C’est incompréhensible, ma vie n’est pas en jeu, le monde ne va pas disparaître, alors qu’est-ce que cela veut dire, certes je pense que ça ne va pas durer, mais va savoir, c’est une sensation fort désagréable, une forme de mort apparente, c’est qu’un bout de mon univers est parti, effacé, disparu pour toujours, pas complètement, reste des bribes de souvenirs et des moments de bonheur !

Lorsque je suis à mes occupations allant de ci de là dans la maison, vaquant à tout ce qu’il y a à faire, passant du ménage au jardin, voire même quand je suis à ma toilette ou à la cuisine, il n’y a pas de problème. Les mots me viennent sans difficulté, je suis à l’aise, je vois très bien comment les ordonnancer, tout ce que j’ai à lui dire est là, comme autrefois les leçons calligraphiées sur le tableau noir quand nous entrions dans la classe.

Je sais, que je suis capable de te dire ce que j’ai à te dire, de te le dire clairement, pour que tu saches ce qui est ton droit, mais sans te blesser, sans te faire souffrir, enfin si c’est toutefois possible.

Il est des instants où je me dis cette fois c’est la bonne je peux y aller, les mots sont là prêts à jaillir. Je me précipite, je m’installe, me concentre, tente de faire apparaître tout ce que je me suis dit, ce que j’ai mis en forme…

Avant de m’asseoir j’ai pris la précaution d’ouvrir la fenêtre pour me donner de l’air et faire entrer la lumière.

Il se produit alors un phénomène effarant, le temps nécessaire à cette installation et à cette mise en place, mon esprit s’est asséché, il ne fait plus que des bulles, enfin il balbutie les idées, ma langue s’est tarie. Les idées sont toujours présentes, elles apparaissent, mais au milieu d’un magma informe, ma belle construction s’est délitée comme château de sable à la marée !

Je finis par m’inquiéter, me demandant si quelqu’un, quelque part, ne m’aurait pas jeté un sort, et au vu ce que j’ai à annoncer cette idée, n’était pas plus saugrenue qu’une autre.

Un moment, un seul, j’ai cru avoir trouvé la cause de mon incapacité à m’exprimer par écrit, c’est que je ne choisissais pas le bon moment, je voulais profiter des heures, enfin des instants où j’avais un moment pour souffler, ce qui est au demeurant fort rare, vu ce que j’avais à faire dans une journée, cette lettre je me devais d’en faire une priorité, un message essentiel. Les instants disponibles ne possédaient peut-être pas toujours la bonne luminosité, celle qui m’évite d’être déprimée me suis-je dit, l’air n’y est peut-être pas toujours assez doux pour trouver la paix de l’âme ? Mon cœur n’était pas à la bonne résonnance. C’est décidé, j’entrepris de modifier mes pratiques, presque de faire le contraire de ce que je faisais jusque là, j’ai décidé de m’installer dès qu’un rayon de soleil ferait son apparition, de me poser dès que l’air prendrait la douceur d’un satin drapé faisant monter jusqu’à moi le parfum des roses de la façade…eh bien rien, efforts inutiles !

Vous avez bien compris, ne faites pas semblant, il ne s’est rien produit, échec sur toute la ligne, je me suis trouvée confrontée à la même inertie de la main, l’œil vague, le cerveau aqueux, une mare stagnante couverte de lentilles d’eau. J’ai même été agacée par le rideau agité par les courants d’air, et le vrombissement des mouches et des abeilles venues me saluer.

Dans notre famille, c’est une règle intangible, on ne cède pas devant l’échec, on fait silence, on réfléchit, on change du tout au tout sa façon d’aborder la question : C’est ainsi que la lumière s’est faite : C’est sans doute ce que j’ai à annoncer qui me pose problème non le contexte dans lequel je dois écrire !

La nouvelle étant parue dans le journal il y aura toujours une bonne âme pour lui en faire part, dès qu’elle en aura l’occasion, alors que c’était à moi sa sœur de me faire la porte parole, et de le lui dire. Ce n’est jamais une démarche aisée que d’être le porteur d’une mauvaise nouvelle, il y a eu des époques où après avoir écouté leur message on les mettait tout simplement à mort. Qu’il n’y ait plus de trace, de leur passage, que la rémanence de leur présence n’entraine pas le retour du malheur.

 

Tant que l’on n’a pas été concerné par ce type problème et que l’on ne s’est pas retrouvé obligé de se confronter à une feuille de papier à lettre, cela parait simple, il n’y a qu’à, il faut que !

Mais dans la réalité, dans la pratique du quotidien, comment écrire et réagir sur une pareille question.

D’une part ce sont des questions qui sont de nature à faire peur, car nous ne pouvons pas nous s’empêcher de penser que cela peut très bien arriver à tout un chacun et ce à tout moment de la vie.

Qui peut prétendre qu’il sera épargné, hein ?                                                                 On fait déjà moins sa fière, on tirebouchonne son tablier, on à l’œil humide.

Heureusement dans le journal, ils n’ont mis que des initiales, alors avant que les gens qui ne sont pas de la commune comprennent, il se sera passé du temps. Ici bien sûr ils ont tous compris, pas difficile, ils étaient déjà tous au courant…

D’autre part, on voudrait protéger l’autre de la violence de la nouvelle, sauvegarder son bonheur, empêcher son ciel de se ternir, ses yeux de s’embuer devant l’irréversible nouvelle.

·      Ce matin, je te mets ce mot pour t’expliquer, enfin pour t’informer…et puis zut c’est lourd j’ai l’air d’une andouille. C’est stupide on n’écrit pas ainsi à l’une de ses proches.

·      Ma pauvre sœur si tu savais ce qu’il nous arrive…A nous rien, qu’est-ce que je raconte, c’est à lui qu’il est arrivé quelque chose.

·      Ma chérie, il s’est produit…

 

Il s’est produit une rupture, enfin une cassure de lien de vie, c’est compliqué à t’expliquer. Depuis trois jours nous l’avons perdu…

Est-ce nous qui l’avons perdu, ou est-ce lui qui est entré dans une autre dimension ?

Suis-je sèche de sentiment ?

Ai-je le cœur dur ?

Je n’ai pas de larme et pas d émotion. Alors ?

Est-ce moi que je veux préserver ?

Peut-être ai-je tout simplement honte, honte de ce qui nous arrive, honte du qu’en dira t’on, honte de ce que va penser ma sœur, mais serait-il possible et imaginable que ce soit un sentiment qui m’empêche d’écrire, aussi détestable soit-il ?

Mes mains sont mortes, deux morceaux de bois vous dis-je, quand je m’approche de la table, elles se raidissent et deviennent toutes blanches.

La nuit dans le noir et en silence pour ne pas énerver mon mari, je me raconte l’histoire. Enfin celle que nous a raconté le boulanger, celui qui a été le témoin de la scène et que la journaliste de la République du Centre à interrogé.

 

-       Je venais de terminer ma tournée, et j’allais rentrer au bureau de Poste. Je savais que le Jean était dans sa vigne en train de labourer. Je l’avais salué en passant à l’aller, il avait l’air en pleine forme, il m’a rendu mon salut, tout paraissait normal. Au retour j’ai ralenti pour voir comment il avait avancé son ouvrage et puis aussi parce que sa vigne elle vous donne un petit blanc fameux que je vous dis que ça, et il en avait toujours une chopine dans la musette !                                                                                                                          En premier lieu, j’ai vu le cheval qui revenait vers moi en galopant, la charrue couchée qui bringuebalait en tapant dans les ceps…J’ai pensé M…il a eu un accident.                                                                                                                 A ce moment il est apparu, il chantait la Madelon à pleine gorge, étonnant pour lui qui était plutôt taiseux, plus stupéfiant, il avait arraché la moitié de ses vêtements, et là écoutez moi bien, je vous jure sur la tête des gosses que ce que je vous raconte est vrai : D’un seul bond il a sauté par dessus le cheval et le rang de vignes, il a dû se faire mal car en retombant il a roulé dans la terre, et là sur ce coteau, c’est plein de chailles. Puis il a recommencé dans l’autre sens comme s’il ne ressentait rien, un véritable acrobate de cirque, à son âge vous imaginez ? Je vous jure ! Il m’a fallu un bon moment pour parvenir à le maitriser, costaud l’animal et si l’Adjoint n’était pas passé sur la route, il s’en serait enfui vers les bas, car j’aurai eu du mal à le maintenir bien longtemps.

 

La dépêche ajoutait que depuis il était enfermé à Pasteur et qu’il chantait l’Internationale toute la journée quand il abandonnait la Madelon.

 

Les journées passent très vite, je les remplis de vide, de bruits et de vent, je n’ose même plus entrer dans ma chambre pour essayer d’écrire.

Chaque matin c’est un rituel, je pense à ma lettre urgente, et je me répète : Ma chère sœur si tu savais !

 

 

                                                                                            D G. Mazeuil. La Massinière Mai 2012




Atelier 9 - Lundi 21 ai 2012

Rousseau, « L’extrême difficulté que je trouve à écrire. »

Dans les Confessions Livre III, ROUSSEAU aborde la difficulté d’écrire qui nous parle si bien ; « cette lenteur de penser », ce cerveau qui se brouille, ces « manuscrits raturés, barbouillés… » témoignent que même les auteurs qui peuvent nous paraitre les plus prolixes connaissent cette peine que « les idées me coûtent à rendre ». Alors, nous trouvons des subterfuges, nous nous laissons emporter par notre imagination, ou notre observation, ou nous peinons à nous laisser emporter et souffrons de cette page juste commencée qui n’avance pas...

 

Pour tenter de conjurer ce sort qui s’acharne, nous mettrons en parallèle cette page de ROUSSEAU sur la difficulté d’écrire et quelques amorces d’écriture, ces faits divers insolites qui nous donnent un peu de grain à moudre.

Nous piocherons dans l’extrait de ROUSSEAU une ou des phrases qui diront notre propre difficulté que nous pourrons développer, et nous utiliserons un ou plusieurs des faits divers pour nourrir le contenu de notre nouvelle.

Elle pourra se présenter comme une réflexion sur l’écriture, à la ROUSSEAU, dans laquelle le/s fait/s divers servira de contrepoint ; ou comme un récit autour du/des fait/s divers auquel une réflexion sur l’écriture servira de contrepoint.

 

Deux textes en complément : l’extrait des Confessions, et 3 faits divers.