Cette fois c'est dit, j'ai décidé de prendre ma vie en main. Quoi qu'il arrive je ne suis pas là pour faire plaisir à tel ou tel, mais pour vivre quoi qu'il m'en coûte cette grande aventure qu'est la vie.

Cela part fort ce matin, après mon mini déménagement, on sent que je suis déterminée.

Avant que je ne fasse pivoter mon bureau de la gauche vers la droite, il faisait face à un mur tapissé d'un papier peint à petites fleurs vieille France un peu fané et désuet. 

Pour l'agrémenter et le personnaliser j'y avais disposé toute une série de photos retraçant grosso modo toutes mes aventures d'enfance et d'adolescence. Cela peut paraître futile, mais moi, cela me rassurait en établissant un lien entre ces années d'enfance et d'adolescence familiales et ce que j'étais en train de devenir. Bon à l'occasion j'y reviendrai peut-être, mais pour aujourd'hui on va en rester là. 

Soit dit en passant, lors de ses visites mon frère s'est à chaque fois attardé longuement à les regarder, me rappelant ou me racontant des anecdotes concernant nos jeunes années que lui remémoraient ces images, comme quoi !

Si, une chose encore, symboliquement, comme on le dit habituellement, dans cette position tout était réuni pour que j'aille droit dans le mur, c'est le cas de le dire.

Par contre pour travailler, être face au mur aidait à la concentration, depuis que je suis devant la fenêtre mon esprit s'évade à chaque instant, captivé par ce qui se passe dans le paysage et quant à la concentration…je vagabonde ! 

Ainsi je n'aurai jamais cru qu'un rayon de soleil se faufilant au travers des feuillages, c'est fou comme c'est beau et changeant ; qu'un oiseau en poursuivant un autre en effectuant des voltes gracieuses vous tourneboule, quant aux circonvolutions d'un nuage joufflu paradant face à ma loge en prenant tout son temps tandis qu'il s'effiloche me laisse complètement béate, je ne peux non plus faire abstraction de tout ce qui se passe sur le boulevard et l'allée des promeneurs…

Vous comprendrez donc que je préfère nettement cette nouvelle organisation. J'ai le sentiment d'avoir franchi un cap, restons modestes, je ne viens pas de passer le Horn, graal des navigateurs. J'ai le sentiment que ce changement aura dans l'avenir une grande influence sur mon devenir.

En sortant de la rade de Brest, si vous filez cap plein ouest vous finissez par arriver en Amérique, par contre si vous effectuez un virage à quatre-vingt-dix degrés vous descendez cap vers l'Afrique et l'équateur. Ah ces grands navigateurs Christophe Colomb, Vasco de Gama, Tabarly et consort, il n'y a pas à dire cela vous nourrit l'imaginaire. Les deux voyages sont tentants mais ce ne sera tout de même pas la concrétisation du même rêve !

Ce changement de positionnement n'est pas complètement innocent je vous le concède… Au moment où je l'ai effectué je n'y avais pas pensé une seule seconde, mais dès le lendemain j'ai dû me rendre à l'évidence. Installée de cette façon il me suffisait désormais de lever les yeux pour découvrir le banc, mon banc.

Là je triche encore un peu, je ne veux toujours pas reconnaître que ce n'est pas exclusivement le banc que je regarde, mais je suis certaine que vous l'aviez deviné.

J'aimerais tant que quelqu'un s'y assoie, les yeux paraissant dans le vague alors qu'en réalité il jette des regards furtifs en direction de ma fenêtre cherchant à m'apercevoir. 

En conséquence pour pouvoir travailler sereinement j'ai dû installer mon réveil sur le coin du bureau avec interdiction de regarder dans la rue avant d'avoir laissé passer un quart d'heure.

Je sais ce que vont penser certains d'entre vous, elle est complètement givrée cette nana-là. 

Mais personne ne le pensera et donc ne le dira, puisque personne n'est au courant de cette phase de réveil et de bouillonnement de ma libido. Je dois faire attention avec mon frère qui lui me devine dès qu'il est en ma présence.

Le sanskrit est toujours bien là, omniprésent, je pense sanskrit, je pourrais presque dire je rêve sanskrit, j'ai son alphabet dans le cerveau. Je finis par ressentir ses effets comme ceux d'une plante hallucinogène. Quand je lis ou traduis un texte, au bout d'un moment il me semble que les lettres se déforment, flottent sur la page, passent du français au sanskrit et vice-versa.

Je les vois même sur le feuillage des arbres du boulevard oscillant aux mouvements des branches se déformant, sous les bourrasques.

Pour apaiser tout cela je pose mon stylo, lâche ma souris ou ferme l'ouvrage que je consulte et je regarde le banc. En fait c'est moi qui entre en méditation, je laisse s'égrener les secondes, puis les minutes dans un état semi hypnotique.

Rassurez-vous ça ne dure pas indéfiniment, un déclic se fait dans mon cerveau et la machine se réenclenche, je retourne au travail.

En sortant de cette phase de méditation il m'est arrivé un matin une aventure étonnante. La feuille sur laquelle j'étais en train d'écrire était couverte d'arabesques crayonnées sur toute la largeur au point que ce qui était écrit était presque totalement illisible. J'ai trouvé ces graffitis jolis alors je cherche une idée pour décider de ce que je vais en faire ? 

Dans cet écoulement du temps j'ai parfois la chance de découvrir de divines surprises : le banc est occupé, mais comme vous le savez il y a souvent des mais dans la vie et comment ne serais-je pas prise dans les rets de ces "mais". Assis sur le banc il y a un homme corpulent… un couple enlacé…une femme seule…une mère accompagnée de ses bambins qui courent après le chien ou se lancent un ballon, un jeune au crâne rasé ou à la chevelure moutonneuse. En fait rien qui ne ressemble de près ou de loin…

Après avoir allumé une flamme dans mon œil celle-ci s'éteint très vite à la découverte de la réalité de cette présence.

J'en suis arrivée à me poser des questions, qu'est-ce que j'attends au juste ? une rencontre, le garçon avec lequel j'ai échangé quelques mots devant la fac, l'homme dont j'ai aperçu la silhouette posée sur le banc le soir où mon frère est venu dépanner mon informatique ???

Le jeune homme de la fac a semble-t-il joué un rôle déclencheur dans ces désordres en me posant un baiser sur la joue lorsque nous nous sommes quittés. Oui mais voilà, je ne suis même pas certaine que je le reconnaîtrais si le croisais dans la rue. Quant à l'autre, cette silhouette, le visage masqué par sa capuche c'est encore plus flou.

C'est un grand saut dans l'inconnu que celui de partir de chez ses parents. On en rêve, on le mythifie mais dans le même temps on l'appréhende. On avait déjà des difficultés à tenir sa chambre, garder le contact avec ses amis, faire ses devoirs et apprendre ses cours et s'il nous restait du temps donner un coup de main à la maison…

On se demande bien, sans oser leur poser la question, comment font les parents pour tout faire, tenir le coup et que tout semble fonctionner sans anicroche.

  • Y a plus de céréales ?
  • Si, là où tu les as rangées hier matin.
  • C'est malin !
  • Non c'est la vérité, tu es la seule à en manger…

En plus ils ont toujours la répartie facile, immédiate, douce ou cinglante, précise. Enfin la mère, le père ne s'en fiche pas, il est en retard et au fond se dit que s'il n'y a pas de céréales il n'y a qu'à se faire une tartine c'est une autre technique pour solutionner les difficultés. Elle trouve ses limites quand il n'y a plus rien !

  • Personne ne l'a inscrit sur la liste, je ne peux pas penser à tout !

Désormais il faut penser à tout, sinon, vrai, il n'y a rien, dur, dur à encaisser mais c'est ce que l'on appelle l'école de la vie, plus prosaïquement le principe de réalités. Alors que l'on imaginait quelque à chose de romantique "vivre la vie de bohème" du lilas sous sa fenêtre.

Les rayures sur mon texte m'ont laissée perplexe, je n'ai aucun souvenir de les avoir tracées. Pourtant elles sont gracieuses à mes yeux, aussi je les ai affichées avec mes photos sur le mur des souvenirs. 

Désormais il faut penser à tout, sinon, vrai, il n'y a rien, dur, dur à encaisser mais c'est ce que l'on appelle l'école de la vie, plus prosaïquement le principe de réalités. Alors que l'on imaginait quelque à chose de romantique "vivre la vie de bohème" du lilas sous sa fenêtre.

Les rayures sur mon texte m'ont laissée perplexe, je n'ai aucun souvenir de les avoir tracées. Pourtant elles sont gracieuses à mes yeux, aussi je les ai affichées avec mes photos sur le mur des souvenirs.