Le voyage m’est apparu long et fatigant, à l’arrivée pour parfaire la situation il pleuvait sur Paris.

Je ne vous explique pas les chocs : la météo, le ciel bleu azur disparu, le bouleversement des senteurs et la rupture de la solitude. Voulant marquer la transition j’ai décidé de partir à pied, mais j’ai dû abandonner ce choix après une demi-heure de marche, le crachin furtif avait fini par traverser mes vêtements.

An Binh m’a contemplé l’air accablé, mon allure de chien mouillé rentrant de la chasse l’avait effondré. « Tu n’en manqueras jamais une ! a-t-elle ajouté en me frictionnant la tête avec une serviette de toilette, une capuche ou un parapluie tu ne connais pas. »

Notre discussion s’est poursuivie devant un petit déjeuner copieux avec lard et œuf sur le plat du meilleur effet.

Nous n’avons pas abordé tout de suite le pourquoi de mon retour anticipé, elle m’a regardé manger. 

  • Les cheveux coupés court et le bronzage te vont très bien. Ce séjour t’en as profité pour te reposer au moins, as-tu pris le temps de dormir ?

Elle a dû sentir qu’elle commençait à m’agacer, aussi a-t-elle changé de sujet.

  • Tu sais les enfants sont adorables mais il va falloir trouver quelqu’un pour s’occuper d’eux, à quatre ils sont infernaux. Elle venait d’expliquer sans le dire que Cloé et Rébecca étaient toujours là avec nos petits argentins.
  • En plus entre eux ils ne parlent qu’espagnol pour qu’on ne les comprenne pas et font un charivari de tous les diables !
  • Et les mères là-dedans qu’est-ce qu’elles font ?
  • Les mères tu en as de bonnes toi, les mères des garçons tu connais la situation quand même. Celles des filles viennent lorsqu’elles en ont le temps et complètent le roulement.
  • Alors si j’ai bien compris, tout roule.
  • C’est intelligent comme réponse, tu comprendras à l’usage.

 

C’est l’instant que les enfants choisirent pour déboucher dans la salle et me sauter au cou, dans des moments pareils on ne peut qu’être faible.

An binh est partie s’enfermer dans le cagibi qui lui sert de bureau dont elle n’est ressortie qu’une fois la paix revenue. Elle avait en main une enveloppe kraft cachetée. 

  • Tiens un porteur a vélo est venu déposer cela pour toi.

Une grande enveloppe kraft, portant mon nom et celui Roxanne et l’adresse du restaurant, j’ai compris que la promesse qui m’avait été faite était tenue. Cependant quelque chose clochait. Nous avions convenu de nous revoir à mon retour pour qu’elle me remette en mains propres les documents, ce qu’elle n’avait visiblement pas eu envie de faire.

J’ai ouvert l’enveloppe, comme convenu elle contenait : un passeport pour Roxanne, le certificat de décès de son mari et des passeports pour les jumeaux.

Ces documents présentaient tous les aspects de documents officiels ce qu’ils étaient vraisemblablement alors que le régime en Argentine avait changé de mains, les réseaux continuaient donc de fonctionner.

Je ne parvenais pas à comprendre pourquoi les deux garçons possédaient des passeports au même nom alors qu’ils n’étaient pas nés des mêmes parents, ni même ce que le passeport du petit Claudio Eypstein fabriquait là ?

J’ai eu un pressentiment quand j’ai découvert une enveloppe cachetée dans le passeport de Roxanne. J’ai laissé là mon petit déjeuner et je suis parti en courant.

Je savais bien que ma démarche était vaine, que Maria Eypstein devait être loin et qu’avec le tour de passe-passe des passeports il ne serait pas possible de la retrouver.

La concierge m’a confirmé son départ trois jours après ma descente dans l’Ardèche ce qui prouvait qu’elle avait quelqu’un qui me surveillait.

Je suis repassé au restaurant récupérer les documents afin de me rendre à l’hôpital retrouver Roxanne et écouter ce qu’elle avait à me dire de si urgent, j’augurais mal de ses réactions ne connaissant pas le contenu du courrier qui lui était adressé.

En définitive notre rencontre s’est déroulée dans une paix un peu tendue. Elle était mieux, on percevait qu’elle avait repris du poids, ses joues même sans maquillage avaient retrouvé quelques couleurs.

On lui avait coupé les cheveux très ras à la garçonne ce qui lui allait bien. Et le plus important, ses yeux avaient retrouvé leurs feux intérieurs ce qui compensait une tenue d’hôpital bien peu seyante.

Quand je suis entrée elle dormait ou peut-être simulait-elle, je me suis assis sur une de ces chaises inconfortables en lanières plastiques que l’on trouve en ces lieux et qui vous scient le dos et les cuisses. Dans le hall en prévision d’un contretemps possible j’avais fait l’emplette d’un journal, et j’ai attendu.

Elle n’a pas résisté longtemps.

  • Ah ! vous êtes là, excusez-moi, je m’étais rendormi.

Ce n’était pas grave si elle avait besoin d’un biais pour entamer la conversation, il était important de lui en laisser la possibilité.

  • Je trouve que vous avez bien récupéré, votre fils va bien je le quitte à l’instant.

Elle n’a pas répondu reprenant son un air fermé, pour lui laisser le temps de récupérer je lui ai tendu l’enveloppe.

  • Qu’est-ce que c’est ?
  • Ouvrez, vous le verrez bien.

Elle a immédiatement saisi l’enveloppe cachetée qui portait son nom.