Je ne suis pas du genre à pratiquer les jeux vidéo, question de génération, de temps disponible, de désir, alors que de nos jours tout en est inondé, impossible d’utiliser un téléphone portable, une tablette, ou un ordinateur sans que l’on vous en fasse la promotion. C’est que s’il n’y avait que les jeux, ça, avec la musique, les photos, les messages, c’est comme si nous étions complètement déphasés et devenus incapables de vivre sans bruit, d’écouter le silence, de regarder le vide, et surtout de nous taire.

   Il est déjà si difficile au quotidien de faire le silence dans sa tête, de tenir à l’écart tout ce qui y gronde, que c’en est parfois presque douloureux, marcher seul sans penser, sans ruminer, sans revivre et sans se remémorer les tensions que l’on rencontre ou que l’on provoque, les chagrins d’amour, les déceptions, les regrets, bon je m’arrête là. Il faut parfois jouer d’astuces et s’inventer des mantras pour tenir les démons à l’écart, voire ne pas hésiter à compter ses pas en marchant tout en regardant filer les nuages.

L’autre soir, il m’est pourtant arrivé une aventure étonnante dont je ne suis pas encore revenu !

 

   Imaginez que vous soyez allongé sur votre canapé devant votre poste de télévision, le son presque coupé et que sans que vous y soyez préparé vous assistiez en direct à ce qui ressemble fort à une partie de jeu vidéo.

Le décor, une mer grise et déchainée de l’hémisphère sud (Sous titre en bas de l’écran), des plaques de glace dérivantes, des bateaux petits et grands sur lesquels sont massés des marins, en arrière plan un énorme navire usine.

On le reconnaît à son plan incliné qui lui permet de charger à bord les corps sanguinolents de grands cétacés.

   Si j’ai bien compris le sens du jeu qui se déroule sous mes yeux, il semble apparaître que des bâtiments de taille moyenne équipés d’un dispositif de harponnage sur leur proue et sur leur poupe, doivent tenter de venir arrimer les prises résultants de leurs harponnages à des filins qui pendent à l’arrière du bateau usine.

Cet exercice serait relativement simple à réaliser pour des équipages entrainés si personne ne venait perturber la partie, pour preuve une carcasse est déjà arrivée sur le pont du navire et des hommes ont entrepris de la découper, une seconde amarrée en remorque attend son tour, la mer est grosse et rouge de sang.

Dans un jeu il faut toujours qu’il y ait des bons et des méchants, cela semble le cas ici. En tant que spectateur, il faut choisir son camp, de prime abord je serai enclin à soutenir les pécheurs qui semblent faire leur travail, leurs navires arborent l’emblème du pays du soleil levant, le Japon.

   Mais ils ne sont pas seuls, ils ont des adversaires, et des belliqueux croyez-moi !

Pour les empêcher de travailler, les pirates, je les nomme ainsi car ils arborent le fameux symbole des pirates le drapeau noire portant tête de mort et tibias croisés. Ces derniers disposent de toute une flottille de petits bateaux pneumatiques ultra maniables, car légers et équipés de moteurs hors bord très puissants. Ils encerclent les navires harponneurs en tournicotant autour d’eux à grande vitesse, levant des gerbes d’eau, comme des mouches autour d’une charogne.

Dés que l’un des navires tente d’amarrer sa prise à l’un des filins, ils l’entourent, et lui jettent des grappins pour le prendre à l’abordage et quand ils y sont parvenus, avec de grosses cisailles ou des haches ils sectionnent les amarres.

Raconté comme ça, cela fait un peu folklore, combat de rameurs armés de lances sur le grand canal de Venise, en fait, moi l’irréductible opposant aux jeux vidéo je suis scotché car dans la réalité, le match auquel je suis entrain d’assister est surréaliste et beaucoup plus physique que je ne puis vous le décrire. Les marins japonais pris à parti se défendent férocement à l’aide de lances à incendie et de gourdins, on en voit même certains qui tiennent des armes à feu, et bon nombre d’assaillants sont rejetés à la mer.

   En face, on ne fait pas dans la dentelle non plus, on a l’impression de voir des commandos de marine en action, ils escaladent les coques des navires nippons, en s’aidant de leurs grappins, montant le long des cordes avec une vélocité incroyable. Lorsqu’ils arrivent sur les ponts, ils jettent par-dessus bord tout ce qui leur tombe sous la main, que ce soit des hommes ou du matériel, puis, ils attaquent à coup de masses les canons lance harpons, le tout sous les trombes d’eau expédiées par les lances et les coups de bâtons distribués à giorno par les marins. Le fait de devoir se défendre contre les marins n’est pas une mince affaire. C’est du style - Garde toi à droite - Et toi regarde derrière toi ! Le tout sous une pluie d’horions. La flotte assaillante ne se compose pas seulement de ces petits pneumatiques, mais comprend également deux grandes unités le Steve Irvin et le Bob Baker qui doivent être des chalutiers de haute mer reconvertis et qui leur servent de bateau nourrice.

Comme dans un opéra fantastique, un vaisseau extraordinaire sort alors de la brume le Gojira, une sorte d’hydroglisseur noir que l’on dirait beaucoup plus conçu pour tourner un film de Batman que pour protéger les baleines dans les mers du sud, rien que son allure vous entraine dans la science-fixions. Ce doit être un engin redoutable car dès son apparition tout le monde s’écarte de sa route et plus surement du formidable éperon qu’il porte à sa proue

Les rapports de force ayant changé de camp au profit des assaillants, la flotte de pêche s’empresse de se retirer, profitant de la brume qui se lève, le navire usine a déjà levé l’ancre et disparu.

   Ce n’était pas Trafalgar, pas de bateau coulé mais il y a tout de même beaucoup de monde à la mer, on les distingue à leurs gilets rouges qui les maintiennent en surface, et aux fusées de détresse qu’ils ont allumées pour se faire repérer.

Fin de l’épisode, parmi les marins repêchés, il ya même deux japonais qui ne semblent pas ravis de se retrouver là.

Je suis surpris, car parmi ces commandos d’un genre un peu particulier qui ont pris un bain de mer forcé dans ces eaux glacées, il y a autant de femmes que d’hommes, elles ont la moelle les filles car il faut tout de même oser y aller, la partie qui vient de se jouer a été brutale. Les rescapés sont allongés sur les ponts tandis qu’on leur prodigue les premiers soins, s’ils n’ont que des ecchymoses, ils s’en tireront à bon compte mais ça serait étonnant au vue de la violence des heurts. Quelle idée aussi de venir chercher la castagne dans un coin pareil, ça n’a d’ailleurs pas dû être simple de les dénicher ces pêcheurs de baleine perdus au bout du monde, la zone semble franchement inhospitalière.

   Je sais ce que beaucoup vont penser ou pensent déjà : Il faut protéger les cétacés, ils sont un élément incontournable de nos océans et de notre patrimoine naturel vivant.

Bon OK, mais ces hommes, ces pêcheurs dont c’est le métier, que vont-ils devenir si on leur interdit de piquer la baleine ? On les envoie à la crevette ? Jusqu’au jour ou un bel esprit décrétera que c’est épouvantable de jeter les crevettes vivantes dans l’eau bouillante et exit les bestioles, franchement il y en a ras le bol.

Si les japonais aiment manger de la baleine pourquoi leur en faire grief, c’est leur problème ? Nous, nous mangeons bien de l’agneau, du foie gras, des escargots (cuits dans l’eau bouillante eux aussi, dois-je vous le rappeler ?) pas de quoi se glorifier, pour beaucoup d’habitants de la planète nous sommes des monstres, alors bastas qu’on leur fiche la paix, et que chacun déguste ce qu’il préfère. Mais revenons en à nos naufragés, j’ai constaté qu’ils avaient des casques sur la tête ce qui leur a sans aucun doute permis d’éviter les traumatismes crâniens les plus graves.

   L’un des rescapés est resté assis un long moment coincé contre le bastingage, semblant groggy, KO debout dirait-on en termes pugilistiques, il a fini par retirer son casque qui roule maintenant sur le pont d’un bord à l’autre emporté par le roulis, il entreprend de tordre ses cheveux, se penchant en avant pour en extraire l’eau de mer qui les imprègne, quand il se relève je constate qu’en fait, c’est une femme !

- Non ne cherchez pas, c’est bien elle ! Elle, la femme du café…oui c’est bien ça vous avez tout compris

   Dans la vie nous les hommes nous voudrions toujours tout maîtriser, c’est un peu le propre de notre nature, en réalité vous diront les femmes, nous ne maîtrisons jamais grand-chose, quoi que nous puissions en penser. En attendant cela nous donne une posture, enfin une stature, bref quelque chose qui nous pose ou enfin le croyons nous.

Devant ce qui était entrain de se produire, je ne maîtrisais plus rien, enfin si une bouteille de bourbon que j’avais été cherché et que je portais par instant goulument à mes lèvres, après quoi je ne parvenais plus qu’à produire des suites de borborygmes.

Une attitude complètement incompréhensible et ridicule pour le commun des mortels qui me verrait là, l’air un peu hagard et après un certain temps un petit peu ivre.

Si j’avais seulement pris le temps d’interrompre deux secondes le fil de mes pensées, j’aurais pu prendre conscience de ce que je n’avais absolument rien à voir dans toute cette histoire, que ce n’étais simplement qu’un accident dû au hasard, que dis-je, un incident suffira.

   Elle était là, et moi aussi voilà, c’est tout, il ne fallait rien y voir d’autre, ne pas chercher midi à quatorze heures, ni couper les… les, les quoi en fait j’avais perdu là aussi le fil de mes idées et m’embrouillais dans mon délire.

Qu’est-ce qu’une femme jeune et belle comme elle pouvait bien aller fou…faire dans cette galère ? Il n’y avait rien à y gagner, même beaucoup à y perdre. Je frissonnais rien que d’y penser, un œil, y perdre un œil, je faisais une fixation sur un œil, mais c’eut pu tout aussi bien être un membre au vu des coups échangés, peut-être même la vie, eh oui la vie quand on connaît la température de l’eau dans ces mers là. Je n’aurais personnellement jamais pu m’y tremper, moi qui ne me douche qu’avec une eau à trente sept degrés.

   Des baleines, faire des trucs pareils pour des poissons aussi gros soient-ils, enfin non, les baleines ne sont pas des poissons qu’est ce que je racontais ! Ce sont des mammifères, dans une émission de Thalassa ils nous avaient présenté une mère baleine allaitant son baleineau.

 

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En arrivant la femme de ménage avait éteint la télé, posé une couverture sur moi et fait ses rangements sans me réveiller, dans un petit mot posé sur le coin de la table avec le courrier elle s’excusait de n’avoir pas passé l’aspirateur, mais comme je dormais elle n’avait pas voulu me réveiller.

   Ma réputation allait en prendre un sérieux coup dans le quartier.

 

- Vous savez qu’il s’est mis à boire, si, si ça devait arriver, à vivre seul il devenait bizarre, je l’ai trouvé vautré sur le canapé, il avait encore la bouteille de bourbon à la main, à tous les coups c’est un désespoir amoureux, seules les femmes peuvent mettre dans des états pareils, la bouteille ? vide bien entendu ! C’est dommage, c’était quelqu’un de bien, je vous assure. Ce dernier commentaire est de moi, enfin qui vivra verra, mais on a son quant-à soi.

   Le journal posé sur une pile de publicités, affichait en première page les exploits du commandant Watson, le Saint Bernard des baleines posant sur le pont de son super vaisseau amiral, le pavillon à tête de mort flottant au vent. En fin d’article il était précisé qu’il avait dû se retirer pour aller mouiller en Nouvelle Zélande son bateau futuriste ayant été abordé par un baleinier Japonais qui en avait brisé l’un des stabilisateurs.

   Voilà ce que j’avais vu dans un demi sommeil aux informations de vingt trois heures avant de m’imbiber sérieusement, une cuite pareille je n’en avais pas pris depuis l’université un soir de bizutage au cours de laquelle deux crétins m’avaient fait boire jusqu'à ce que je rende tripe et boyaux, çà n’est pas très élégant, mais c’est la vérité !

   Le motif de ma beuverie me revint progressivement au fil de la matinée, j’étais groggy, allongé sur le canapé, un sac plein de glace posé sur le front. On ne s’enivre soule pas pour rien tout de même, c’est le terme de groggy qui m’a remis sur la voie. Ah oui, la femme coincée le long du bastingage, le casque roulant d’un bord à l’autre du pont…C’est plus que je ne puis supporter, voilà que j’ai le mal de mer sur mon canapé.

   La couleur des cheveux le profil, et oui, rien à redire…

Moi qui suis un type tranquille qui bosse dans une entreprise qui fabrique des systèmes de conditionnement d’air réversible, qui se fout comme de l’an quarante des Atolls, des ours blancs, et des baleines, qui trie ses ordures comme on le lui a demandé, qui met des ampoules à économie d’énergie parce qu’il n’y en a plus d’autres. M…Je me suis tapé le pied dans ma mallette d’ordinateur que je n’avais pas vue, il fait noir comme dans un four dans ce couloir, cette S…d’ampoule met trente secondes à s’allumer !