Janvier est le mois consacré aux invitations, du partage de la galette des rois, un comble pour des républicains.

Les autres années, je me tenais prudemment à l’écart de ces festivités, au motif qu’elles me faisaient prendre du poids, dans ces soirées, l’association champagne-frangipane présente une grande prise de risque en ce domaine.

Dans le même temps, reconnaissons que ce sont des rencontres agréables, plus détendues que des réveillons et moins guindées. Ce sont des temps amicaux, des lieux et des temps où l’on peut échanger sur tous les sujets dans un climat chaleureux où l’on se fait croire que tout est permis.

 

Les participants ne s’en privent pas, tout y passe, et cela, en dépit des mises en garde des maitresses de maison. À ces occasions, les sujets considérés comme tabous et propres à embraser les débats sont écartés d’office : ainsi, la politique, la religion, les questions de politique internationale, les nouveaux déterminants sexuels et que sais-je encore… 

 

Au début, celui qui entrait dans ces zones interdites se voyait condamné à une amende ou un gage, avec le temps c’est donc devenu un jeu.

 

Les relations hommes-femmes ne faisant pas partie des thèmes mis à l’index, elles étaient une porte toute trouvée pour transgresser les règles. Quand on aborde ces questions, la température monte très vite, non au sens sexuel, mais en ce qu’elles ouvrent le champ à des propos doux-amers, ces reproches et rancœurs que femmes et hommes peuvent avoir à se faire sur ces questions. La vie privée pouvant très vite arriver dans le débat avec des affrontements de couples cherchant à s’attirer les faveurs des personnes présentes. L’objectif étant de se voir donner raison sur des questions les opposant, en déballant leurs histoires personnelles. 

 

Situations dangereuses, et embarrassantes pour lesquelles il faut d’urgence que quelqu’un de raisonnable joue au pompier de service en lançant un autre sujet de conversation. Ou bien, que la maitresse de maison prenne les choses en main et détourne l’attention en resservant à boire et passe des parts de galette pour tenter d’étouffer l’incendie.

 

La politique y a aussi une place de choix. Il est vrai qu’avec les politiciens, il y a toujours une petite phrase à commenter, un avis à donner sur la situation scabreuse de certains d’entre eux, leurs frasques subodorées, les malversations réelles ou fausses qu’on leur prête.

 

Si par chance l’un d’entre eux venait à être accusé de violences envers sa conjointe, les débats bifurquaient sur « Me TOO » le rôle et la place faite aux femmes, les rémunérations, les féminicides…

 

On aurait pu croire qu’une entente se ferait jour avec ces thèmes fédérateurs, loin de là, souvent les antagonismes reprenaient de plus belle. Il fallait attendre que la consommation d’alcool ait mis tout le monde dans un état de douce euphorie pour atteindre une certaine béatitude.

 

Il est sidérant de constater, dans une époque où des questions mettant en cause notre survie collective auraient dû dominer les débats, que nous en soyons restés à nos préoccupations habituelles et très personnelles.

 

Pas branché par ce que j’entendais, je me laissais aller à un alcoolisme de courtoisie, mais ma tête se refusant à cette capitulation, je laissais mon cerveau suivre ses propres cheminements.

 

Nous vivons une époque au cours de laquelle nous avons la chance de voir se mettre en place beaucoup de découvertes et d’avancées technologiques qui révolutionnent nos vies.  Mais aussi d’excès et d’aberrations qu’avait annoncés et dénoncés la science-fiction.

 

Si une émission de découverte du monde vous présente une plage paradisiaque dans un coin perdu, dites-vous que c’est sa fin annoncée car dans quelques années, elle sera un must, enfin une pompe à fric pour certains, mais perdue pour la nature. On a même réussi à polluer l’espace avec des quantités inimaginables de débris de la conquête spatiale, comme les morceaux de fusées et de satellites. Ils devaient se désintégrer dans l’atmosphère, en réalité un grand nombre d’entre eux restent en suspens, menaçant capsules et satellites. On a même commencé à transformer la lune et les planètes en décharges technologiques, le comble de notre stupidité.

 

Tout projet visant à améliorer l’état de la planète se heurte à l’éternel discours sur la question des moyens, c’en serait risible si ce n’était si triste. Car parallèlement, le budget de l’alcoolisme et du trafic de drogue explose au point que les narcotrafiquants n’arrivent même plus à blanchir leurs gains tant ils sont gigantesques.

 

Les budgets militaires cumulés de l’ensemble des États représentent un pactole qui serait à même de régler instantanément une grande partie des difficultés rencontrées sur la planète, sans parler du bilan carbone des conflits. 

 

Arrivé à ce stade de mes méditations, j’acceptais volontiers que l’on remplisse mon verre, même si les traits de celle ou celui qui tenait le flacon avait une apparence un peu floue.

Pas question de boire de l’eau de mer au vu de ce que nous déversons dedans.

 

J’ai dû m’assoupir un petit peu, car lorsque j’entrouvre les yeux, on me regarde avec un petit air goguenard et encore ne savent-ils pas d’où je reviens, c’est que ce temps d’absence n’a pas été inutile.

 

Dans cette période de somnolence où les propos des autres convives ne me parvenaient que partiellement, j’ai cherché à trouver des réponses aux questions que je me pose. C’est facile de critiquer ce que font les politiques, et les autres citoyens, à la condition de ne pas s’arrêter là, mais en posant des propositions les plus réalistes possibles. 

 

Alors qu’étais-je à même de proposer, quelles étaient mes pistes de réflexion ? mes analyses de la situation, et mes propositions à moi, citoyen de base ?

 

C’est la crise, pourtant, avions et trains sont pleins à chaque départ en vacances. Croyez-vous que l’on puisse acheter un droit à polluer ? Mais, oui, cela s’achète.

 

 Il faut faire des économies d’eau, d’énergie, recycler tout ce que l’on peut, nous sommes tous d’accord, n’est-ce pas ! mais pour les riches, pas pour nous, et pour les autres pays qui sont bien pires que nous et ne respectent pas les règles !

 

Il faut réduire nos dépenses, mais aucune catégorie socio-professionnelle ne veut être à la traine d’une demande de subvention. On continue de fabriquer des voitures capables de rouler à des vitesses bien au-dessus des limitations… Aucune catégorie de population n’est à l’abri du syndrome de la demande du plus de finance, plus de moyen. Personne n’a vraiment envie d’entendre parler de ce qui nous menace, on semble vouloir vivre à marche forcée. Sans pour autant être satisfait de notre sort. On pétitionne, on manifeste, c’est la plainte permanente, la boule au ventre…

 

Au contraire, beaucoup dans le monde sont prêts à apporter un soutien aux partis populistes qui vous vendent la lune qui se reflète sur la mare. On s’entredéchire, même « le Printemps des poètes » n’échappe pas à la folie humaine.

 

On dit qu’il faut produire, gagner des parts de marché, donc en permanence rechercher l’affrontement, car gagner une part de marché, c’est priver quelqu’un d’autre de son emploi, et de ses revenus.

 

Si l’on ne change rien, en restant dans le cadre actuel il n’y aura rien à attendre ni aucune chance d’évolution, nous devrions être d’autant plus pessimistes. 

 

Au départ de l’humanité, il n’y avait ni pays, ni passeport, sans le savoir, ils étaient tous citoyens du monde, même jusqu’à une époque récente, on pouvait circuler en Europe plus facilement qu’aujourd'hui.

 

L’ONU, l’Organisation des nations unies est un leurre, même si elle fut un beau rêve. Elle ne sert à rien, c'est un épouvantail privé de moyens.

Mais c'est un lieu de rencontre où l’on se parle, c’est mieux que rien !

 

J’imagine les débuts d’une transformation de cette organisation, règle numéro un, on supprime le droit de veto. Il n’y a aucune raison que certaines puissances puissent s'arroger le droit de s’opposer aux autres alors qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes…

 

Soudain, je collapse, qu’est-ce que je peux bien avoir à faire à trainer ainsi dans ces soirées dans lesquelles j’ai le sentiment de n’avoir pas grand-chose à faire ?

Bonne question, peut-être venir dans ces lieux me permet de me vider le cerveau. Je commence à avoir des doutes sur la sollicitude de mon patron qui m’a confié un dossier dont je n’avais de prime abord pas saisi tous les aspects, et les subtilités. Je sais désormais qu’un danger est bien présent, et je commence à réfléchir, avant de concevoir ma réforme planétaire, à un moyen de protéger mes arrières !

 

Une petite musique me susurre dans l’oreille qu’il pourrait probablement y avoir un rapport avec ma cavalière du dernier réveillon, allez savoir, mais attention ce n’est qu’une supposition. Pour l’instant, comme sœur Anne dans sa tour, aucune nouvelle, elle n'a participé à aucune de ces soirées.

 

En marchant pour gagner la station de métro, je me surprends à tendre l’oreille pour le cas où je serais accompagné par un solo de talons d’escarpin sur le boulevard.