-Je le reconnais.

-Reconnaissez-vous avoir sollicité l’hospitalité auprès du Père Supérieur au motif d’effectuer une retraite spirituelle avant de vous engager à partir en mission évangélique ?

-Oui, je le reconnais.

-Reconnaissez-vous encore vous être préparé à célébrer l’Eucharistie seulement quelques instants avant que les forces de l’ordre viennent se saisir de votre personne ?

-Oui, je le reconnais.

-Innocent Dupeux, pouvez-vous expliquer le motif de votre imposture à la Cour ?

-Le motif est tout à fait respectable comme vous allez pouvoir en juger et vous retirerez alors ce terme injustifié d’imposture.

La quarantaine venue, je m’étais promis  de rédiger les mémoires de ma famille. Il me fallait démontrer que mes illustres aïeux ne méritaient aucunement de porter ce nom infâme de Dupeux. Sachez, en effet, que mon arrière grand-père, un fort et noble caractère, se rendit fameux…

-Innocent Dupeux faites nous grâce de vos propos grandiloquents et venez en au fait, rien qu’au fait.

-Le fait, rien que le fait, soit, mais au préalable, la vérité m’oblige à vous avouer que je ne parviens que fort difficilement à entrer en écriture. Il me faut une longue, longue gestation (si toutefois je puis appliquer cette image à l’homme viril que je suis) pour accoucher d’un avorton.

-Innocent Dupeux, la Cour vous serait infiniment reconnaissante de lui éviter ces réflexions incongrues. Poursuivez.

-En d’autres termes, plus orthodoxes, la faute en incombe à « cette lenteur de pensée » qui fait que « les idées me coûtent à rendre » bref à « l’extrême difficulté que je trouve à écrire » même lorsqu’il s’agit de me faire le biographe de ma propre famille.

-Innocent Dupeux songez que la Cour n’est pas, ici, réunie pour statuer sur vos difficultés à vous exprimer par la voie de l’écriture.

-Certes, je le conçois aisément, Monsieur le Président, toutefois la recherche de la vérité m’oblige à vous confier à quel point « mes idées s’arrangent dans ma tête avec la plus incroyable difficulté » dès l’instant où je place la pointe de mon stylo sur la feuille blanche.

-Innocent Dupeux dois-je, à nouveau, vous rappeler que la Cour ne vous demande pas de lui confier vos états d’âme. Elle vous demande de lui narrer les véritables motifs qui vous ont conduit à vous introduire frauduleusement au sein de cette communauté religieuse.

-Frauduleusement est un terme que je me vois dans l’obligation de réfuter avec la plus grande fermeté. Innocent est mon prénom et, innocent, je le suis.

Sachez seulement que mon penchant naturel à raconter des histoires aux autres, tout comme à moi-même, remonte à ma toute petite enfance. Mon psychanalyste serait certainement plus apte que moi à vous expliquer les causes profondes de ce qu’il appelle mes tendances à la mythomanie.

-Innocent Dupeux soyez convaincu que la Cour ne se laissera pas entraîner vers une ordonnance de non –lieu au motif que vous seriez atteint d’une pathologie mentale et, par là même, irresponsable pénalement.

Votre rouerie est certes grande mais votre imprudence plus grande encore.

-Je conteste le terme de rouerie tout comme j’ai contesté celui de frauduleusement. Je ne suis pas un imposteur mais un écrivain torturé. Quant à mon imprudence, je ne comprends pas, Monsieur le Président, ce à quoi vous faites allusion.

-Vous allez pouvoir prendre conscience de l’étendue de cette imprudence en prenant connaissance de la déposition de Frère Ignace que la règle a empêché de se déplacer à la barre. Ecoutez plutôt :

-« Alors que, mardi matin, après matines, je me consacrais, dans la bibliothèque, à l’annotation de textes saints, une sonnerie tonitruante me fit sursauter. Elle émanait d’un téléphone portable abandonné sur le pupitre de Frère Eustache. Instinctivement, je décrochai sous l’emprise de la surprise et d’une intense émotion. Avant même que je puisse prononcer un mot, j’entendis une vois hilare s’esclaffer :

« Alors, vieux, ton article avance ? Tu sais qu’le chef l’attend ferme pour mercredi. C’est qu’il y tient à ton scoop pour sa une. Tu sais qu’ t’en finis pas d’m’épater ! Après ton stage chez les chiffonniers te voilà chez ces demi-eunuques !»

Innocent Dupeux qu’avez-vous à objecter à ce témoignage ?

-La Cour n’ignore pas que ce témoignage n’a aucune valeur cependant, afin de lui être agréable, et, afin de m’épargner la prolongation de cet interrogatoire déplacé, je reconnais m’être engagé à rédiger un dossier sur la vie quotidienne des moines pour la revue hebdomadaire «  Et vous saurez tout ».

Pour ce faire, il me fallait me procurer une documentation la plus précise possible. Je profitai de l’hospitalisation du prêtre pour m’introduire à sa place. Comprenez, il était indispensable que je sois en situation de me pénétrer de l’atmosphère des lieux étant donné que « je n’ai jamais pu rien faire la plume à la main vis-à-vis d’une table et de mon papier : c’est à la promenade », non comme J.J. Rousseau, « au milieu des rochers et des bois » mais dans la douce lumière et le calme d’un cloître au sein duquel je me plais à déambuler « que j’écris dans mon cerveau ».

-Innocent Dupeux, je suggère à la Cour de vous faire bénéficier de quelques mois à l’ombre des murs de notre maison d’arrêt afin que « ce grand mouvement s’apaise, ce chaos se débrouille »  et que chaque chose vienne se mettre en place : votre biographie familiale comme votre ressenti de prévenu puis de prisonnier.

 Il est bien évident qu’il vous sera formellement  interdit de publier votre reportage sur l’abbaye Saint Antoine de Préfontaines et sur ses moines que vous aviez pour but de déshonorer.

 

Renée-Claude  (juin 2012)

Atelier N° 9 - Lundi 21 mai 2012

Rousseau, « L’extrême difficulté que je trouve à écrire. »

Dans les Confessions Livre III, ROUSSEAU aborde la difficulté d’écrire qui nous parle si bien ; « cette lenteur de penser », ce cerveau qui se brouille, ces « manuscrits raturés, barbouillés… » témoignent que même les auteurs qui peuvent nous paraitre les plus prolixes connaissent cette peine que « les idées me coûtent à rendre ». Alors, nous trouvons des subterfuges, nous nous laissons emporter par notre imagination, ou notre observation, ou nous peinons à nous laisser emporter et souffrons de cette page juste commencée qui n’avance pas...

 

Pour tenter de conjurer ce sort qui s’acharne, nous mettrons en parallèle cette page de ROUSSEAU sur la difficulté d’écrire et quelques amorces d’écriture, ces faits divers insolites qui nous donnent un peu de grain à moudre.

Nous piocherons dans l’extrait de ROUSSEAU une ou des phrases qui diront notre propre difficulté que nous pourrons développer, et nous utiliserons un ou plusieurs des faits divers pour nourrir le contenu de notre nouvelle.

Elle pourra se présenter comme une réflexion sur l’écriture, à la ROUSSEAU, dans laquelle le/s fait/s divers servira de contrepoint ; ou comme un récit autour du/des fait/s divers auquel une réflexion sur l’écriture servira de contrepoint.

 

Deux textes en complément : l’extrait des Confessions, et 3 faits divers.