Mars 2020 : pandémie, atermoiements divers, confinement. Crac ! Le couperet est tombé. Gaspard comme les copains, doit prendre une décision. Paris ? Carotter en loucedé quelques escapades pour se sentir vivre dans la transgression ? Lui qui transgresse si peu, dans son open space, devant son écran, les doigts sur le clavier, la tête dans les nuages, autant que faire se peut. Gaspard s’interroge, la ville qui le maintenait les pieds sur le bitume lui semble tout à coup l’envelopper de miasmes putrides.

Pourtant, il avait jusque-là accueilli les nouvelles avec une relative indifférence. Personne de son proche entourage ne souffrait de cette affection, il toussotait bien de temps en temps mais pas de quoi s’alarmer. Pourquoi quitterait-il un nid, somme toute assez douillet, pour aller se perdre dans la pampa ?

Car maintenant, il y songeait. À quitter la grande ville et prendre la route de l’exode. Au fil des quelques jours qui suivirent l’annonce du grand chambardement, l’idée se concrétisait. Quelques jours dans le buron de grand-papa en compagnie de son ordinateur – télétravail oblige -, après tout, pas mort d’homme, en route vers le Cantal.

Et Gaspard s’installa. Pas d’électricité, de l’eau au puits et…pas de réseau, encore moins de wifi ! Mais des moutons qui le réveillèrent de leurs bêlements bucoliques dès le 1er matin. Sa bonne humeur le surprit, depuis qu’il était à Paris, c’est-à-dire presque 15 ans (ce chiffre lui donna le vertige) il s’était habitué à cohabiter avec une humeur matinale qui allait du quasiment merdique au pas franchement rose. Et là…frais comme un gardon ! Prêt à descendre chez son amie d’enfance Garance pour lui demander l’asile informatique. Qu’ils ne se soient pas revus depuis leurs années d’études à Clermont n’altéra pas la joie de se revoir. Même jour, même heure, mêmes pommes, mais pas de place des grands hommes, seulement celle de l’Hôtel de ville de Murat.

Quand Gaspard dut remonter jusqu’au Buron lesté d’une truffade, il se jura de ne plus jamais pester contre la panne d’ascenseur qui l’obligeait parfois à gravir à pied les deux étages qui le séparaient de son logement parisien.

Comme il le raconta plus tard à son collègue Jean-Phi.

  • Les 1ers jours, faut pas s’mentir, j’en ai chié. Le moyen âge, j’étais revenu au moyen âge et puis, petit à petit j’ai pris mes marques.

Les jours allongeaient, se lever et se coucher avec le soleil, le rythme lui devint naturel. Débarrassé des odeurs de la ville, il lui semblait qu’il découvrait les lieux avec son nez, il se baguenaudait, la truffe en alerte, guettant les parfums du printemps qui n’allait pas tarder.

Gaspard se surprenait, Gaspard poétisait, Gaspard se découvrait une aptitude pour la vie champêtre.

L’étudiant à tête de premier de la classe et tenue assortie qu’avait connu Garance ne ressemblait plus à ce presque quarantenaire à la tignasse hirsute et mal rasé fringué d’un pantalon et d’un pull complètement démodés. Des vêtements qu’il avait retrouvés dans l’armoire du buron, seul meuble du logis, et qui avaient peut-être appartenus à son père. Confortables, pas salissants. Parfaits. Un vrai auvergnat lui avait assuré Garance.

Gaspard se sentait ou se croyait revenu à l’état de nature, il se sentait ou se croyait débarrassé de toute contingence matérielle. Pas de portable, pas de télé (euh…un peu quand même… pour les matchs de foot…), aucun confort, pas de douche (oui je sais, je trichote. Une fois par semaine, chez Garance), pas de sushis (mais de l’aligot, mon coco ! Ça compte pas, c’est local !) et de musique que les clarines des vaches ! Et bientôt peut-être, plus de taf car je n’ai pas pu rendre à temps mon rapport à mon boss, la faute à internet et à moi, plein le dos de ce boulot à la con. Si c’est pas une révolution copernicienne tout ça !