...par la magie d'un bidon d'huile blanc et rouge auquel j'attribuai une force surnaturelle, (je m'enquis aussitôt de l'éventuelle abondance de ce produit) et aussi grâce à mon père et à la présence d'un ami mécanicien, le moteur se mit à gronder « pour de vrai »! Joie indicible! J'avais cru cette voiture vaguement ensorcelée, folle à tout le moins, dans les jours précédents le train arrière ayant été surélevé, j'ai vu mon père tourner une roue dans  un sens et l'autre tourna en sens inverse !! C'était incompatible avec ce que j'avais observé  sur ma voiture à pédales ! J'eus droit à une explication sur le différentiel, je me souviens de n'avoir rien compris.

 

       Au printemps 1948, l'essence devenue introuvable pendant la guerre réapparaissait progressivement aux doubles bouteillons de verre contenant cinq litres chacun des pompes actionnées à la main. A chaque mouvement du lourd levier, l'essence montait en bouillonnant, remplissait l'énorme ampoule qui évoquait celles de nos « fortifiants » qu'il fallait scier avec une petite lime inefficace, avant de savourer leur goût exécrable. Au déclic d'un gros bouton, l'essence, plus ou moins jaune selon les marques, se précipitait dans le tuyau que l'on se devait d'égoutter longuement. En économisant les tickets - elle était rationnée - et en la stockant dans des jerrycans, mon père avait réussi à constituer une provision suffisante pour envisager un voyage jusque dans le Jura.

 

   Après quelques voyages d'essai en Normandie et quelques visites de châteaux et abbayes en Ile de France, une lourde tente à l'odeur céleste d'huile de lin rance, tente issue des surplus de l'armée U.S. fut dressée non sans peine dans le jardin. On me fit essayer un duvet militaire inquiétant car une capuche pouvait emprisonner la tête et, très désagréable, un  matelas pneumatique.

 

   Comme le ronflement agressif  d'un réchaud  « Coleman » nous garantissait des repas chauds, l'aventure était possible! Me  voici donc  à l'arrière de l'auto, moelleusement assis sur les duvets, calé par ma mère entre le matériel de camping et des bidons d'essence…

 

   Les journées étaient longues, les routes étaient longues, les vacances aussi ; les cloîtres abondants, tout comme les « beaux paysages » ! Mais quel bonheur que le parfum rance de la tente se combinant à celui des prairies fraîchement fauchées et le lait des étables dans les quarts militaires U.S. Mon euphorie première n'eut qu'un temps, cette tente de quarante kilos exigeait chaque matin un rebutant exercice « d'épauler jeter » pour la catapulter sur la galerie !

 

   Si bien qu'à l'automne 1949 apparurent dans le jardin des panneaux d'Isorel découpés à l'égoïne, les fenêtres apparaissant comme des vides prometteurs. Le châssis modifié d'une « six chevaux Renault » reçut en son milieu l'essieu avant, direction bloquée ainsi que des équerres destinées à accueillir les différents panneaux. De simple fantasme, la « Roulotte » conquérait peu à peu sa propre existence! Une boîte ; elle ne fut la première année qu'une boîte à dormir où l'on installait le soir pneumatiques et duvets, simple boîte qui avait fait pourtant l'objet de très nombreuses esquisses que je suivais avec intérêt, ainsi que le chef de service de mon père qui lui dit un jour que l'administration aurait tout avantage à lui offrir une roulotte toute faite afin qu'il pût travailler à plein temps au bureau.

 

     La seconde année, elle était beige, mais elle embaumait encore elle aussi, la merveilleuse odeur d'huile de lin qui l'avait dispensée un temps de peinture extérieure. Ses roues avaient renoncé à la couleur rouge copiée sur celles de la « Mona-quatre » même celle de gauche dont les écrous munis de pas à gauche se serraient à l'envers!

 

    Cette roulotte, le terme de caravane n'apparut que plus tard, commençait à se meubler modestement : une petite commode à tiroirs de récupération et puis un évier rond constitué de la « parabole miroir » d'un ancien radiateur électrique, son écoulement étant sous le plancher. La cuisine fut un buffet vaisselier contenant tout le minimum nécessaire issu du coffre de la voiture, arrimé au-dessus des passages de roues et un réchaud à alcool. Ah cette odeur d'alcool brûlé mêlée à celle du beefsteak rissolant s'élevant jusqu'au lanterneau actionné par des compas de pare brise de 402 ! Ces effluves, j'espère que des Bocuse, un jour, sauront s'en inspirer! Autre luxe : lumière à la tête de lit des parents, toute l'installation électrique était initialement localisée sur le panneau latéral gauche afin de rendre possible le démontage hivernal de  la roulotte ! En effet l'idée première était, en l'absence de garage dédié, de la démonter chaque fin de saison, d'abriter les panneaux et de la reconstituer au printemps ! Plus que fastidieuse, cette pratique fut assez vite abandonnée, la roulotte hiberna désormais, bâchée dans le jardin, entourée de tilleuls.

 

La radio portative étant à peine inventée, et particulièrement coûteuse, les triodes devant être chauffées avec des piles de 1,5v qui duraient très peu, la H.T. fournie par une pile de  67 Volts. Mon père décida de construire un poste à galène amplifié par une triode et l'on écoutait au casque ! Agacé par l'immense antenne difficile à dérouler, je récupérai, des surplus militaires encore, une grande antenne télescopique qui nous donnait une allure beaucoup plus sérieuse !! On entendait ce que l'on arrivait à capter, et l’on en était très fiers.

 

  Les années passent, la lutte contre le poids fit que la petite commode - issue d'Emmaüs ou de l'un de ses prédécesseurs - où l'on rangeait tant de choses, se vit remplacée par un meuble infiniment plus léger: contreplaqué vernis, courbes issues de l'art mobilier « 1950/60 » formica jaune citron, rouge, et profilés noirs. Une cuve en plastique cernée d'un carrelage de formica remplaça un évier « maison » en tôle galvanisée qui, lui même succédait au « radiateur parabolique» ! Le gaz butane étant apparu sous la forme de « camping gaz », il évinça ces complexes et capricieux appareils à alcool. Le redoutable modernisme était déjà en marche ! Cocotte-minute ; déjà, mon frère Daniel encore petit, fabriqua - luxe technologique - un petit « cadran mémoire » pour surveiller la cuisson !

 

   Désormais mon frère dormirait sur le couvercle rabattu de ce bloc-cuisine, protégé par  une barrière dénommée «parachute» et je fus relégué au sol, les pieds encagés sous le lit parental qui avait entre-temps pris de la hauteur! Quatre personnes dans une si petite caravane, ça n'était pas si mal! (encore que...) Ce désagrément eut assez vite son côté positif : il me permit de recevoir une petite tente individuelle, qui, avec mon vélo et un appareil photo 6x9 d'avant guerre, constituait mes trésors de préadolescent.

 

   Une traction, une 11 cv « Normale » avait remplacé l'historique Renault, la vitesse de croisière s'était sensiblement accrue, les voyages d'été alternaient avec les rallyes où se rassemblaient les caravaniers d'alors. Les aménagements s'étoffaient d'année en année ; une porte latérale avait doublé la porte arrière initiale à la vitre de plexiglas. Avoir deux portes comme les « Notin » ! Une belle couleur vert d'eau identique à celles qui inondaient les lambris des salons au XVIIIème siècle avait envahi l'intérieur de la Roulotte. Afin d'améliorer la vision vers l'avant, mon père avait découpé une fenêtre dont le tracé évoquait celles des « Notin » (toujours !), des volets coulissants permettaient de l'occulter pour la nuit. De petits équipets, placards, vide-poches variés, niches, apparurent au fil du temps. Tout ce qui était observé lors des rallyes laissait à chaque fois sa petite marque !

 

   La caravane étant très petite, mon père utilisa cette facilité, faculté dirons nous, d'être démontée, pour remplacer le panneau arrière par un autre, galbé, plus conforme à l'esthétique des caravanes « Escargot » (cette fois) permettant de gagner une soixantaine de centimètres en longueur et de recevoir une large baie ouvrante à trois vitres : l'esprit « Notin » ne soufflait pas très loin cette fois-ci. A cette occasion, l'intérieur fut revêtu d'un isolant thermique - l'Isorel mou - et d'un double plafond de contre plaqué du plus bel effet avec sa baguette vernie. L'intérieur était devenu d'un beau jaune mat à mi-chemin entre l'ocre et le citron. 

 

   La politique de lutte contre le poids se poursuivait. Le superbe et pesant lanterneau et son archaïque compas furent remplacés par une sorte de couvercle de plastique translucide. Rassurez vous, l'original a retrouvé sa place. Un meuble à tiroirs aux panneaux allégés par des découpes avait demandé un énorme travail -  n'oubliez pas qu'on en était encore à l'égoïne et à la chignole à main - autorisa la création d'une penderie légère en contreplaqué : une armoire à glace! Un rail télescopique permettait de sortir les portemanteaux et d'accéder aisément aux vêtements. Les volets amovibles des fenêtres latérales se logeaient à l'intérieur de la porte de la penderie. La partie basse de ces aménagements accueillit un placard à bouteilles et une ingénieuse poubelle basculante.

 

   Plus tard, lors des rallyes ou de séjours de plus de deux jours au même endroit un auvent se fit désirer. Ma mère et ma grand-mère, machine à coudre installée dans le jardin, se livrèrent à un lourd (la toile est pesante) travail de découpe et de couture (nombre incalculable de petits crochets, œillets et agrafes), tandis que mon grand-père et mon père rendaient assemblables des tubes d'installation électrique pour en faire une structure porteuse.

 

   Lorsqu'il fut achevé installé et fermé et que sa jupe empêchait le vent mauvais de s'insinuer sous la caravane, une belle lumière orange nous apportait l'euphorie d'une belle journée ensoleillée, le temps fût-il maussade.                                                                                                       

 

 

                                                                                                  Jean  Fournier