Il est 8 h 15, le patron vient de remonter les volets roulants du bistrot. Les lumières intérieures clignotent puis une à une se mettent en marche. une odeur de javel flotte dans la pièce où l'on découvre, sortant de la pénombre, des tables et des chaises bien alignées comme des petits soldats entourant le zinc rutilant où une multitude de bouteilles bien alignées et de toutes les couleurs flanquées de rangées de verres à pied suspendus le pied en l'air où les lumières se reflètent en donnant des nuances multicolores.
Au centre la machine à café lâchant des jets de vapeur comme une locomotive prête à bondir, vient rompre le silence matinal... Une multitude de tasses bien alignées, posées sur des soucoupes et flanquées d'une petite cuiller, d'une poche de sucre et d'un petit chocolat attendent patiemment les premiers clients.
Pierrot, un habitué, s'installe comme de coutume sur le coin du bar, debout, un œil sur son journal et l'autre sur la l'écran télé qui diffuse des infos en boucle.
- Patron, comme d'hab’, un petit café et une goutte de lait, avec une sucrette s'il te plait, car il parait que le sucre c'est pas bon pour la santé ?
- Bah, dit Claude, le tenancier, si ça continue, il va falloir fermer la porte... Plus de sucre, plus de tabac, plus de pain... plus de gras, plus d'alcool...
- Surtout, dit Pierrot, je n'ai pas l'impression que toutes ces restrictions soient très efficaces : on n'entend plus parler que de cancers, crises cardiaques, etc...
- Et pourtant dit Claude, regarde sur le marché, on ne voit plus que des maraichers bio, des fruits bio, des vins bio. Va donc vérifier tout ça... même le boucher s'y est mis, j'ai vu qu'il vendait uniquement de la viande issue de producteurs bio.
- Oui dit Pierrot, mais pour ça faut qu'elles ne "bouffent" que de l'herbe bio ?
Tout en discutant, tous les deux ont les yeux rivés sur le petit écran : effarant ! des personnes réfugiées sur les toits ; de l'eau jusqu'au premier étage... des voitures, des caravanes projetées contre les arbres... des ponts emportés... des rues devenues rivières. Les secours circulent en bateau à moteur.
- S'il n'y avait pas la télé dit Pierrot, on ne pourrait pas le croire. C'est impensable ! Comment a-t-on pu construire des maisons dans ces zones inondables ?
- Pas du tout, dit le patron, ces quartiers sont centenaires ! C'est plutôt un manque d'entretien de la voirie où des fossés... Quand même : 250 mmm d'eau en 1 heure, c'est imparable. De plus, j'ai entendu hier soit, dit le patron que ces quartiers sont tricentenaires. Il a même été retrouvé dans les archives des "marques" sur les murs des maisons lors d'une crue terrible en 1912, encore plus hautes que les crues actuelles. Alors ? Il n'y avait pas de bitume à cette époque...
- C'est à n'y rien comprendre dit Pierrot. Tiens, remets-moi un jus... Oh puis non, il parait que la caféine c'est pas bon pour le cœur... Nous, cela ne risque pas de nous arriver des inondations de ce genre, dit-il en montrant du doigt la montagne proche...
- Bien sûr, dit le patron, mais j'ai entendu dire qu'avec cette sécheresse la neige ne sera pas au rendez-vous cette année. Ce serait la catastrophe !
Pierrot glisse ses 1.30 euro sur le comptoir et sort en grommelant... On vit quand même une drôle d'époque..