-       Pierre-Henri ! Que t’ai-je dit ? Ne touche pas à la rampe !

Pierre-Henri obtempère, enfin, durant quelques instants, puis tente d’échapper au regard perçant de sa mère en se glissant au premier rang du groupe des touristes. Tout en faisant mine de boire les explications du guide concernant les concrétions calcaires, il ne peut s’empêcher de faire glisser ses paumes sur la main courante métallique en un mouvement répétitif de va-et-vient.

Anne-Sophie, nullement dupe de son manège, rattrape le garçonnet et le place fermement entre son mari et elle pour terminer le parcours qui les conduit à l’embarcadère du gouffre. Puis, sans plus tarder, elle met à profit l’attente du canot pour extirper prestement de son sac, un flacon de solution désinfectante. Tout en aspergeant puis frictionnant les mains de l’enfant, elle réitère ses explications, d’une voix nouée par la contrariété et l’angoisse :

-       Je t’ai pourtant bien expliqué que cette rampe est couverte de microbes. Des microbes de tous ces gens qui promènent leurs mains dessus. Tu cherches vraiment à attraper une maladie ? Dans le bateau, c’est pareil, tu laisses tes mains sur tes genoux !

Le retour au parking se fait à marche forcée derrière une Anne-Sophie contractée et blême, tirant par la main un Pierre-Henri résigné.

Arrivée à son véhicule, elle sort précipitamment un sac de voyage de son coffre puis disparait, avec Pierre-Henri, entre ses deux portières grandes ouvertes.

Pendant ce temps, mon mari et moi, respectueux de ce qui nous semble correspondre chez eux à un besoin, certes inexpliqué, mais néanmoins urgent, d’intimité, nous nous retirons dans notre voiture et consultons la carte routière pour réévaluer la suite de notre périple.

Quelques minutes plus tard, ils nous rejoignent, les traits un peu plus détendus. Pierre-Henri a troqué le jean pour un pantalon de toile et Anne-Sophie, le sobre ensemble pantalon vert-amande pour un tout aussi sobre ensemble pantalon de toile blanche.

Tandis que les deux hommes se mettent d’accord sur l’itinéraire à emprunter pour rejoindre Rocamadour, Anne-Sophie, muette, me considère avec une stupéfaction non dissimulée. Puis, incapable de taire plus longtemps son étonnement, le regard figé les traits à nouveau pétrifiés, elle parvient dans un souffle à me demander :

-       Mais… Mais vous ne vous changez pas ? 

-       Me changer ? Non ! Pourquoi ?

-       Mais parce que tout le monde, enfin, n’importe qui, s’assoit dans les barques !

Et Pierre-Henri d’ajouter triomphalement :

-       Et c’est plein de microbes !

Devant cette femme au visage blafard, au sourire crispé, à la voix tranchante, à la rigide et impeccable silhouette accentuée par une coiffure au carré irréprochable, je sens que je rejoins, tout au moins à ses yeux,  l’immense armée de celles qui font profession de laisser-aller.

En même temps, je me félicite d’avoir su résister au désir de mon mari qui tenait à les héberger. A la vue de leur maison aux carrelages éclatants, aux plans de travail en marbre, aux nickels clinquants, j’avais intuitivement pressenti que notre maison champêtre aux chambres meublées de bric et de broc, aux parquets non rabotés sur lesquels quelques gouttières ont laissé d’indélébiles traces, ne pouvait les satisfaire.

Je me réjouis donc de leur avoir épargné une nuit de cauchemars en leur réservant une chambre dans un motel à la fois hyper tendance et hyper clean.