Il y a cette image entre eux de la maladie. Assis bien sagement sur des chaises dépareillées disposées sans soin le long des murs, dans cette salle surchauffée et sans aération (bien peu hygiénique pour une salle d'attente médicale), chacun fait mine de consulter soit un portable soit encore un carnet de rendez-vous... ou feuillette furtivement une revue datant de plusieurs années, mais dans ce silence pesant, on sent bien ce phénomène sournois d'observation...

 

Je me risque à lever les yeux vers les gens assis en face : j'ai l'impression qu'ils me voient sans me voir. Pourquoi sont-ils ici ? un gros rhume ? un renouvèlement de médicament ? Pour consulter un résultat d'analyses ? Va savoir. C'est peut-être très grave, il y a tellement de maladies graves dans ce monde où, parait-il la médecine avance à grands pas... Un moment je retiens ma respiration, ils sont peut-être contagieux, va savoir ? Le temps se faisant long, je lorgne une revue mal rangée sur la petite table du centre. Mais, au moment de la saisir, j'hésite : peut-être qu'une personne très contagieuse l'a feuilletée avant moi en mouillant son doigt pour tourner la page... 

Sursaut, un médecin de ce cabinet, qui en compte quatre, ouvre la porte à grand bruit et une patiente emmitouflée en sort en toussotant. Au-revoir, Madame Durand, n'hésitez pas à revenir si ça ne s'arrange pas.

 

Monsieur Paul, c'est à vous.

Un monsieur bien mis se lève et serre la main du médecin en l'appelant par son prénom également. Puis le calme pesant revient. Il me trotte dans la tête des milliers de pensées, de maladies, de visites du médecin quand j'étais petit, au fond de la campagne. Il arrivait en voiture (c'était bien le seul à posséder une) la nuit tombée, avec sa grosse sacoche en cuir et ses chaussures brillantes et bien cirées. Toute la famille avait droit au stéthoscope glacé. Son beau costume sentait le médicament ; ça faisait au moins trois jours qu'on l'attendait. C'était le facteur qui l'avait prévenu car nous n'avions pas de téléphone, bien sûr.

 

D'un coup sec la porte s'ouvre à nouveau : Pétronille ! c'est à vous !

Je me lève rapidement avec l'impression que chacun m'épiait et en se posant la même question : que peut-il donc avoir ? Il n'a pas l'air très malade... À la sortie de son cabinet le médecin qui m'accompagne à la sortie lance : " Pour l'arrêt de travail, voyez avec ma secrétaire, elle vous le fera parvenir ! ".

Je détale les marches sans me retourner... en pensant un peu honteux à tous ceux qui étaient bien plus malades que moi.