Il y a cette image entre eux, image qui s’interpose entre ce couple de parents aux cheveux déjà grisonnants et leur fille qui fait, ce matin- là, son entrée en cours préparatoire. Cette image est celle d’une tête blonde aux yeux bleus rieurs, à la bouche mutine, celle d’une enfant toute en grâce, en légèreté, avide de butiner leurs baisers dès son lever.

La vision obsédante les empêche de voir la fillette qui, à leurs côtés, cache son regard noir, buté, sous une épaisse frange brune et dont le corps trapu, pesant, sur des jambes légèrement arquées, semble voué à prendre racine dans une terre qui lui sera, à jamais, hostile.

La chaleur du soleil de septembre est impuissante à faire fondre l’écran de glace qui les sépare. Parents et enfant paraissent également figés dans un face-à-face stérile et immuable.

Cette année- là, au fil des mois, la fillette parviendra, non sans difficultés, à maîtriser les différents apprentissages mais un mur de plus en plus infranchissable s’élèvera entre elle et les autres, camarades ou enseignants, qu’elle considère avec la plus grande indifférence, sinon avec hostilité.

Les bizarreries de son comportement s’accentuant font d’elle  la cible de railleries en cour de récréation avant qu’elle devienne objet de répulsion lorsque, de façon compulsive, elle ne peut s’empêcher d’immerger ses mains au fond de  la cuvette des toilettes pour, dit-elle, pêcher des poissons.

L’institutrice est désemparée face à ces parents qui, se réfugiant dans le déni, se refusent à collaborer et font preuve à son égard d’une certaine animosité. Elle ne peut pas voir la blondinette espiègle qui, sept ans plus tôt, jour pour jour, aurait dû effectuer sa rentrée dans cette même classe où, pleins d’enthousiasme, ils l’avaient inscrite dès le mois de juin. Inscription qui se révèlerait vaine puisque la petite devait tragiquement trouver la mort durant les grandes vacances.

Sept ans plus tard, la rentrée de leur fille cadette ravive indiciblement leur douleur. Ils sont dans l’impossibilité d’établir un rapport de confiance et d’amour avec cette étrangère, cette sorte de monstre qui ose usurper la place de leur ange blond.