Les hivers quelle galère, c'était son crédo habituel, mais en ce printemps assise dans une chaise longue sur la terrasse et se remémorant les dernières semaines elle sourit en pensant "le soleil revient, le ciel s'éclaircit"

Quand les temps sont froids et humides, que les chemins sont boueux voire durcis, ou cachent une couche de glace sous la neige, il y a une forte propension à vouloir se choisir un bon fauteuil et à s’installer au meilleur emplacement pour profiter du feu dans l'âtre.

Que voulez-vous cela ne dure ! à regarder danser les flammes on finit par se laisser dévorer l’âme et le cœur et tout le toutim...

Cela commence souvent par une rumination lente quand la vie vous revient entre les dents et que méthodiquement, vous la mâchouillez comme un morceau de poulpe.

S’il vous reste quelque énergie, il demeure pourtant un bon moyen de se sauver le moral à défaut de sauver son âme. Invitez vos amis et connaissances les uns après les autres à venir partager un après-midi avec vous, pour boire thés ou tisanes, avec l’obligation de livrer mille horreurs sur ses amis et connaissances.

Il faut savoir procéder par séquences et organiser ses invitations de manière à constituer progressivement une boulette, que dis-je ? une énorme bulle gonflée de tout ce que les uns ou les autres vous auront confié.

Le décalage entre les rencontres présentant l’avantage de pouvoir utiliser avec certaines ce que les précédentes vous auront raconté.

Et vous là, comme une vieille chatte sur son coussin au coin du feu, les yeux aux trois quarts fermés vous vous délecterez de toute cette gratuite cruauté, qui, si elle ne fait pas de mal, peut quelquefois faire du bien à son égo.

Hélas, toute médaille à un revers fixant ainsi les limites de cette pratique. Quand tout un après-midi on aura bien écharouillé celles qui n’étaient pas là, on ne pourra qu’imaginer ce que ces dames pourront bien raconter à votre propos lorsque vous ne serez pas présentes à leurs débats.

Retour à la case départ, vous ne passerez pas par la case bien être, et votre spleen n'aura fait qu’empirer.

Le tricot, trop prenant. Les confitures, pas de saison. Allez marcher, vous ne reculez devant rien, cruel, vous voudriez que je me brise le col du fémur, cela va de soi, en dérapant sur une plaque de verglas malintentionnée.

La lecture c'est une bonne suggestion, elle permet il est vrai toutes les évasions, mais alors évitez les histoires tristes qui vous feraient pleurer, il y va de la survie de votre cornée qui ne supporterait pas le gel.

Des histoires de vampires, ça c’est décapant à vous glacer le sang.

-       Je vous reconnais bien là, assassin vous voulez ma mort.

Par contre, les histoires d'amour cela devrait vous plaire, elles sont de nature à vous réchauffer le coeur.

Soit, mais pour un instant seulement, celui où le lecteur attend en tremblant que l'amoureux déclare sa flamme. Nous lecteurs, on a déjà tout compris et lui là, comme un grand niais qui hésite et danse d'un pied sur l'autre et explore ses états d'âme pendant des pages et des pages. Une situation que c'en est à pleurer, au point que l'on serait prêt à saisir son stylo pour réécrire le chapitre et y glisser un peu d'amour et de tendresse.

On sort de ces histoires, plus disloqué qu'avant d'y entrer et puis on sait bien que même s'il se déclare le jeune homme... ils eurent cinq enfants, elle fit la vaisselle, quel avenir prometteur.

À ce stade prudence dans le choix de ses options, la pente est savonneuse.  Il reste par exemple l'alcool et l’herbe les deux d'un apport positif dans les premiers instants. Cependant attention, car dans un second temps vous pourriez y perdre votre dignité.

Dormir, c'est une bonne option si vous le faites comme les Loirs ou les Ours blancs qui hibernent le nez dans les pattes. Mais la condition primordiale sera d'être capable de maîtriser vos rêves, sinon gare aux dérapages. Imaginez qu'ils vous entraînent dans une course en traineau dans le massif du Vercors, où que vous sortiez du bureau en chaussures plates et découvriez avec horreur, c'est peu de le dire, qu'il est tombé quinze centimètres de neige sale dans l’après-midi. Je vous laisse juge.

C'est en jouant au Scrabble avec ses amis fétiches qu'une nouvelle attira son attention. Ce jour-là, elles ruminaient en coeur, l'oeil triste, le moral ravagé par les conditions climatiques, que c'en était un cauchemar d'aller chercher son pain, vu que l'humidité vous ravagerait le brushing ou le méchage pour les francophiles.

Elle se laissa aller à leur raconter qu'elle faisait un rêve. Il se produisit un blanc dans les ruminations, puis les questions fusèrent.

-       Un rêve, explique, ou alors il fallait te taire !

-       Oui c'est vrai quoi, si tu as une idée qui nous remonte le moral, il faut en faire profiter tout le monde.

Silence, juste le craquement des langues de chat qu'elles grignotaient avec délectation en ces circonstances.

Elle est perdue dans ses pensées, repliée dans un monde intérieur dans lequel elle s’imagine mal entrainer ses complices de l'instant. Des rêves d’adolescente regardant les vedettes de cinéma sur les yachts à Cannes ou aux Caraïbes. Elle, elle n'en demande pas tant.

Elle désire juste avoir la capacité de pouvoir partir comme cela sur l'instant vers des iles ombragées par des palmiers avec la mer qui murmure en vous léchant les pieds. Non qu'elle renâcle, enfin si ! aux brouillards et au froid de l'hiver. Mais rêver c'est gratuit alors pourquoi s'en priver.

Elle finit par penser qu'elle n'a aucune raison sérieuse de refuser à ses amis de leur révéler ce désir secret. Bien modeste en effet et que beaucoup de ses contemporains doivent avoir en tête en cette période hivernale.

Elle leur livre son rêve de midinette en apportant une théière toute chaude, après avoir garni l'assiette de Chamonix orange, agacée à la fin par les craquements des langues de chat.

Pas d'effet extraordinaire à l'entendu de son rêve, toutes disent faire un peu le même. Rêver ne coûte rien sauf de vous agiter le moral dans le sens du baromètre, à la baisse.

La partie a repris en silence, accompagnée du claquement des pions et des annonces des participantes.

Soudain après un petit fou rire et parlant d'une voix cristalline, sa voisine de droite lui glisse :

-       Tu sais que ton idée existe, c'est la télé quelque chose* avec cet appareil on est capable de t'envoyer n'importe où dans le monde instantanément. Mais, s’ils ne le mettent pas en service c’est que cela ruinerait toutes les compagnies de transport.

Elles ont bien ri, chacune s’imaginant entrant dans une cabine téléphonique à Ménigoutte pour se retrouver une seconde plus tard sur la plage de Copacabana.

-       J’espère qu’ils transfèrent aussi les vêtements car je m’imagine mal débarquer nue comme un ver à l’autre extrémité de la planète, sans même mon sac à main.

-       Si au moins tu as tes lunettes de soleil...l’honneur sera sauf.

Et de rire à nouveau.

Elle a attendu que se profile une plage de silence. Et lui a demandé d’une voix à peine perceptible.

-       Et il faut procéder comment ?

L’autre ne s’est pas trouvée déstabilisée et a répondu :

-       Tu tapes ton numéro de sécurité sociale point arobase ta destination, c'est parti.

On était dans l’humour le plus fou, elles se sont quittées comme une volée de perruches la laissant seule à ses rêveries.

Ce matin elle s’est éveillée dans un lit qui lui griffait le dos, lorsqu’elle a ouvert les yeux, elle a découvert que c’était dû à des grains de sable et de petits éclats de corail qui parsemaient le drap. Ses cheveux étaient poisseux et collés de sel. Elle portait son jean de la veille et une petite étoile de mer avait trouvé refuge dans sa poche.

Elle se demanda bien ce qu’elle pourrait leur raconter pour justifier l’éclat de son bronzage.

* La téléportation