Le lever du soleil m’a trouvée le cerveau vide, le corps raide et courbatu, n’osant à peine dégager mon bras pris sous son cou.

En raison de la température ambiante, il fallait que je me presse pour lui donner une sépulture. Tout d’abord dénicher les outils qui me permettraient de creuser le sol. Il n’y avait rien de tout cela dans la maison, je suis donc partie à leur quête dans les maisons voisines. Un homme qui travaillait derrière sa maison me demanda ce que je cherchais, après avoir écouté mon récit, il me dit que vu la sécheresse du sol, je ne serais pas capable d’effectuer cette tâche.

Il revint quelques minutes plus tard avec l’outillage nécessaire. Nous avons choisi une déclivité derrière l’un des deux chênes, le creux naturel du sol à cet endroit devant nous faciliter le travail. En effet, le sol était si dur qu’il eut bien du mal à l’entamer, mais avec de la patience, lui à la pioche, moi à la pelle, nous finîmes par ouvrir une cavité qui répondait à nos besoins. Nous procédâmes aux funérailles, car il faut bien appeler les choses par leur nom.

Il fallut attendre que le drap qui lui servait de linceul eut disparu sous nos pelletées de terre pour que le chagrin m’envahisse. Jusque-là prise dans l’action, je m’étais concentrée sur le travail à accomplir, désormais, un vide immense s’ouvrait devant moi. Mon compagnon de détresse a disparu un petit moment, me laissant seule faire mes adieux à Didi.

À son retour, il tenait une bouteille et deux verres,

  • Nous allons boire à sa santé, elle sera touchée par l’intention et vous cela vous aidera à passer le cap. 

Son calme m’a rasséréné, nous nous sommes assis sur le bord du talus et nous avons bu en silence ; au bout de trois verres, j’ai commencé à lui raconter notre histoire.

Ces dix années durant lesquelles en dépit de nos difficultés nous avions survécu et même plutôt bien jusqu’à ce Didi craque, alors que nous venions de découvrir ce havre de paix.  Je ne lui racontais que les éléments saillants de ce qui était tout de même une sacrée aventure humaine. Il m’a resservi, ce dernier verre m’a achevée, j’ai sombré dans un sommeil comateux qui rappelait les enfers, il n’y avait que des flammes partout et des paysages qui étaient engloutis dévorés par les foyers. J’ai juste ressenti qu’on posait quelque chose sur moi, et ne me suis réveillée que fort tard le lendemain. Je ne me sentais pas bien du tout cherchant à retrouver mes souvenirs de la veille mais, dès qu’ils se faisaient jour, je les repoussais pour ne pas avoir à me retrouver seule face à la réalité.

Il était en train d’accumuler des pierres sur la tombe, et mon premier réflexe a été de lui dire, arrêtez ! vous allez l’écraser. Heureusement, je me suis reprise et j’ai été l’aider à compléter le tertre, les murs des ruines autour de nous nous fournissant une belle carrière à ciel ouvert.

Le travail achevé il m’a proposé d’aller manger un morceau comme il disait, je n’avais aucune envie d’avaler quoi que ce soit. Je n’ai pas osé lui dire non, je sentais qu’il n’aurait pas accepté.

Lui n’a rien pris, j’ai mangé comme quatre, son visage plus que ridé était barré d’un beau sourire, ses cheveux n’avaient pas dû voir un shampooing depuis longtemps pas plus qu’un coiffeur.

Il coupait des tartines, les beurrait puis les garnissait de lichettes d’un jambon sec qu’il tranchait avec un antique couteau à la lame effilée.

Il me fit revenir sur des souvenirs que j’avais abordés dans la nuit et dont je ne me souvenais plus de lui en avoir parlé.

Nous sommes ainsi remontés jusqu’à ma mère et au cours de la conversation, j'ai abordé son admiration pour Jean Mermoz.

  • Un sacré bonhomme, on peut le dire, partir au-dessus de l’Atlantique dans les avions de cette époque, il fallait un sacré courage, m’a-t-il répondu.

Il a continué de vanter le héros, mais je suis repartie dans mes souvenirs, c’est en effet son courage, sa droiture que ma mère admirait. Mais aussi sa capacité à se relever après les échecs, c'était son message subliminal qu’elle nous faisait passer.

Je me suis endormie comme la veille, et les rêves sont venus : j’imagine l’avion de Mermoz s’enfonçant dans l’océan. Seuls le vent et les vagues pour leur rendre hommage.

Je n’ai pris conscience de ce que j’avais fait, qu’au moment où moi aussi j’ai pris contact avec l’eau. Dans les premiers instants sa température m’a saisie, puis en m’enfonçant dans les profondeurs je n’ai plus ressenti le froid.

En définitive je me suis retrouvée devant l’épave, puis une voix.

Quelqu’un s’est exclamé ; poussez-vous les gars nous avons de la visite, et en plus c’est une dame.

Ils m’ont raconté leur amerrissage raté, un moteur qui ratatouille et en plus celui qui marchait le mieux en dépit de tous leurs efforts, impossible de le redémarrer.

Puis le second qui s’éteint, il nous restait un dernier espoir, amerrir, le sort en a décidé autrement nous avions épuisé notre part de chance. Les lames étaient trop fortes elles ont retourné l’appareil et nous avons coulé à pic, vous savez tout.

Je me sentais bien avec eux, j’ai pensé rester là puisque personne ne m’attendait.

Ils se sont écriés, vous n’y pensez pas, nous sommes là comme des ermites. Si vous saviez combien nous vous envions. Avoir des projets, imaginer l’avenir, même si là-haut les choses ne se passent pas très bien.

Il faut même rentrer rapidement, une vaste dépression se profile sur l’Europe et il va y avoir des trombes d’eau. De toute façon, vous revenez lorsque cela vous chantera.

C’était incroyable, de constater de quelle façon, ils m’avaient remonté le moral.

Et ce brave homme qui m’avait porté assistance quand j’étais au fond du désespoir comment pourrait-il vivre, si des gens comme moi désertaient.

Le bruit du vent et de la pluie contre le toit et les volets m’ont réveillée. Il était là, devant son bol de café, il a juste cessé de boire pour me dire :

  • Vous êtes sortie cette nuit, car vous étiez trempée quand je vous ai recouvert, ce n’est pas prudent de sortir quand les tempêtes sont aussi fortes.

Je n’ai rien dit, simplement j’ai passé ma langue sur mon bras la peau était salée avec un goût d’iode, j’ai su que je n’avais pas rêvé et que j’avais choisi de vivre.