Nous sommes en plein confinement depuis un mois déjà.

 

            Par la fenêtre de mon bureau, je regarde la rue déserte. Pas un bruit ! Au roulement des voitures a succédé le silence ; calme plat dit-on, plat comme la mer assoupie, comme les nuits de pleine lune. Un roulement surgit du bout de la rue, comme une progression de roues de vélo, intermittent, on peut même entendre le grincement de la chaîne. « Ça manque d’huile » me dis-je; et la reprise par à-coups de la rotation des pédales rythme le vide.

 

            Du fond de la rue déserte, je vois arriver une toute petite fille, suivie de son jeune papa ; d’une main, il tient la selle, de l’autre, il se penche sur le guidon pour diriger le convoi malhabile. Ça va un peu dans tous les sens, d’un côté à l’autre de la chaussée. Heureusement, il n’y a personne. Pas de collision en vue, mais chute bien possible. En plein milieu du carrefour, lattelage s’arrête ; je les vois mieux ; elle, minuscule, toute en rose du jogging à bandes pailletées s’il vous plaît, aux baskets coordonnées, au mini casque rose fluo, d’où échappent des cheveux blonds. Une petite Barbie et son jeune papa…

 

            Je les appelle. Il stoppe c’est très joyeux cette explosion de rires ; moi aussi ; je ris de les voir !

 Pendant quelques jours, ils viendront sous ma fenêtre tous les matins vers onze heures. Je suis là, je les attends. Entre nous, c’est un jeu de « cap ou pas cap ; on va au bout de la rue et on tourne ! Elle te regarde, la dame. »  Et l’enfant rit, en équilibre instable. « On lui a enlevé les roulettes » dit  le papa avec une patience et une attention extrême.

 

            Et un jour, plus personne, ils ont sans doute changé de rue ou de quartier. Cette brève rencontre a fait renaître en moi un souvenir complètement oublié ; lorsque j’ai appris à faire du vélo « sans les petites roues » avec mon père.

 

            Notre village était un de ces villages-rues qui se succèdent sur les nationales aux abords des villes. Donc, apprendre à faire du vélo supposait d’aller jusqu’à la voie ferrée par des petits chemins à travers champs. Nous voilà partis, mon père et moi, pas peu fière sur mon petit vélo ; débuts du périple sans histoire dans mon souvenir ; on arrive au passage à niveau fermé par la garde barrière à la manivelle bien sûr. Et je ne sais pas ce qui s’est passé au juste, je me retrouve à genoux dans une belle bouse de vache encore toute chaude, au parfum d’herbes. Ça aussi, je ne sais pas si vous savez, mais rien à voir enfin à sentir, entre l’odeur de cet emplâtre herbeux et gluant et celle de la vieille bouse aplatie séchée sur les chemins. Ce que fit mon père je ne sais plus, mais j’ai encore, si longtemps après, la sensation d’avoir été très vexée comme on disait chez moi... Je crois bien qu’il m’a dit « le métier rentre ! » Cet homme merveilleux et si tendre avait aussi de l’humour...l’humour béarnais.

 

En refermant la fenêtre, j’ai bien ri à ce souvenir. Vexée et ridicule !

 

Une des premières M… de ma vie si j’ose dire. Et basta on est confinés, on se lâche !