Ce matin le patron est absent, rien d’étonnant disent les représentants syndicaux nous devions commencer à discuter du plan social, il aura eu la trouille.

Il y a quelque temps, Paula l'assistante de direction aurait été choquée de les entendre parler ainsi de son patron qui a fortiori est aussi le leur.

Mais la situation a changé depuis une semaine très exactement…

Vingt-cinq ans de collaboration vous créent des liens, vrai qu'elle est son âme damnée, l'ayant toujours défendu toutes griffes dehors, ce qui, entre elle et les représentants du personnel a fini par installer un no man’s land d’incompréhension par-dessus lequel ils se regardent avec méfiance.

Depuis ses débuts l’entreprise a connu une croissance presque continue, le petit atelier créé au fond d'un garage est devenu une PME prospère. Une paix sociale assurée, des salaires attractifs, une gestion un brin paternaliste mais qui y trouverait à redire, les salaires tombant chaque mois sans jamais un jour de retard et qu’il y a du travail à la pelle.

L'usure du temps peut-être, mais à un moment donné il s’est produit un changement, une sorte de rupture dans le comportement du boss. Paula s'est rendu compte qu’il ne s'investissait plus tout à fait de la même façon dans la gestion de l'entreprise.

Plus souvent absent, moins en pointe dans la recherche de marchés, il a fini par leur faire rater un appel d'offre qui semblait pourtant à leur portée, il l’avait gardé pour le relire et avait tout simplement oublié de poster le courrier qu'elle lui avait remis.

  • Je suis désolé, mais il y aura d'autres occasions…

Elle eut envie de passer ses nerfs sur lui, que n'aurait-il pas dit si elle avait commis la même erreur.

Dans l’entreprise on ne lui fit aucun cadeau, le bureau d'étude qui avait élaboré le dossier ne comprenait pas qu'une société qui présentait un projet moins attractif et plus cher que le leur ait pu rafler le marché sous leur nez et à leur barbe.

Elle se fit sérieusement secouer dans les réunions alors qu'elle n'était pour rien dans ce fiasco et qu’elle aurait pu se dédouaner en quelques mots, mais fidélité oblige.

Plus grave encore les mois passant, le carnet de commandes s'était épuisé et aucune nouvelle opportunité ne s'était présentée pour le reconstituer.

Elle qui entendait “Ici Paula” toutes les cinq minutes à longueur de journée ne rencontrait plus son patron qu'en pointillés... !

*****

 

 

Un lundi matin en arrivant au bureau elle a eu la surprise de trouver une petite carte glissée sous son téléphone avec un mot de la personne qui avait fait le ménage.

  • Je ne sais si ce document vous sera utile mais il était sous votre bureau.

Un petit bristol blanc format carte de visite sur lequel était inscrit des suites de chiffres et de lettres. Vraisemblablement un code se dit-elle mais le code de quoi, sachant très bien que ce document ne lui appartenait pas mais qu’il pouvait avoir son importance elle l’avait glissé dans son porte carte se disant que quelqu'un le réclamerait peut-être, mais en définitive il n'en fut rien.

*****

La situation de l'entreprise ne s'améliorant pas le patron avait dû aller devant le tribunal de commerce pour demander la mise en sauvegarde de l'entreprise ce qui leur avait donné un peu d'espace pour tenter de se réorganiser.

En vain, en dépit du départ des intérimaires l’effondrement s’accélérait. Aucun candidat ne se présentait pour reprendre cette société à la dérive, c’est ainsi qu’en définitive le tribunal avait décidé d’arrêter les frais en prononçant le dépôt de bilan.

*****  

Paula de son côté avait recherché dans ses dossiers tout ce qui aurait pu permettre d’amortir le choc de cette débâcle, comme de vieilles créances en suspens, mais rien, désespéramment rien !

Entre temps elle s’était penchée sur le mystère du bristol, elle savait qu’il n’y avait pas cinquante personnes qui se seraient autorisées à venir travailler sur son ordi, aussi il lui vint une intuition et elle voulut la vérifier.

Peu de personnes savent qu’à chaque fois qu’elles effectuent une recherche sur un ordinateur une trace de cette démarche demeure inscrite dans l’historique de la machine à moins d’avoir pris la précaution d’effacer son passage avant de quitter la machine.

Elle avait donc entrepris de vérifier ce qui s’était passé la veille de la découverte du bristol sur son bureau.

Bingo, Il y avait bien eu une recherche en direction d’une société de conseil et d’engineering basée à Road Town.

Société au demeurant inconnue au bataillon, puisqu’à sa connaissance ils n’avaient jamais travaillé avec elle ou alors pourquoi n’avait-elle pas été mise au courant. Dans la situation difficile dans laquelle ils se débattaient il n’y aurait eu rien d’étonnant en la matière et puis il était le patron.

Piquée au vif elle chercha dans quel pays se situait Road Town, et découvrit que cette ville se trouvait dans les “Iles vierges britanniques” dans les Caraïbes, elle ne savait même pas que ce pays existait.

Maintenant qu’elle avait commencé sa recherche il fallait qu'elle aille au bout de son exploration.

Elle cliqua sur le logo, l’écran clignota quelques instants, puis fort poliment on lui demanda de donner son identifiant et son mot de passe. Elle tapa alors les indications du bristol, ayant intégré son sésame, comme dans Ali Baba et les quarante voleurs, le site lui ouvrit les bras elle n’eut plus qu’à cliquer sur accueil. Lors de cette première visite elle n’osa s’aventurer plus loin ayant compris que ce qu’elle allait découvrir en ce lieu risquait de ne pas lui plaire du tout.

Le lendemain matin, elle vint de très bonne heure au bureau dans l’objectif d’avoir la paix pendant qu’elle effectuerait ses recherches.

Suivant la même procédure que la veille elle eut l’impression d’entrer dans le coffre-fort de son patron et là, elle resta bouche bée, il y avait plusieurs millions d’euros de dépôts. Des sommes étaient versées régulièrement dont l’importance variait, mais jamais moins de cent mille euros.

Elle nota les chiffres au dos du bristol très inquiète de leur importance.

Cent mille euros par mois c’étaient bien au-dessus des bénéfices qu'ils réussissaient à dégager pour l’année, d’où pouvaient bien provenir ces prébendes ?

Un message du boss lui parvint indiquant qu’il allait être hospitalisé pour quelques jours pour des problèmes pulmonaires mais qu’il ne fallait pas s’inquiéter outre mesure, son médecin s’étant montré rassurant.

Il en avait de bonnes, lui, ce n’est peut-être pas de sa faute mais il la plantait là. La négociation du plan social c’est encore elle qui allait devoir s’y coller.

Elle annonça aux délégués syndicaux que la réunion était reportée au lendemain compte tenu de l’hospitalisation de leur patron, il y eut bien quelques grommellements mais dans l’ensemble ils comprirent l’aspect imprévisible de la situation.

Elle se rendit rapidement à son domicile pour le rencontrer avant qu’il ne soit hospitalisé. Ce ne fut pas simple d’obtenir qu’on lui permette de le rencontrer. Devant son insistance le médecin céda, mais lui imposa de porter la tenue adéquate avec masque, bonnet, lunettes blouse et charlotte.

  • Je suis désolé de vous importuner mais j’ai besoin de votre signature pour valider le protocole d’accord si accord il y a, et éventuellement pour la marche de l’entreprise en votre absence.

Il avait le regard un peu perdu, respirait avec peine en toussant fréquemment.

  •  Vous auriez pu les signer vous-même vous l’avez déjà fait dit-il, il voulut sourire mais ne parvint qu’à grimacer.
  • Non rétorqua t’elle ces documents peuvent devenir les pièces d’un dossier de justice et ne doivent en aucun cas pouvoir être contestées.

Elle lui passa la pile de feuilles et le stylo, il exécuta une dizaine de signatures, la dernière lui demanda beaucoup d’efforts et quand il lui rendit feuilles et stylo son regard était perdu dans le vague et il respirait par à coups en toussant terriblement. Ne restez pas là lui enjoignit l’infirmière cela pourrait être dangereux pour votre santé.

La négociation commença dans une ambiance très tendue, chacun étant bien conscient que c’était la fin d’une aventure qu’ils étaient en train de vivre. Après deux heures d’âpres discussions ils n’en étaient encore qu’aux préliminaires.

Elle prit donc la parole :

  • Je comprends bien les angoisses que peuvent faire naître en vous ces débats, mais si nous ne parvenons pas à un accord la situation deviendra incontrôlable. Il serait temps de rentrer dans du concret et de définir catégorie par catégorie de salariés ce que sont vos exigences.
  • Nous savons fort bien qu’il n’y a plus d’argent en caisse alors à quoi bon ces débats.
  •  Ce n’est pas votre problème pour l’instant faites vos demandes.

Dans le même temps elle réalisait l’aspect surréaliste de cette discussion, l’accord de branche de leur profession n’était déjà pas si généreux et l’état des finances catastrophiques de l’entreprise ne leur laissant que peu d’espoir.

Pensive elle mordillait son stylo se demandant comment sortir de cette impasse.

Tout à coup ses interlocuteurs eurent la surprise de voir son visage se détendre tandis que dans le même temps elle fut prise d’un énorme fou rire, plus les autres faisaient la tête contrariée par cette attitude qu’ils jugeaient pour le moins désinvolte à leur encontre, plus elle riait.

*****

Elle entérina toutes les demandes des salariés qui étaient bien supérieures au droit du travail tant en indemnités qu’en droit à des formations. Elle liquida de la même façon les dettes de l’entreprise, les fournisseurs n’ayant pas à être victimes des erreurs de gestion de son patron.

Elle fit parvenir tous les documents nécessaires au tribunal. 

Mais ils avaient bien d’autres chats à fouetter, la pandémie faisait des ravages et les trois-quarts des personnels étaient malades ou avaient déserté les lieux.

Pour une fois qu’une affaire se terminait sans conflit le dossier fut classé sans que personne n’y jette un œil.

Le patron me direz- vous, le pauvre est mort au bout d’une semaine alors qu’il commençait à aller mieux.

Un homme masqué et cagoulé lui expliqua après lui avoir fait l’injection létale que l’organisation n’avait pas apprécié du tout, il insista sur le champ, la disparition des fonds qu’on lui avait confiés alors qu’on l’avait mis en garde.

Il est parti sans avoir compris un mot de ce que l’on venait de lui expliquer.

Si vous saviez comme autour de Collonges-la-rouge il y a de superbes propriétés et des paysages à couper le souffle.

Les truffes ne sont pas toujours celles que l’on pourrait croire.