«  Ah ! Qu’est ce que je vais mieux maintenant quand même; je peux supporter ça ! Je peux la supporter après tant d’années ! »

Elle est derrière moi, nous sommes dans la maison de nos parents, notre maison d’enfance. Le petit bureau est toujours là, je suis assise devant mon ordinateur ; j’ai entrepris de trier nos photos anciennes. « Montre »  dit-elle.

                  Elle est derrière moi, debout, s’appuyant de tout son poids sur mon épaule, son menton pointu s’enfonce ; elle me fait mal. Je me rebelle sans un mot et je l’envoie au diable ! c’est toujours la même histoire qui recommence. Elle est là, elle s’impose, elle m’impose de partager avec elle ces souvenirs.

C’est ma cousine ; nous avons été élevées ensemble. Sa mère ma tante, la sœur de ma mère est morte lorsqu’elle avait 5 ans. Son père était parti de leur maison l’année d’avant. Jusque là j’étais fille unique. « elle n’a que nous » disaient mes parents ! Ils l’ont recueillie pour lui permettre de grandir, pour la mettre à l’abri. «Ce sera ta sœur »  qu’ils m’ont dit. On ne m’avait pas demandé mon avis.

Accueillie ! J’avais l’image d’une fleur qu’on a cueillie pour la mettre dans un autre jardin. Elle était venue d’autorité dans mon jardin à moi !  Très injuste, bien sûr, je taisais en moi que les parents seuls avaient organisé cela. Quand j’y repense ! Je l’appelais « La Glu » en moi même. Ça ne me rend pas fière ! Quelle méchanceté !

Je dépérissais de jalousie : elle monopolisait mes parents .Son arrivée fut une fête. Maman lui avait donné la chambre d’amis, celle à côté de la mienne et l’avait décorée avec enthousiasme !

Ah ! c’était fort ! j’avais 13ans et juste l’année d’avant on avait rénové la mienne. « Tu deviens grande ! Fini la chambre de bébé ! »  Ma mère, fan du bleu, m’avait plus ou moins imposé un bleu turquoise. Les mers du Sud ! Je n’avais pas envie de passer mes nuits dans un lagon ! Mais encore une fois je m’étais laissé faire. Donc, déco marine adoptée jusqu'à ce que je quitte la maison !

Séverine eut droit à une chambre de princesse toute rose avec quelques paillettes sur le ciel de lit. Elle était très fifille ; elle adorait les jupes qui tournent, les Nounours, les poupées. Avec moi, ma mère avait été frustrée, on disait que j’avais des goûts de garçon. Et elle s’en donnait à cœur joie de fanfreluches et de décors girly. Je la sentais si contente de recréer l’univers d’une petite fille. Moi, je partais vers l’adolescence !

J’étais donc très jalouse et je le cachais sciemment. J’en remettais même. Je faisais écho au plaisir général. Ma mère la surnommait « petit bonheur2 ». Adroit n’est ce pas ? Pour moi, c’était « La Glu ». J’applaudissais, je souriais et je finissais par y croire… par moments. Je ne pouvais pas avouer, ni m’avouer vraiment cette jalousie qui se résolvait en un gigantesque malaise. Séverine était comme un petit animal, tenace, expansif, gagnant peu à peu du territoire : une Fille Chat !

Dans ce qui était sans doute de la spontanéité, je voyais de la ruse et le désir de me supplanter. D’accord, elle avait perdu ses parents, rien n’était ni rose ni facile. Mais cela je l’occultais, encouragée par l’attitude des parents qui évoquaient rarement le passé de Séverine. Et elle était aussi muette sur ce passé ! Nous étions tous dans le déni ! Écarter l’inacceptable ; mais en moi que de dégâts ! Je dormais mal, je mangeais mal. Dans cette famille « Optimiste Toujours », on a mis cela sur le compte de l’adolescence. On dit que la jalousie est un sentiment dévorant. J’étais dévorée de l’intérieur.

Alors, de furieuses envies de quitter la maison m’ont assaillie. Tous les prétextes étaient bons pour prendre le large. Ma meilleure amie Caroline habitait dans ma rue ; j’allais de plus en plus souvent chez elle ; nous étions dans la même classe ; exposés, révisions que sais-je encore ! Je n’avais rien pu lui dire. Avec elle, avec ses parents, je me sentais soulagée. Et quand ils ont proposé de m’amener avec eux en Corse aux vacances d’été, j’ai réussi à persuader mes parents de me laisser partir. Baignades, rires, je me sentais accueillie pour le coup et appréciée !

Le retour a été difficile ! Je savais depuis la sixième que l’entée en seconde me conduirait en internat à Nantes : donc j’attendis. Et toujours ce malaise qui ne disait pas son nom ! Comme les chats évincés de leur logis par une querelle de territoire ! En somme, j’allais quitter la place, celle que j’estimais être « ma place ». Je sentais qu’au loin, la blessure de ma jalousie s’apaiserait.

Oui je reviendrais les weekends, oui je téléphonerais, oui je travaillerais de mon mieux. Oui ma petite sœur allait bien combler le vide de mon départ. Cette pseudo fuite, le départ silencieux du champ de mes conflits m’a pacifiée enfin. Je suis rentrée dans l’étude avec plaisir, avec bonheur. Je me suis fait des amis, J’avais l’impression de partir vers une période propice.

«  Ah ! Qu’est ce que je vais mieux maintenant quand même ! »

 

Denise Michel Labadot