J’ai compris qu’il s’était produit un incident quant à sept heures en me réveillant j’ai réalisé qu’il ne m’avait pas rappelée. Vous savez ce sixième sens que l’on prête aux femmes. Et puis j’ai commencé à me sentir glacée.

Peut-être était-ce simplement qu’il n’avait pas jugé utile de m’appeler. En fait, nos liens sont ténus et il ne m’a jamais laissé entendre qu’il pourrait se passer quelque chose entre nous. 

De mon côté, chaque fois qu’il s’est approché de moi, je me suis écartée. La veille au soir, je l’ai appelé, j’avais besoin de lui, de l’entendre ce qui est en contradiction avec d’autres aspects de mon propos.

Il n’était pas disponible, je dois avouer que je ne l’ai pas supporté même si j’ai joué à celle qui était heureuse de l’avoir entendu. J’ai compris que c’était à propos des enfants et de Roxanne qu’il devait se tenir prêt à intervenir. J’étais consciente que s’il ne s’était pas entiché de cette histoire, Dieu sait ce qu’il serait advenu des enfants. 

Et là, au moment où ses efforts aboutissent, qu’ils sont sauvés je fais preuve d’une mauvaise foi grandiose. En y repensant je me sens très mal. Acceptera-t-il seulement d’écouter mes explications surtout que je n’en aurai pas beaucoup à lui donner.

Je finis par me demander si j’accepterais l’idée d’avoir quelqu’un en permanence dans ma vie, enfin entendons-nous bien, quelqu’un à mes côtés. Je crois que ma fille me suffit, à nous deux nous formons un tout. Dans un tout, il est difficile de faire entrer un tiers, c’est notre vie à deux, je l’assume. Pourtant la nouveauté c’est que depuis des mois Claude et moi travaillons et réfléchissons ensemble, à terme cela a permis de créer des liens.

Dix heures trente, toujours pas de nouvelles, je commence à prendre conscience que ce garçon me conduit à me ronger les sangs. Je ne suis plus seulement inquiète je suis malade de peur. L’épisode Fred est encore dans ma mémoire, pendant des jours après sa mort il n’a pas été abordable, ravagé qu’il était par son chagrin et sa culpabilité.

J’ai laissé un message au restaurant car je n’avais trouvé personne pour me répondre. Juste un des membres de l’équipe : Oui je sais qui vous êtes, vous étiez à la soirée, la maman de Reb, non il n’est pas là.

On m’a promis de me rappeler si l’on obtenait de ses nouvelles, je n’y crois guère. Que puis-je entreprendre d’autres, c’est dans ces instants qu’on s’aperçoit que l’on ne connaît que peu de gens sur qui il est possible de compter autour de soi ?

Chez lui, rien, le téléphone sonne toujours dans le vide.

J’ai failli aller chercher Rebecca à l’école pour ne pas rester seule, et puis je me suis sermonnée, ma fille tu commences à être sérieusement débranchée ! Ce qui m’a retenu plus que mes réflexions personnelles c’est l’idée que l’on puisse m’appeler en mon absence.

Ma décision était la bonne car à treize heures trente Salomé a sonné. Ouf, sur l’instant je me suis sentie mieux, mais en attendant son récit j’ai cru défaillir. Elle ressemblait à un épagneul retour de chasse aux canards.

Elle a repris le récit de la soirée au moment de notre départ du restaurant, comment avec Sara elles avaient été chargées par Claude de surveiller Roxanne en raison de sa crainte qu’elle puisse tenter de se suicider suite à la libération des enfants.

Puis elle a continué par la phase où il leur avait demandé de rentrer chez elle, lui-même assurant la suite de la filature. Heureusement ajoute-t-elle qu’elles n’avaient pas obtempéré, prenant sur elles de suivre les protagonistes jusqu’au bord de la Seine où elles ont assisté en direct au saut de Roxanne dans le fleuve.

Dans la pénombre Claude ne les avait pas reconnues, elles l’ont entendu hurler de prévenir la police alors qu’après s’être partiellement dévêtu il sautait dans le fleuve à son tour.

J’aurais voulu l’interrompre pour savoir s’il allait bien, en fait qu’elle me dise s’il était vivant, mais elle suivait sa logique et déroulait son histoire. En réalité j’étais terrorisée à l’idée d’apprendre ce qu’il était advenu tant il m’apparaissait évident qu’il ne pouvait que s’être noyé.

Je me suis mordu le pouce jusqu’au sang avant de l’entendre me rassurer.

Sara avait couru téléphoner à la police, la cabine était loin et ne fonctionnait pas très bien, mais le contact avait été établi : fourgon de police et brigade fluviale étaient en route. 

De mon côté, ajouta-t-elle, j’ai sauté à l’eau sans trop réfléchir après m’être déshabillée, heureusement sans vêtements mon crawl m’a permis de rattraper Claude.

Je n’ose l’interrompre, l’imaginant trois quarts nue sautant dans la seine, aurais-je eu ce courage ? N’ayant aucune notion de sauvetage en eau libre je crains que dans ce cas nous ne nous soyons noyés tous les deux. Romantique à souhait mais pas très efficace et puis la pensée de Rébecca abandonnée m’aurait peut-être empêché d’agir.

 Salomé poursuit son récit.

  • Arrivée au bord de l’eau, je ne l’ai pas vue, j’ai plongé et l’ai heurtée en nageant, il dérivait entre deux eaux. Le ramener en surface n’a pas été une mince affaire ses vêtements imprégnés d’eau l’entrainaient vers le fond. Il ne se débattait pas, il était inerte, on ne ressentait plus de trace de respiration. Je l’ai bloquée contre moi tout en lui maintenant la tête au-dessus de l’eau, le problème étant que dans ces conditions c’est moi qui commençais à couler, et à avaler l’eau de la Seine.

Arrivée au pied d’un escalier ses forces l’avaient lâchée, donc plus la force de remonter sur la berge. Le froid commençant à la paralyser. Elle avait entendu les cris de Sara et aperçu les lueurs de torches elle avait crié avant de s’évanouir.

Elle poursuit 

  • Nous étions en état d’hypothermie, lui surtout et il avait déjà avalé beaucoup d’eau, au départ personne ne semblait optimiste sur les chances de parvenir à le ranimer. Puis les pompiers sont arrivés à leur tour et avec leur technique de réanimation ils ont dit qu’il fallait insister, après un très long moment je l’ai entendu qui toussait la partie était gagnée.

Assise sur le bord du canapé je pleure comme coule la Seine, pour une fille qui se contente d’une relation exclusive avec sa fille mes réactions sont hors normes. Et alors ! en quoi cela regarde les autres. J’ai saisi Salomé par les épaules et la serrant contre moi, je la berce doucement, alors qu’en en fait c’est moi qui en ai besoin.

Il faut se ressaisir, Salomé porte encore sur elle les relents de la Seine et ses cheveux sont tout poissés. Je l’installe dans la salle de bain, - Prends ton temps je te sors de quoi te changer, nous sommes à peu près de la même taille, mais tu vas flotter je suis plus ronde que toi.

Cette fille est belle je ne connais pas son parcours mais elle ressemble à un Botticelli, elle essaye tous mes pulls, mes chemisiers, un jean, après la nuit qu’elle a vécue elle tout de même les traits marqués.

Pendant qu’elle était sous la douche je suis allée nous chercher des croissants et j’ai préparé du café, nous pouvons nous détendre et retrouver des fous rires.

Quand elle commence à piquer du nez, je l’installe dans ma chambre après avoir débarrassé le lit de tout ce qui y est entassé, livres, dossiers, peluches de Rébecca. Encore n’y a-t-il pas de chat, au grand désespoir de la petite qui m’en réclame un dès qu’elle en aperçoit dans la rue.

  • Au fait tu ne m’as pas parlé de Roxanne.
  • C’est que son cas est plus compliqué, la brigade fluviale a rencontré des difficultés pour la retrouver, elle était dans un état désespéré quand j’ai quitté l’hôpital. 

Sur quoi le sommeil l’a engloutie, allongée sur le dos les bras en croix, les cheveux entortillés sur le visage.

En revenant de l’école avec Rebecca, nous l’avons retrouvée endormie, elle avait tiré la couverture sur ses jambes et dégagé son visage de ses cheveux humides, elle semblait sereine.

J’ai rencontré bien des difficultés pour obtenir Sainte Perrine l’hôpital où on les avait transportés dans la nuit, mais une fois le contact établi, on m’a renseigné fort aimablement.

Claude était toujours en soins intensifs son taux d’oxygénation du sang n’ayant pas retrouvé un niveau normal, ce n’est pas trop inquiétant, si ce n’est qu’il semble prostré et sans réaction. Ils avaient décidé de le garder quelques heures en observation.

Quant à Roxanne, elle aussi en soins intensifs son état semblait plus problématique et rien n’indiquait encore qu’elle soit tirée d’affaire, il fallait attendre et espérer qu’elle sorte du coma.

Rebecca est venue me tirer de mes réflexions.

  • C’est qui la dame dans ton lit ?
  • C’est une amie très gentille. 
  • Je peux la réveiller.

Et sans attendre ma réponse elle fonce dans la chambre et saute sur le lit comme un jeune chiot, le contact est établi, j’entends les rires.