Il fut un temps où je ne me levais presque plus de mon lit.

 

Pas envie de sentir le froid de la pièce après que la cheminée se fut éteinte. Brrrr... Et personne d'autre que moi dans cette maison depuis des années... A quoi bon ouvrir les volets ? Pour qui ? Bien longtemps que je n'étais plus obligé de me lever pour aller travailler...

 

Mon dernier boulot avait été transporteur pour le compte d'une messagerie longue distance. Alors vous pensez, j'avais plutôt l'habitude de me lever aux aurores : dans le transport, les journées commencent de bonne heure ! Et on en voit du pays et du monde ! J'en ai avalé des kilomètres au volant de mon fourgon ! Remarquez, la plupart du temps j'étais seul dans ma cabine, heureusement que la radio était là pour me tenir compagnie. Mais tout de même, c'est un boulot que j'appréciais, seul maitre à bord, pas de patron sur le dos...

 

Et puis, las, tout s'est arrêté ou plutôt, j'ai été obligé d'arrêter toute activité professionnelle du jour au lendemain. Le mal avait tellement progressé qu'il m'a été impossible de continuer plus longtemps à ce rythme. J'avais bénéficié d'un sursis jusque-là ; il semblait qu'à présent cette situation était révolue. La position assise au volant durant de longues heures ne m'était plus tenable. La reconnaissance d'incapacité de travail a fini par tomber, implacable.

 

Au début, j'avais trouvé cette mise au repos forcée plutôt agréable, faire ce que je voulais, quand je voulais, ne plus subir de contrainte horaire, et enfin avoir le temps d'accomplir mille choses que je ne pouvais pas caser dans mon emploi du temps habituel. Malgré la douleur et le handicap provoqués par la maladie, j'avais entrepris de terminer les finitions du salon et de rafraichir l'une des chambres. « La maison sera ainsi plus agréable au quotidien pour nous et les enfants seront mieux logés lorsqu'ils séjourneront ici », me disais-je. J'avais du cœur à l'ouvrage et même si les réveils étaient parfois longs et douloureux, je me mettais avec courage à la tâche chaque jour. Annick était contente de me voir réagir aussi bien à une telle déconvenue. Pourtant, elle savait parfaitement que ce n'était pas facile et elle m'encourageait autant qu'elle le pouvait à continuer.

 

Puis, petit à petit, une vraie pesanteur s'était emparée de moi. Il me fut de plus en plus difficile de me lever le matin ; malgré le traitement, je mettais toujours plus de temps à dérouiller mes articulations et la douleur se fit lancinante, omniprésente, ne m'offrant bientôt plus aucun répit. Je délaissai mes travaux, me disant que c'était l'affaire d'un jour ou deux, le temps que tout rentre dans l'ordre, comme cela s'était passé précédemment.

« Pourquoi en serait-il différemment cette fois ? Je respecte les prescriptions de mon médecin, je ne commets pas d'imprudence, … Annick veille sur moi... Heureusement qu'elle est là pour me soutenir ! », me convainquais-je.

 

Mais c'était bien mal connaitre les arcanes impénétrables de la maladie. À l'incapacité physique qui m'avait saisi, s'était surajoutée la déprime. À supposer que le mal me laissât tranquille, à présent, je n'éprouvais plus guère de motivation à me lever le matin. « Pour quoi faire tous ces efforts ? Les enfants ne viendront pas davantage et nous, nous continuerons à vivre dans la maison, telle que nous la connaissons depuis tant d'années... » pensais-je en mon for intérieur. J'eus bientôt la sensation d'être inutile et ne me levai plus guère de mon lit, … sauf exception. Les encouragements d'Annick n'avaient plus de prise sur moi. Je voyais tout en noir et de plus en plus noir.

Tant et si bien qu'elle commença à s'éloigner de moi, de nous...

 

Cependant, elle n'avait pas rompu le lien qui nous unissait et revenait de temps en temps me rendre visite pour prendre de mes nouvelles. Alors qu'elle venait habituellement seule, elle fut accompagnée un jour d'une personne qu'elle me présenta comme une amie. Comme je n'étais pas vraiment ravi de cette intrusion dans ma vie et que je le faisais savoir avec véhémence, l'invitée prit la parole d'une manière à la fois ferme et douce qui me surprit. Et même si je n'étais pas disposé à le faire, nous avons entrepris de converser et d'échanger à propos de tout et de rien, et puis aussi à propos du mal qui me rongeait.

 

Ce jour marqua le point de départ de ce que j'ai appelé par la suite « ma renaissance ». Dès lors, nous avions pris l'habitude de nous retrouver deux à trois fois par semaine et j'attendais ces rendez-vous avec impatience. « Ah là là, qu'est-ce que je vais mieux maintenant quand-même », me disais-je avec émerveillement, alors que le processus de rétablissement était bien enclenché. Annick s'était mise à me visiter plus fréquemment et nous évoquions l'éventualité de vivre à nouveau sous le même toit. Peu à peu, je retrouvais gout à la vie, et même si la maladie physique était toujours présente ainsi que son cortège de symptômes, mon moral - lui - retrouvait des couleurs.

 

De quoi envisager l'avenir sous un meilleur jour...