Un cri avait retenti, bientôt suivi d'un flot de paroles et de gémissements. Puis : « Tu m'écoutes ???! ».
Tranquillement installée sur le canapé du salon, une tasse de thé à la main et feuilletant distraitement un magazine de mode, je levai à peine la tête.
« Mmm oui, que se passe-t-il ? » marmonnai-je vaguement en continuant de tourner les pages.
Non pas que ce magazine fût outre mesure captivant, mais après la soirée d'hier, j'étais lasse des attitudes outrancières de Virginie.
Pourtant le week-end  s'annonçait sous les meilleurs auspices : voici que les beaux jours étaient de retour après de longs mois d'hiver, de grisaille et de tristesse. J'avais l'impression de sortir de mon cocon et de renaître.
Et puis j'étais en compagnie de Virginie, ma meilleure amie, rencontrée au lycée. La petite provinciale que j'étais restée avait décidé de passer le week-end chez elle, à Paris. Par chance, elle était libre à ces dates et avait tout de suite accepté l'idée. Il faut dire que nous nous voyions beaucoup moins souvent depuis qu'elle avait quitté Poitiers, donc on se manquait, du moins c'est ce que je croyais ! Elle habitait maintenant un superbe appartement, très grand, très lumineux, très moderne, situé dans le XIVe arrondissement, avec vue sur le parc Montsouris. Elle l'avait meublé et décoré avec goût. Bref, elle avait bien fait d'accepter ce job ; visiblement, ça lui rapportait !
Pourtant, lorsque nous nous étions retrouvées la veille au soir, j'ai tout de suite senti un décalage, un déphasage entre nous. En sortant de la Gare Montparnasse où elle était venue me chercher, nous nous étions arrêtées à une terrasse pour siroter un Perrier citron, comme nous le faisions habituellement par le passé. Paire de lunettes sur le nez, nous étions tranquillement installées à profiter des derniers rayons du soleil de cette magnifique première journée de printemps et à échanger … sur nos vies. En fait, j'observais Virginie du coin de l’œil et ses manières de s'exprimer ; comme elle avait changé ! Je ne lui connaissais pas cette emphase, je trouvais qu'elle s'écoutait parler ; elle était devenue tellement maniérée. Ce faisant, elle sortait fréquemment de son sac un petit miroir rond dans lequel elle se regardait compulsivement et corrigeait furtivement son maquillage ou arrangeait une mèche de cheveux prétendûment déplacée. C'était maintenant, en pleine lumière, que je réalisais qu'elle était excessivement maquillée. En réalité, la conversation se focalisait sur des sujets autour de la mode, la beauté, l'esthétique, … Plus d'autre centre d'intérêt pour Virginie, semblait-il, à mon grand regret.
Plus tard, arrivées à l'appartement, Virginie s'enferma presque aussitôt dans la salle de bains « pour se refaire une beauté ». « Voici ta chambre. Installe-toi, prends ton temps, je reviens dans une minute » me lança-t-elle avant de disparaître.
Décidément, ces retrouvailles ne se passaient pas comme je l'avais imaginé. Elle n'était pas du tout préoccupée de moi, … mais d'elle ! Et en fait d'une minute, elle reparut une demi heure plus tard, l'air de rien. Le reste de la soirée se passa en discussions superficielles, toujours autour des mêmes thèmes, sans que nous ayons vraiment pu échanger au fond.
Si bien que ce matin, je m'étais réveillée fort contrariée, avec un vrai sentiment de malaise. Je voyais mon beau week-end se transformer en véritable épreuve.

Virginie sortit à demi de la salle de bains pour s'adresser à moi avec force: « Tu te rends compte, encore une ride ! Cette fois-ci c'est sûr, je vais me faire faire un lifting. Je prendrai rendez-vous dès lundi. Regarde cette horreur ! Je ne vais plus oser mettre le nez dehors avec ça ! ...».
La voyant ainsi paniquée, je me résolus à poser mon magazine et m'approchai d'elle pour constater – incrédule - l'insupportable. Je commençai à observer l'endroit qu'elle me désignait. Même en scrutant très attentivement son visage, je ne vis rien qui puisse justifier une telle attitude. Toutefois, je me gardai bien de lui avouer le fond de ma pensée, de crainte que ses réactions ne deviennent incontrôlables. Elle était bel et bien en train de faire une crise de nerfs. Je m'efforçai alors de la réconforter, de la rassurer en insistant sur tous les atouts de sa personnalité et de lui faire admettre le caractère mineur et somme toute naturel à nos âges – quoique encore très peu visible la concernant, qu'elle le croie bien ! - de ce genre d'événement. Les cris et les larmes cessèrent, mais dans le fond elle n'était pas convaincue. Pour finir, je lui proposai de sortir pour prendre l'air et se changer les idées. Mais elle resta maussade toute la journée ainsi que celle qui suivit.

L'heure vint de mon train de retour ; les au revoir échangés sur le quai de la gare furent sans effusion. Une fois les portes du train refermées, à travers la vitre, j'aperçus Virginie en train de sortir de son sac son petit miroir rond.