Cécile va jusqu’à la baie vitrée qui donne sur le jardin. Dehors, l’air plus doux, un peu fatigué, annonce l’automne. Une rumeur sourde, un grand ressac, monte vers la terrasse.

            Le moment des grandes marées, toute la semaine il a plu, venté, les nuages furieux, l’écume sur les rochers au bas du jardin.

            Les enfants sont repartis, lassés du spectacle : ils devaient finaliser leurs inscriptions en fac.

Elle avait le cœur un peu serré en voyant la vieille voiture, un héritage familial passé de main en main, disparaître au coin de l’allée ; elle va ranger, nettoyer, balayer, préparer la maison pour l’hiver. Le feu déjà prêt dans la cheminée, pommes de pin bien sèches sur le berceau de petit bois. C’est pour la flambée de novembre, pourvu que je puisse revenir ! Dieu que j’aime cette maison ! que je suis bien ici… et toute seule, c’est très bien aussi, se balader, rêver, petit régime… se laisser vivre !

            Grattement à la porte c’est mon Farou, je l’ai gardé et il va me garder, se dit-elle, je n’aime pas trop rester seule ici, on est un peu isolés au bout de l’impasse ; mais quelle vue !

            La maison, style balnéaire 1900, pointe sa petite tourelle et son bow-window au-dessus des trois pins parasols du petit jardin, un courant d’air a ouvert la baie centrale du bow-window, elle la referme. Elle va jusqu’aux rochers lire un peu, c’est la bonne heure, l’heure qu’elle aime depuis toujours, Farou sur les talons, sa liseuse dans le sac, elle descend le jardin, ouvre le portillon de vieille ferronnerie, traverse le sentier qui longe la maison et se retrouve dans son lieu favori, sa niche comme elle dit. Farou saute devant elle, aboie, hume l’air, boule d’énergie ! 

            

            Elle marche au ras de l’eau, le long de la minuscule anse de sable mouillé qu’enserrent des amas de rochers entrechoqués, souvenirs de tempêtes lointaines, Au bout de l’anse, elle s’installe, déplie sa serviette, butte sur un petit monticule de sable au milieu des cailloux, une anse de tissu kaki s’en échappe.

            Farou, toujours curieux, a stoppé ses gambades, il se poste devant la butte, tiens, il renifle et se met à gratter à toutes pattes, le sable vole, un sac à dos apparaît, bien caractéristique avec son imprimé camouflage et apposée à la poche à glissière, la virgule blanche brodée, logo de la marque.

            Intriguée, elle se relève, le comportement de Farou l’intrigue, il aboie à tout petits cris, faisant voler le sable en tourbillons, regarde sa maîtresse et continue de gratter, C’est un chien d’arrêt converti pour l’amour de ses maîtres en chien de compagnie. Il connaît son métier celui-là se dit Cécile, voilà tout le sac sorti du sable, Il est fermé, pas abîmé, un oubli sans doute, qu’est-ce que je fais ? Je le laisse là où je le rapporte à la mairie, aux objets trouvés ?

            Tout à coup, elle se souvient : Arnaud a le même, Arnaud, son fils aîné, 23 ans en fac de médecine à Bordeaux, le sac qu’elle lui a offert à Noël dernier et qu’il n’a pas quitté de toutes les vacances ! une grosse auréole sur le fond, il a trempé dans l’eau de mer et s’est décoloré, Sans même s’en rendre compte, elle tire le sac, le soulève et regarde : même auréole sur le fond, précautions et réticences envolées, sans réfléchir, elle s’agenouille et tire la fermeture éclair sous la poignée.

            Inventaire : une serviette de plage roulée en boule et moitié sèche, un peigne, des lunettes de soleil, homme ou femme ? difficile à dire avec la mode unisexe, un jeton de supermarché, deux tickets de cinéma et c’est tout… Un peu de sable s’est glissé dans le fond et un brin de tamaris, le tamaris de son jardin ? ses doigts longent la glissière qui ferme le fond du sac, emménageant un petit espace, comme un double fond, sa main rencontre des petits sachets, il y en a bien une dizaine, intuition, certitude : c’est de la drogue ! Lui reviennent les dernières informations à la télévision et dans le journal : des ballots de cocaïne se sont échoués sur les plages de l’Atlantique entre Pornic et le Cap Ferret. Plus de 700 kg en tout ; un bateau clandestin aurait, pour une raison inconnue, délesté sa cargaison et les courants auraient déposé sur le littoral ballots et sachets…

 

à suivre...