Voilà, c'est le grand jour ! Depuis près de quatre ans que je me prépare pour ce tour du monde à la voile, sans escale, sans assistance. Le Vendée Globe ! Un rêve. Quel travail, avec toute mon équipe, tantôt enthousiasmant tantôt stressant. Il a fallu se battre, ne pas se laisser décourager. Et au dernier moment, ce virus qui se propage. Il est impensable de risquer d'être malade au dernier moment. Il faut donc éviter d'être contaminé par un de nos proches. Ainsi, depuis quinze jours je suis à l'isolement, confiné, c'est le mot. Le bateau est prêt, mon équipe veille sur lui, peaufine les derniers aménagements, derniers réglages. Ils me tiennent au courant, me téléphonent régulièrement, et moi, je poursuis ma préparation, physique et mentale, musculation, yoga, méditation.

 

Skype. C'est par skype que je suis obligé de dire au revoir à ma femme et à Titou, mon fils.

  • Voilà, c'est le départ,
  • Oui, je regarde la télé
  • Le moment tant attendu. Je suis prêt à tout affronter, j'ai envie d'en découdre
  • je sais, je te fais confiance, pars tranquille.

 

Avec Catherine, mon épouse, depuis le début de ce projet, cette séparation était présente, acceptée. Elle est une formidable femme de marin, elle sait combien ce projet compte pour moi, elle m'a toujours soutenu, encouragé, exprimé une confiance absolue. Bon, deux mois, peut être trois, c'est vite passé ! D'ailleurs peut-on parler de séparation ? Je pars mais je sais qu'elle sera toujours là dans mes pensées et inversement, ce voyage va l'occuper à plein temps. L'émotion est dans l'incertitude et dans cet effort mutuel pour se rassurer, pour se témoigner notre confiance, dans cette certitude de notre amour ressenti au plus profond de nous-même, sans avoir besoin d'autres mots.

  • Titou est là !
  • Oui, tu le vois, il joue avec ses légos et ses bateaux
  • Titou tu viens dire au revoir à papa

 

Catherine le prend à son cou,

  • Au revoir, papa tu reviens bientôt ?
  • Pas tout de suite, mais maman te montrera où je suis sur la carte. Tu seras sage ?
  • Oui ! Je t'envoie un bisou.

 

Il quitte les bras de sa mère et il retourne jouer. Finalement cela a été peut-être, plus facile de dire au revoir à Titou par Skype. A quatre ans, il comprend, il ressent, mais comment ? Il est né en même temps que ce projet, nous lui en avons toujours parlé, expliqué, nous l'avons préparé. Je le vois la dernière fois où il est venu sur le bateau, très à l'aise, curieux, il se promenait partout, regardait, touchait, il s'est assis à ma table, s'est allongé dans ma couchette, tenu la barre. Les adieux sur le bateau ! Je l'aurais pris dans mes bras, il aurait ressenti l'intensité de ce moment, j'imagine, il aurait passé ses petits bras autour de mon cou, sa tête posée sur mon épaule, sa mère aurait dû desserrer ses doigts, l'arracher. Peut-être qu'il aurait pleuré, cela aurait été plus dur pour moi mais surtout pour elle.

 

Très droit, debout sur son bateau, il a revêtu sa salopette et sa veste de quart qui souligne sa carrure, tête nue, les cheveux courts, le front large, le regard posé au loin, François dégage un sentiment de force, de solidité, il est imposant même si son mât le domine de plusieurs mètres. Sa force témoigne de son désir, de sa détermination. On le sent prêt à faire face, à résister mais on le sait aussi véloce, souple, rapide, acrobate, il ne craint pas de monter en haut du mât.

 

Sortir du port, longer ces quais déserts ! Je n'aurais jamais imaginé ! Le silence, la solitude, ça commence déjà. Ce départ c'est mon histoire, c'est mon choix, mon aventure, je n'ai pas fait tout cela pour être applaudi, acclamé. Mais... Ce départ se déroule sans la fête habituelle, seulement quelques passionnés à leur balcon, la presse sur les quais, des officiels. Mon regard se porte au loin,  néanmoins, bras levé, poing fermé je salue ceux qui ont pu malgré tout être là. Ils m'adressent des messages d'encouragement « bon vent » des banderoles avec « merci. » Il se projettent dans cette aventure. Mon rêve, notre rêve, est partagé, soulève l'enthousiasme.

A côté de ces anonymes, il y a les sponsors, nos financiers qui attendent des retombées médiatiques et financières. Nous avons une exigence de rentabilité, nous sommes des agents publicitaires de grandes entreprises. Tous les jours il nous faudra communiquer, envoyer des photos, des vidéos. Je me suis également engagé auprès d'une classe de cinquième d'un collège de banlieue. Avec WhatsApp ils vont suivre mon parcours, me poser des questions. Je me promets de leur répondre, je leur enverrai des photos et des vidéos. Il s'agit d'un projet pédagogique qui réunit leurs professeurs de français, de géographie, de calcul. Mais ce que j'espère c'est donner de l'espoir, témoigner qu'il est important d'avoir un projet, d'aller au bout de son désir.

 

La météo est bonne, les conditions sont parfaites pour partir, la mer est accueillante, le vent mon allié. Je me sens profondément serein. J'imagine ce soir le coucher de soleil, un bonheur qui nous est offert comme cela. Chaque soir est différent. Ce soir, le ciel sera rouge.

 

 

WhatsApp

 

C'est par WhatsApp que je communique avec les élèves de cette classe de cinquième. Bien entendu, ils suivent à la télévision toutes les informations sur la course, mais avec moi, ils posent les questions qu'ils souhaitent et je tente de leur répondre. Au travers de leurs écrits je devine des personnalités différentes, cette classe reflète la diversité d'une société. Un grand nombre de questions concernent ma vie à bord du bateau, je les appellerais les terre à terre.

  • Tu dors bien ? Est-ce que ce n'est pas trop dur de dormir dans un bateau ? Tu dois entendre le vent et le bruit de la mer.
  • Qu'est-ce que tu manges ? Tu arrives à te faire de la cuisine ? Est-ce que tu rêves d'une glace au chocolat ?
  • Comment tu te laves ? Avec l'eau de mer ?
  • Tu n'as pas trop froid ?

 

Mon désir est de faire rêver et aussi de susciter chez ces jeunes adolescents le désir de réaliser un projet, le leur. Je voudrais qu'ils croient en eux, qu'ils se sentent assez forts pour aller au bout de leur rêve, de leur désir. Qu'ils aient envie de vivre de grandes choses, qu'ils aient un but qui les porte, qu'ils s'interrogent sur ce qu'on attend d'eux et sur ce qu'ils désirent, eux, ce qu'ils aiment.     

 

C'est pratique WhatsApps, chacun pose sa question et tout le monde lit mes réponses. A côté de ces questions sur le quotidien il y a ceux qui ont l'esprit de compétition

  • Tu es le combien ? On ne parle pas de toi à la télé.
  • Tu crois que tu pourrais aller plus vite ?

 

Il y en a un qui doit faire de la voile, c'est un marin qui pose des questions techniques

  • Tu navigues sous quelle allure, tu fais combien de nœud en moyenne ? Tu barres toi même où tu utilises le pilote automatique ?

 

Il y a aussi les anxieux.

  • Cela arrive des fois à des bateaux qu'une baleine fasse un trou dans la coque. Tu n'as pas peur ?
  • Est-ce que tu pourrais chavirer avec ton bateau ?
  • Est- ce que tu ne t'ennuies pas ?

 

Il y en a un, j'imagine qu'il va faire HEC. Il me demande combien ça coute un bateau, si je sais si les sponsors vont gagner de l'argent ? Si je pourrais revendre mon bateau et combien. Je n'ai pas trop envie de lui répondre mais j'ai promis.

 

Il y a les poètes ou les artistes.

  • Est-ce que tu vois de beaux couchers de soleil ? Tu pourras nous envoyer des photos ?
  • J'aimerais passer une nuit avec toi, contempler les étoiles.
  • Est-ce que tu chantes ou tu écoutes de la musique ?
  • Le paysage n'est pas monotone ? Est-ce que la mer est belle ?

 

Je leur envoie des photos de la mer, du soleil. Je tente de leur expliquer comment la mer me fascine, c'est un tableau en mouvement une palette de peinture. La mer a imprimé en moi, des souvenirs chargés d'émotions multiples. Si, en course, je n'aime pas trop les mers plates, les mers d'huile, cela signifie une grosse pétrole, j'ai le souvenir d'un coucher de soleil fantastique au phare de Chassiron sur une mer immobile. La mer était rouge, comme si elle avalait le soleil. Quand je nage dans une mer d'huile, j'ai l'impression de me couler dans un univers doux, infini, protecteur. C'est une mer où on se prélasse. Mais j'aime surtout ce va et vient, infatigable ces vagues qui ondulent qui me bercent. Les mers agitées me rendent euphorique, me sentir brassé, secoué, je ressens toute une énergie monter en moi. Je suis fasciné par une mer en colère, qui fait le gros dos, qui se hérisse, qui rugit. Elle me donne envie de me battre, à la fois je veux sauver ma peau et tenir, dominer, résister, lutter mais aussi reconnaître mes limites et savoir déjouer le danger.

 

Ainsi, en même temps je réponds à ceux que je ne fais pas rêver

  • Moi, je trouve cela nul, pourquoi tu aimes la mer ? Moi, je n'aime pas la mer
  • Moi, je préfère la montagne, c'est plus physique, cela demande plus de courage de volonté.
  • Moi, les jeux vidéo me manqueraient trop.

 

Je prends beaucoup de plaisir à échanger avec ces élèves de cinquième grâce à WhatsApp. Néanmoins, cela permet à certains, dans la mesure où on ne se voit pas, où on ne se connaît pas d'être plutôt agressifs, violents, de faire des remarques, d'avoir des propos qu'ils n'oseraient sans doute pas dire en face. Bon cela concerne deux élèves sur trente, deux grincheux. Ainsi je reçois deux messages.

  • Je trouve que tu n'es qu'un parfait égoïste, c'est pas vrai, tu n'aimes pas ta famille, ni ta femme ou ton fils comme tu l'affirmes, tu ne penses pas à eux. Si tu fais tout cela c'est pour qu'on t'applaudisse, pour te rendre célèbre.
  • Tu n'es qu'un grand masochiste, on dirait que tu prends du plaisir à sacrifier un confort de vie pour t'imposer des souffrances inutiles. Je trouve ça nul.

 

Je trouve leurs propos peu amènes, mais ils me font réfléchir. Pourquoi est-ce que j'ai toujours aimé la mer ? Est-ce que je serais devenu marin si mes parents n'avaient pas eu de bateau, si, très jeune, je n'avais pas passé les vacances en famille sur un bateau ? Si mes parents ne m'avaient pas inscrit au club de voile de l'ASPTT ? S'ils ne m'avaient pas accompagné un peu dans tous les ports de France pour participer à des régates ?

 

A l'opposé il y a ceux qui rêvent d'aventure

  • Quand est-ce que tu as eu envie de faire le tour du monde ?
  • Comment tu t'es préparé à faire le Vendée Globe ?
  • Après tu feras quoi ?  Auras-tu encore envie de larguer les amarres ?

 

Oui, pourquoi cette soif d'aventure ? Pourquoi cette envie de partir, je ne dirais pas fuir car j'ai du plaisir à revenir, à rentrer au port. J'ai besoin d'horizons nouveaux, découvrir, sentir des sensations fortes. C'est aussi comme si j'avais besoin de me délester, de n'emporter que l'essentiel, de me dépouiller du superflu, des habitudes et de la routine. L'aventure c'est aussi se confronter à l'inconnu et découvrir les ressources que l'on a en soi. L'aventure permet de mieux savoir de quoi on est capable, ce qu'on vaut.