De retour dans ma chambre, ça n’était pas la gloire, j’avais fait front n’était-ce pas le principal. Une petite victoire d’amour-propre toujours bonne à prendre, je me devais bien ça, sinon c’était trop triste.

Je commençais à trouver que « tout partait en quenouille » une expression que ma grand-mère avait ramenée dans ses bagages lors de sa montée depuis l’Aubrac jusqu’à la capitale.

Elle disait aussi qu’elle avait dû en avaler des « Boas constructeurs » pour en arriver là où elle en était. 

Elle considérait que cet apprentissage n’était peut-être pas indispensable, mais que cela lui avait forgé le caractère et que pour le reste de sa vie elle n’avait jamais eu à regretter de savoir-faire front.

Qu’on se le dise, hommes ou patrons avaient dû apprendre à faire avec son sacré caractère, et elle riait à gorge déployée après cette tirade.

Ce soir, sa présence et ses mots chaleureux auraient été les bienvenus.

Sa soirée lui restait sur l’estomac, elle ne se faisait pas de souci, elle trouverait bien le moyen de leur démontrer qu’elle aussi avait un sacré petit caractère.

Pour l’instant, il y avait des problèmes plus graves à résoudre. Que se passait-il avec ces pouvoirs qui, lorsqu’ils fonctionnaient, lui faisaient un peu peur, et qui, lorsqu’ils disparaissaient la plongeaient dans le désarroi ?

Pourquoi ne se souvenait-elle pas du lieu d’où elle était partie pour se rendre au domicile de ses parents avant la crise. Un choc, une liquéfaction de ses méninges, une absence brutale lorsque l’on coupe le son de son téléviseur.

Pas d’eau, pas question de faire un brin de toilette, puis plus d’électricité, mes petites colocataires s’en donnaient à cœur joie. De toute façon j’étais épuisée et il n’était nul besoin de berceuse pour gagner le pays des rêves. Je savais qu’ils ne tarderaient pas à venir m’envahir et me secouer tout le reste de la nuit comme le mistral provençal.

Entre ces derniers mots et maintenant, la nuit m’a engloutie, rien, pas de souvenirs, rêve ou pas, aucune trace.

Je suis bien, enroulée dans ma couette, j’ai bien chaud, je me prélasse. Sommeil, demi-sommeil, je ne saurais dire, voire rêve éveillé. Je finis par comprendre que si je suis si bien, c’est que le corps qui est collé au mien me transmet sa chaleur et que progressivement il me met en émoi.

Je n’y croyais plus, il était revenu, cela me semblait impossible, pour moi il était définitivement disparu, mort ou ingrat, à choisir !

Pourtant, de le sentir contre moi effaçait tout mon chagrin et mes rancœurs. J’avais l’impression qu’il dormait, aussi, c'est très doucement que je me suis lovée dans ses bras.

Ce sont sans doute mes mouvements aussi doux qu’ils aient été pratiqués qui l’ont réveillé ? J’ai senti sa main commencer à palper mon corps, s’attardant sur mes seins, faisant brusquement monter la température de notre igloo.

Je n’avais pas dérogé à mes habitudes et je ne portais donc que mon teeshirt Mickey pour tout vêtement de nuit il n’eut donc aucune peine à pétrir mon corps comme un bon boulanger pétrit sa pâte.

Il me mordit l’épaule, s’attarda sur mes fesses, sa main droite n’ayant pas cessé de titiller mon sein droit. Je m’écartais légèrement de lui pour lui laisser plus de champ et pouvoir à mon tour entreprendre la redécouverte de son corps avant qu’il se soit plus engagé. C’était déjà trop tard sa main avait gagné mon sexe et le caressait avec une certaine virilité pour ne pas dire plus.

J’étais si heureuse qu’il me soit revenu, que j’étais prête à tout entendre et tout accepter. Je vivais donc tous ces préambules dans un moment d’exaltation dans lequel je sentais très clairement que je pouvais à tout moment perdre le contrôle de la situation.

Je me suis tournée vers lui pour lui demander un peu plus de douceur,  maintenant que nous nous étions retrouvés, nous avions tout notre temps.

J’ai sursauté, nous n’avions pas fait l’amour très souvent lui et moi, mais j’avais dormi très souvent au creux de lui quand il craignait que je me détruise et je m’endormais au petit matin imprégnée des fragrances de son corps, elles me rassuraient et me maintenaient en vie.

Je me suis dégagée un peu brusquement, il a grogné – qu'est-ce que tu me fais. Ce n’était ni sa voix ni son odeur, celui-là sentait le rance ! Si ce n’était pas lui, alors, j’étais en danger, je n’avais pas envie de me livrer au phantasme de la femme qui se laisse prendre par un inconnu.

La voix s’est faite agressive.

  • Tu vas pas nous la jouer petite mijaurée, tu t’es pas vue chez moi tout à l’heure la jupe en haut des cuisses. Tu m’as chauffé et maintenant tu te défiles. C’est pas comme ça que ça marche.

Il a repris ses reptations sur mon corps j’avais l’impression qu’un serpent se lovait autour de moi.

  • Tu avais commencé à jouir avoue-le, si toi tu ne le sais pas, moi je m’en suis rendu compte. Tu dois être une belle S… quand on t’a bien chauffé le carburo. Tandis que sa main cherchait à s’insinuer dans mon sexe, son rire a éclaté, un rire bestial, celui de quelqu’un qui croit qu’il va réussir son assaut et qui est sur le point de vous pénétrer. Son rire a brisé l’état de tétanisation dans lequel son action m’avait amenée. Du rêve on était passé au cauchemar. 

Les souvenirs de grand-mère ont du bon, il faut frapper la première, après, c'est trop tard ?

J’ai tendu le bras, saisi le mug que je savais trouver sur la table de chevet, je le disposais là tous les soirs pour pouvoir boire sans avoir à me lever. Et sans hésiter une seconde de plus, j’ai rabattu le mug contre son visage avec la plus grande accélération que je pouvais lui donner.

Le choc a été violent, j’ai bien cru que les os de ma main étaient brisés tant la douleur a été vive. Il a dû y avoir un bruit, mais je ne l’ai pas entendu, le mug s’est brisé, son arcade sourcilière aussi, le nez probablement et la pommette étaient entaillés de la tempe au menton. J’ai pressé l’interrupteur et j’ai pu constater les dégâts avant qu’il ne s’enfuît me traitant de putain, traînée, allumeuse, comme quoi il y en a qui osent tout !

Mon charmant voisin du dessus avait dû penser que je devais avoir besoin d’un peu de réconfort après notre entretien. Lui en revanche allait devoir faire un passage au service des urgences, s’il en existait qui fonctionnent encore.

Dans sa fuite, ce goujat a laissé derrière lui le téléphone qu’il avait installé caméra allumée pour ne rien rater de nos ébats. J’ai ouvert la fenêtre et d’un geste vengeur, je l’ai lancé sur le boulevard, au bruit, j’ai déduit qu’il était désormais en kit.

Au petit déjeuner les conversations bruissaient à propos de l’accident de ce pauvre monsieur, il s’est levé pour boire, en l’absence d’électricité, il s’est pris les pieds dans le tapis, il aurait chuté lourdement, sa tête allant heurter l’angle d’une commode.

  •  Si vous voyez comme il est arrangé !

Il ne s’était pas trop foulé pour trouver un moyen de justifier l’inexcusable. Mais les pieds dans le tapis c’est le moins qu’on puisse dire.

Juste le temps de faire l’inventaire de ce que j’allais devoir exfiltrer de ce lieu dans lequel je n’avais plus l’intention de revenir. Encore fallait-il que je me trouve un point de chute sécurisé.

Je suis sortie pour prendre l’air et quitter cette atmosphère pesante. Mes déambulations m’ont menée au Pont-Neuf.

La ville, si l’on peut encore parler de ville ayant perdu tout ce qui faisait son charme : délabrement, saleté, animaux, vitrines de commerces béantes sur des cavités dévastées. On avait l’impression que des remblais avaient été érigés le long des trottoirs pour se protéger de bombardements.

Mais la surprise restait à venir et quelle surprise, en approchant de la Seine l’odeur devenait quasiment pestilentielle. Un spectacle hallucinant m’attendait, le fleuve était pratiquement à sec, son lit était encombré de péniches échouées, dont certaines paraissaient habitées. Un mince filet d’eau courait dans sa partie la plus creuse. Dans la boue séchée, des poissons par milliers étaient là pourrissants, voire des corps humains que l’on y avait jetés. Le long des quais des monceaux d’ordures avaient été déversés par des personnes qui ne supportaient plus d’avoir ce spectacle sous leurs fenêtres, avec les odeurs et les risques d’incendie en prime. Je me suis rendue jusqu’au square du vert galant, là où furent brûlés Jacques de Molay et les grands maîtres de l’ordre des templiers, me demandant si nous n'étions pas, nous aussi toujours sous le coup de leur malédiction.

Une urgence : rentrer à l’appartement, préparer mes bagages, mais pour aller où ?

Le texte sur le pignon du coin de la rue a changé, il relate sans rien omettre les agissements de mon agresseur avec en prime son nom et son portrait !