaution.

Avant que je le quitte, il m’a tendu un magnifique carton d’invitation pour une soirée dans un hôtel du groupe Four Seasons « le George Cinq ». 

- Un effort vestimentaire et vous nous présenterez très bien. Si vous êtes optimiste, je le suis aussi, alors continuez.

J’étais persuadé que ce cher homme avait des tas d’idées derrière la tête. Qui vivra verra !

Quand votre répondeur clignote lorsque vous rentrez chez vous, il y a le choix entre deux types de comportement : 

C’est encore pour le bureau, ça peut attendre demain ! 

Ou bien c’est peut-être une surprise et vous décrochez pour savoir qui et pourquoi on vient vous déranger.

C’était l’amie chez qui j’avais passé la soirée de Noël. Je me suis fait vanner.

  • J’étais certaine de mon coup, je m’étais dit, elle va lui sauter dessus et il ne verra rien venir, c’est très bien, elle est très sympathique et pas compliquée pour deux sous. Je suis contente pour vous deux.

Pas le temps de placer deux mots, elle comble tout l’espace, j’ai quand même fini par obtenir : Nom, Prénom, Adresse, téléphone et merci… j’ai raccroché. Une vraie fiche de police, reste à savoir quoi en faire.

Mes idées de refonte de la gestion de la planète ont continué à perturber ma nuit.

Mais le réveil, sans être en fanfare m’a trouvé d’une humeur sereine.

Je ne sais ce qui m’est arrivé, j’ai dû me cogner la main, mais pas un petit choc, ma main est toute brunâtre sur le côté et semble enflée.

Au passage à la machine à café où je ne fais pas l’unanimité, j’ai senti une gêne dans le silence, tout le monde regardait ma main. En moi-même je pensais qu’ils devaient croire que je m’étais battu. En effet, ce n’était pas beau, en plus une sorte de verrue était apparue entre le pouce et l’index. Je ne voyais pas bien en quoi cette excroissance pouvait les concerner. 

Si elle venait à devenir douloureuse, je devrais m’en remettre à mon toubib. Pas question d’anticiper, il avait déjà tendance à me trouver un rien hypocondriaque !

La soirée au Georges-cinq, je ne vous dis pas. Impossible d’entrer sans montrer patte blanche, sinon être une jeune femme sexy. Un monde fou, c’est incroyable lorsque tout est gratuit comme le monde se presse. Je ne comprenais pas bien l’objet de ma présence ici alors que je ne connaissais personne. Mais il y avait du beau monde, Chefs d’entreprises cotées en bourse, gens du monde du spectacle, les médias n’étaient pas en reste, que ce soient les journalistes de presse ou de télévision. Ceux qui attiraient le plus restant pourtant les sportifs de haut niveau, on se pressait pour un selfie ou un autographe. Les gens de cinéma semblant moins se prêter à ce type d’exercice.

Les plateaux de champagne et de petits fours se succédaient à vitesse constante et l’ambiance était désormais décomplexée. Beaucoup ne rentreraient pas en solitaires ce soir.

Je tirais ma main noircie le plus loin possible dans ma manche, mais c’était compliqué. Elle ne me faisait pas souffrir alors pas de souci, il fallait laisser faire le temps.

Je m’étais fixé une heure du matin comme ultime limite, aussi à ce moment, je décidai de tirer ma révérence.

Passage par une table derrière laquelle officiait une charmante hôtesse, elle me tendit un sac blanc portant le logo de la marque Apple avec tous nos compliments monsieur ceci est le dernier modèle de la gamme.

Elle avait en dépit de son sourire un petit air miséreux, peu de chance qu’à elle, on offre ce genre de cadeau, ni le flacon de parfum que l’on offrait aux femmes. Comme les serveurs, elle faisait partie du décorum. Rien que la décoration florale des salons devait représenter de nombreux mois de son salaire, sans parler des buffets…

Mais je n’en avais pas terminé, au vestiaire où officiaient d’autres vestales, la jeune femme me dit, j’ai quelque chose pour vous. Cette fois, ce fut un sac de la taille d’un petit sac de voyage aux armes de l’hôtel qui me fut tendu.

Avec tous nos compliments.

Compliment de quoi, d’avoir bu et mangé à en être un peu patraque !

De nouveau nuit agitée, je me suis senti brassé par le vent toute la nuit au point de devoir me lever prendre un cachet.

Au réveil, j’ai regardé mes cadeaux, en effet très beau téléphone, mais le mien n’est pas si mal, j’aurai dû l’offrir à l’hôtesse, mais son contrat devait lui interdire d’accepter. Le sac semblait moins affriolant, juste une petite boîte sous de nombreux emballages. À l’intérieur une petite clef et un papier (527 A) gare du Nord.