Espérer une éclaircie ! Que le soleil reviendra. Après des événements douloureux, après avoir dû encaisser des violences, des perfidies, des réactions de jalousies ou d’envies, elle décide de partir, de fuir et de se mettre en marche. Voici 28 jours qu’elle chemine et ne fait plus qu’un avec son sac à dos, ses chaussures et ses bâtons. Aujourd’hui, elle avance sans se presser, bercée par un balancement régulier, sur un rythme à deux temps. Elle ne cherche plus à aller vite, elle respecte sa propre cadence. Elle sait qu’elle arrivera le soir. Où ?  Ce n’est plus une question, elle trouvera un gite, une chambre d’hôte. Aucune préoccupation ne vient l’importuner. Sur ses épaules, son sac à dos de seulement quelques kilos, l’a allégé de la pesanteur du quotidien, du poids des soucis. Quelques informations sur le monde lui parviennent de manière lointaine à partir d’une télé allumée au fond d’un café, mais elle ne se sent pas concernée. C’est comme si les drames, les conflits glissaient sur elle après lui être parvenus amortis par des enveloppes protectrices, douces et moelleuses.

Elle découvre qu’elle a un passeport pour un monde de convivialité. Elle est intégrée à la famille des sacs à dos, à la fraternité des godillots. Peu importe l’origine, la langue, le sexe ou l’âge, tout de suite on se sourit, on se salue, on échange, on partage ses impressions ou un bout de pain et du fromage.

Elle a suivi la côte, elle était un bois flottant portée par le mouvement régulier des vagues. Dans sa tête, elle chantonnait accompagnée par le bruit des vagues, l’air marin emplissait ses poumons. Maintenant, dans la Galice, terre d’élevage et de forêts, elle est pénétrée par les odeurs fortes, puissantes et caractéristiques des vaches et du fumier, si bien que les chiens ne se donnent même pas le peine d’aboyer à son passage. Dans ses vastes forêts d’eucalyptus, elle est accompagnée par le chant des oiseaux et elle se sent comme une feuille emportée par le vent.

Depuis 28 jours, sa cape et son Goretex sont restés pliés au fond du sac. Un soleil doux, chaleureux l’accompagne depuis le début. Mais aujourd’hui, le ciel est bas, les nuages masquent l’horizon, il n’y a pas un coin de ciel bleu. Une fine bruine semble vouloir s’installer durablement. Mais pluie du matin n’arrête pas le pèlerin, elle est équipée. Bientôt, il pleut à verse, elle se glisse sous sa longue cape qui lui donne un profil de petite bossue et elle avance. À midi, elle n’est pas la seule à se réfugier dans une auberge le temps d’avaler un sandwich ou une part de ces gâteaux faits maison. La pluie persiste, au chaud dans le café, elle apparaît encore plus sinistre, plus effrayante, plus redoutable mais il n’est pas question d’appeler un taxi. Chacun établit un constat :

-       Je suis déjà trempé.

-       Moi ça va à part les pieds.

On regarde le guide, on évalue la distance avec la prochaine auberge. Puis chacun reprend la route. Beaucoup s’arrêteront au premier gîte, elle préfère poursuivre.

Le paysage change, de larges dalles de granit tracent son chemin qui monte au travers d’une colline, dans un paysage de landes. Des fougères semblent se réjouir de la pluie, elles s’inclinent, s’agitent dans une danse où elles voudraient entrainer les bruyères. Les ajoncs et des genévriers rabougris, au contraire ont un air sinistre. Ballotés, échevelés au gré du vent ils semblent lutter, courageusement, ils se tordent, se plient sans se rompre.

En haut de la colline, les éoliennes se dressent comme des fantômes inquiétants. Leurs bras s’agitent dans une rotation rapide, comme pour la dissuader. De flaques d’eau de plus en plus profondes s’étalent sur toute la largeur du chemin. Éviter de se mouiller les pieds ! Elle les traverse en se mettant sur la pointe des pieds puis elle essaie de marcher sur les talons. Mais bientôt, le chemin devient un torrent, l’eau dévale la pente, elle passe par-dessus les chaussures. Tout cet environnement c’est « les hauts de hurle vent. » Elle éprouve un puissant sentiment de solitude qui la dynamise « je vogue sur les flots à contre courant. » Elle se sent minuscule dans ce décor de désolation, et pourtant elle trouve un certain plaisir, la pluie ne la gêne plus, elle avance avec le sentiment de tenir debout dans un univers déchaîné. Elle ne voit pas le temps passé et arrive sur la route qui la conduit à l’auberge. 

A l’intérieur, il fait sombre, les vitres sont embuées, juste une ampoule diffuse un halo de lumière. Elle pousse la porte et est aussitôt accueillie par des rires et des applaudissements. C’est le rite pour chaque nouveau arrivant. Elle n’ose pas bouger, elle se sait crottée, trempée, toute dégoulinante. Mais très vite, on l’entoure, l’accueille, l’aubergiste vient lui retirer sa cape qu’elle ira étendre sous le préau, Marcel a déjà une bière pour elle, il fait chaud, du linge est étendu un peu partout, près des radiateurs, des chaussettes, des pantalons, des bérets, et surtout, au fond de la pièce : un grand feu dans la cheminée. C’est le paradis après l’enfer. Tout est prévu, le papier journal pour faire sécher les chaussures, la douche et l’odeur de cuisine, l’aubergiste leur a préparé une soupe et une potée.  

Chacun raconte son chemin, avec des gestes, Dick, un Hollandais demande si elle a nagé pour traverser les flaques. Hanna, une finlandaise, la cinquantaine, aux rondeurs maternelles lui fait comprendre qu’elle peut lui faire un massage des pieds.

Elle se laisse aller dans cette douceur. Seule Française, elle a le sentiment d’être entourée d’amis. Demain, tous repartiront pour une autre étape, mais c’est sûr il y aura du soleil.