Normalement, je ne souffre d'aucune difficulté auditive, mais tout à l'heure il m'est arrivé une terrible mésaventure.

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De retour dans mon laboratoire après la pause café/cigarette de dix heures (cette sacrosainte pause pour ma collègue Maryline et moi), je croise Jean-Paul, le nouvel enseignant de physique-chimie. Il est arrivé depuis une semaine dans l'établissement, mais j'ai déjà compris qu'il est très taciturne. Je le salue et commence à plaisanter pour détendre l'atmosphère. Il répond à peine en maugréant un vague bonjour entre ses dents, puis entre directement dans son bureau en claquant la porte. Sans hésitation, j'entre immédiatement derrière lui, tenant à lui rappeler que nous devions travailler ensemble, particulièrement aujourd'hui, journée très chargée en préparations de travaux pratiques. Ce à quoi il répond de façon véhémente qu'il n'avait pas fermé l’œil de la nuit à cause de son fils, à nouveau malade.

Comprenant son désarroi, je pose ma main sur son épaule pour lui témoigner de mon soutien. Puis, je me retire en lui conseillant d'aller prendre un petit café avant notre rendez-vous de travail.

 

Je referme la porte lorsque mon mobile se met à sonner. C'est Maryline qui m'informe que le Directeur souhaite me rencontrer à onze heures trente. En raccrochant, je pense que j'ai juste le temps de préparer mes boites de Pétri avant mon rendez-vous avec Jean-Paul puis avec le Directeur.

Revêtant de ma blouse blanche, j'enclenche la hotte à flux laminaire, puis je me mets au travail.

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« Ouf ! ». La porte se referme, le laissant seul dans son bureau. Soulagé que cette conversation avec la laborantine ne se soit pas éternisée, évitant ainsi des explications scabreuses, il se remémore cette triste nuit.

« Je n'aurais pas dû laisser Christine seule » pense-t-il amèrement. « Elle ne le mérite pas, elle qui s'est toujours dévouée sans compter pour les siens ».

Il se trouve lâche tout-à-coup. Mais depuis qu'ils ont emménagé dans cette petite ville du sud, loin de leurs familles respectives – coïncidence ou non - son état de santé a empiré. Et il fallait bien reconnaitre que leur vie de couple en avait pâti. Les conflits naguère larvés avaient progressivement éclaté au grand jour. Mais il n'avait pas eu le courage d'affronter cette situation et encore moins de prendre des mesures pour la régler. Depuis dix ans, sa seule réponse est la fuite.

« Je ne supporte plus cette mascarade », se dit-il en lui-même,« le temps est venu de changer ».

A cet instant, quelqu'un frappe à la porte, le tirant de ses pensées.

Au « Oui entrez ! » de Jean-Paul, Maryline passe la tête et lance : « Ah tu es là ! Bonjour ! Comme je ne parvenais pas à te joindre sur ton téléphone, je suis venue ».

Sortant son appareil de sa poche, Jean-Paul réalise qu'il est en mode silencieux depuis la nuit dernière et se met à consulter ses appels en absence.

« Qu'est-ce que tu me voulais ? », lui demanda-t-il les yeux rivés à son écran.

« Simplement avoir de tes nouvelles », répondit-elle.

« Excuse-moi, je dois passer un coup de fil urgent... ».

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Levant un instant les yeux de mon ouvrage, je m'aperçois soudain de la présence du Directeur accompagné de Maryline de l'autre côté de la baie vitrée du laboratoire. Ils ont l'air si agités que je délaisse immédiatement ce que je suis en train de faire pour sortir du laboratoire et les rejoindre, non sans avoir arrêté la hotte.

Je leur demande ce qui se passe. Maryline me répond que Jean-Paul vient d'avoir un malaise. Alors que je pâlis, elle poursuit pour dire que tout va bien, qu'il est pris en charge par les services médicaux d'urgence suite à l'alerte donnée par un étudiant ; celui-ci l'a trouvé inanimé dans son bureau.

« Bref, plus de peur que de mal ». Le Directeur enchaine : « Il aurait essayé de vous joindre avant de s'effondrer mais vous n'auriez pas répondu... ».

Attrapant nerveusement mon mobile dans ma poche, je m'entends répondre : « C'est possible, je n'entends jamais sonner mon téléphone lorsque je travaille mes préparations sous la hotte. ». La vérité est que je suis confuse de n'avoir pu répondre à cet appel et que cet aléa aurait pu avoir des conséquences dramatiques.

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