« Une fenêtre estivale s’ouvre » finale d’une météo qu’une voix éthérée vient de nous susurrer.

Très en verve elle a même ajouté l’annonce d’une température paradisiaque digne des alizés.

C’est là un message de nature à déclencher instantanément dans la partie profonde du cerveau de tout être sensible, des images de farniente, de siestes, de baignades, de nuances de peau glissant du pain grillé à l’acajou foncé.

Elle a aussi amorcé la remontée de souvenirs fruités, de ceux que l’on découvre dans un petit vin de pays dégusté en pique-nique après l’avoir rafraîchi dans une rivière, accroché à une ficelle. Mais aussi, des bulles de volupté d’une bonne bière ambrée dont l’amertume glacée vous explose dans la bouche avant que de s’enfoncer dans votre gorge, tandis que vous contemplez le gril rougeoyant sur lequel, telles des damnées se tortillent saucisses et grillades.

Rien ne sert de tergiverser pense Paul, il faut agir ! Il est assis sur le rebord de la fenêtre de sa chambre jambes pendantes dans le vide et il se perd entre rêves et conjonctures, mais le message a atteint son objectif.

Il est sûr de son charme, un mètre quatre-vingts pour soixante-dix kilogrammes, crâne rasé pour cause d’alopécie précoce qui le chagrine un peu. Il a juste enfilé un caleçon, car s’il fantasme sur la voisine, il ne veut tout de même pas être accusé d’exhibitionnisme.

Dans la vie il a choisi d’être optimiste ou peut-être l’est-il de nature, ce qui l’incite à rêver, mais aussi à agir.

Aujourd’hui, ses rêves s’organisent autour de son groupe d’amis qu’il imagine allongés dans l’herbe ou sur des matelas, les doigts encore graisseux d’avoir dévoré des grillades, après une soirée de relâche.

Parlons-en de la voisine, il ne lui a jamais parlé, ses amis lui chantent la chanson de Julien Clerc, en remplaçant métisse par voisine : « matée ma voisine ». Elles sont trois en fait, mais celle qu’il préfère est celle qui vient régulièrement jardiner. Elle se présente en bottes de caoutchouc vertes, short en jean et débardeur blanc, ses cheveux blonds serrés dans un bonnet de toile, il sait qu’elle est blonde, car du bonnet dépasse toujours un épi rebelle. Elle peut y rester des heures, bêchant, binant, ratissant, semant, travaillant comme une forcenée, elle ne s’arrête pas un instant, ne cessant parfois que pour se désaltérer.

C’est là une occasion idéale, il faut profiter de ce beau temps annoncé pour les inviter à une soirée et les présenter à sa bande d’amis.

Cette fois il est parti, il imagine une fête déjantée digne du surintendant Fouquet avec buffet, musique et jeux d’eau.

Côté vestimentaire le code vestimentaire sera plus léger qu’au château de Vaux-le-Vicomte : nu-pieds, shorts, polos et pour les jeux d’eau, maillots pour la baignade dans la rivière au bout du jardin.

Dix fois, vingt fois, il a vérifié sur l’ordinateur que la fenêtre météo promise serait bien au rendez-vous.

Il les a prévenus que la divine voisine serait présente, ce qui a suffi pour qu’ils se croient autorisés à lui tenir des propos salaces.

Les tâches ont été réparties, les filles se chargeront de la décoration, aux hommes les courses et les grillades, le buffet sera agrémenté des apports de chacun. Paul se propose pour préparer une sangria sans alcool mais aussi des boissons plus consistantes, quant à Rémi il s’est dévolu la charge d’animateur d’un soir.

Lui, il a gardé la main sur les invitations, il en rit tout seul dans sa moustache.  Il a enfin osé aborder la voisine, qui s’est montrée très heureuse, voire touchée de son attention. Elle s’est même offert de venir tondre sa pelouse, selon elle, son état ne semblait pas idéal pour accueillir les piétinements d’une telle soirée.

Quand il leur a raconté la scène, ses « potes » étaient morts de rire.

Ils devaient être dix, les intimes, avec les amis des amis bientôt ce fut quinze, pour devenir trente-cinq, et s’il n’avait pas limité les effectifs ils seraient peut-être arrivés à cent !...

C’est l’instant merveilleux du début de soirée, c’est encore le silence, la lumière sautillante des bougies dans les photophores joues sur les frondaisons alors que le jour s’échappe. Les parasols sont à la parade comme des tournesols, les nappes flottent au vent et le charbon rougeoie dans les grils, alors que les fleurs du buffet désert apportent une note pastel.

Le tempo monte doucement, quand c’est la voix chaude de Diana Krall qui vient tout à coup vous titiller l’âme.

Ces minutes, où rien n’est encore écrit, où tout est encore possible, c’est alors que les premiers invités entrent en scène, discrets ou bruyants, claques dans le dos, embrassades, les femmes sont belles, parfumées. Les hommes bruyants et les enfants parés.

Le buffet se garnit de plats mystérieux couverts d’aluminium, on y dépose des bouteilles à rafraîchir avec de précieuses recommandations. Les enfants n’osent encore courir ni crier, ils déambulent comme des chats explorant tous les recoins possibles pour y tracer leurs nouvelles frontières.

Les premières questions que posent les hommes à leur arrivée portent évidemment sur la voisine : - alors la voisine, c’était un gag ?

Tout le monde est là, ne manquent plus qu’elles, car en définitive elles seront présentes toutes les trois.

Elles apparaissent enfin au bout de l’allée, s’avançant l’une derrière l’autre, celle qu’il appelle la voisine marche quelques pas derrière.

Souriantes, détendues, elles lui ont apporté des fleurs et il entend glousser dans son dos.

-       Bonsoir, nous sommes les petites sœurs de la communauté de Bethléem !

Ses oreilles bourdonnent, ses yeux clignotent, son cerveau lui envoie des signaux contradictoires.

Pour se consoler, il pense qu’il a peut-être investi sur l’avenir.

Il a peu mangé, beaucoup bu, trop, beaucoup dansé, pour s’étourdir, trop, sans pouvoir se libérer pleinement.

Alors que l’Orient rosit et que le silence reprend possession des lieux, une voix derrière lui murmure : - pour une bonne sœur, elle est sympa ma sœur.

Il lui semble qu’à cet instant les oiseaux se sont remis à chanter.