« Une fenêtre s'ouvre, tout va bien ».

Et il faut écrire quelque chose d'optimiste.

            Ce n'est pas la même chose que « j'ouvre une fenêtre ». Il y a forcément quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui a besoin d'air. Peut-être un peu claustro, ou alors enfermé. Un moine. Un détenu. D'ailleurs il faut savoir si la fenêtre s'ouvre sur le dehors, sur l'aventure et l'inconnu, ou sur le dedans, et que l'on entr'aperçoit les tourments et les espoirs de l'âme.

 

            Ou bien je suis là, moi, devant cette maison, j'ai besoin d'aide, j'ai sonné au hasard, et comme il fait nuit, avant d'ouvrir la porte, pour ne pas prendre de risque on a ouvert la fenêtre et on me demande ce que je veux. J'ai peut-être eu un accident. Je suis seul, et cette silhouette à la fenêtre, c'est l'autre sans lequel je ne m'en serais pas sorti, l'animal social qui va me tirer de ce faux-pas.

 

            Ou bien je me suis perdu en montagne et j'ai marché jusqu'à ce que je distingue une lumière dans ce hameau, je me suis écorché les jambes, les bras, j'ai soif, j'ai faim, on m'attend au gîte, on doit s'inquiéter pour moi, là, je vais pouvoir appeler. Oui, je sais, c'est un peu la même chose que le scénario précédent, mais je peux dérouler l'histoire autrement, c'est une créature de rêve qui apparaît, à la fin on se marie et on a des enfants. Beaucoup, cela va de soi !

 

            C'est peut-être beaucoup plus sombre, je m'appelle Hansel, je suis avec ma petite sœur Gretel, et cette fenêtre s'ouvre, je crois que tout va bien mais c'est la maison de la sorcière qui va m'engraisser pour me manger. Comme quoi on peut se croire accueilli, mais l'autre, parfois, c'est dangereux ! Zut, ça, je n'ai pas le droit, il manque un ingrédient, l'optimisme.

 

            Ou alors, je suis devant mon ordinateur, et je sèche ! Il faut absolument que j'aie fini ce texte avant le 14 juillet, mais j'ai des tonnes de choses à faire, et pas l'ombre d'une idée, à part celle de tricher. Je vais ouvrir un nouvel onglet, et je vais noter la phrase inductrice. Et aussi : optimisme. Il y aura bien quelque journaleux, écrivaillon ou simple quidam qui aura brodé là-dessus quelque part, je n'aurai plus qu'à copier-coller, ni vu ni connu. Hélas, mon internet n'est bon qu'à se regarder le nombril ! D'emblée, il me propose « une fenêtre qui s'ouvre, comment la supprimer définitivement », ou mieux « il y a une fenêtre de pub qui s'ouvre à chaque clic ». A croire que l'ordinateur ne connaît pas l'ossature en bois avec des carreaux. Ah si, j'y arrive, après avoir déroulé au moins quatre pages, et là, que des questions pratiques, et guère de littérature !

 

            Bon allez, je m'y colle :

            Depuis des mois, Lucien aime Lucette en silence. A la bibliothèque oû ils travaillent tous les deux, la côtoyer est à la fois bonheur et souffrance.  La voir évoluer dans les rayons, s'absorber dans la lecture d'une jaquette,  monter sur un escabeau, elle a de si jolies jambes...Mais chaque lecteur qui vient faire enregistrer ses livres est un rival potentiel. Celui-là, tiens, cela fait bien dix minutes qu'il l'entretient, n'allez pas lui faire croire qu'ils parlent livres !

            Quand ils se croisent dans l'ascenseur, qu'ils déjeunent au restaurant administratif, il prend bien soin de ne pas la frôler, pour ne pas se trahir. Car Lucien est un grand timide. En présence d'une femme, il rougit, bégaie, bref, il perd tous ses moyens. C'est pourquoi, à bientôt 35 ans, il vit seul, et ne connaît de l'amour que ce qu'en écrivent les autres. Là, il veut passer aux travaux pratiques. C'est Elle, il en est sûr. Mais comment faire pour lui déclarer sa flamme ?

            Il est allé jusqu'à la suivre, il voulait voir où elle habitait, un petit pavillon en meulières avec un jardinet, des roses trémières, un univers suranné qui lui va bien, et dans lequel il se verrait bien vieillir en sa compagnie. Il a un peu honte de faire ainsi le limier, quand d'autres l'auraient tout simplement invitée à prendre un verre, mais il a eu beau essayer, les mots sont restés coincés. Tout ce qu'il partage avec elle est strictement d'ordre professionnel.

            Aujourd'hui, il est encore là, devant chez elle. Bien qu'habitant à moins d'un kilomètre, cela fait trois heures qu'il déambule. D'abord, il s'est arrêté devant une boulangerie, mais non, venir avec des croissants, il l'a lu, cela ne se fait qu'entre amants déclarés. Quant aux fleurs, n'en parlons pas ! Il est entré dans un bar prendre un café, car il a pensé que venir trop tôt le matin, c'était inconvenant. Mais trop tard, ce serait s'inviter à déjeuner. Sa timidité, une vraie maladie, je vous dis ! Il est allé faire un tour au parc, bref, il tergiverse. Il va vraiment devoir franchir le pas, il ne peut pas la laisser sans carte bleue et papiers jusqu'à mardi !

            Car elle est là, l'aubaine. En faisant la fermeture la veille au soir, il a trouvé son portefeuille près des patères. Il l'a reconnu tout de suite, mais elle était déjà partie depuis un moment, et bien sûr il n'est pas sensé avoir ses coordonnées. En rougissant, il l'a ouvert pour trouver une adresse qu'il connaît déjà, car comment expliquer autrement sa démarche ? Il a jugé déplacé d'y aller aussitôt, il était presque vingt et une heures. Il se demande maintenant comment elle va se comporter, va-t-elle l'inviter à rentrer, ou le recevra-t-elle sur le pas de la porte ? Il a cru comprendre qu'il ne lui était pas indifférent, mais...

            Allez, il se lance, et sonne. Une fenêtre s'ouvre, tout va bien.

 

            C'est traître, l'optimisme ! Je n'arrive à écrire que des histoires mièvres... J'aurais aimé une fin bien glauque, du genre : Lucette a délibérément laissé tomber son portefeuille en quittant le boulot, elle a élaboré un plan pour déflorer ce nigaud de Lucien, elle en a marre de le voir rougir et se décomposer chaque fois qu'elle lui adresse la parole, ensuite elle reprendra sa vie d'amoureuse à tous les vents !

 

            Une page d'écriture s'ouvre, et avec elle toutes mes élucubrations...