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Ce qui est certain c’est qu’avant d’être contraint à faire cet apprentissage, la chose écrite ne me fascinait pas, tout simplement car je ne savais même pas qu’elle existait.

Les livres dans mon environnement enfantin étaient rares, pour ne pas dire inexistants.

Il y avait bien à la maison quelques sources de documents imprimés, elles étaient très différentes les unes des autres, les trois premières n’étaient pas d’accès direct, la quatrième si.

Cette information directe et libre, c’étaient les pages de journaux dans lesquelles les commerçants emballaient les achats, légumes, poisson ou viande, voire même les marrons, on peut donc dire que dans certaines circonstances, je sentis avant de penser. Chaque commerçant avait son journal fétiche, pour nous enfants, certains ne présentaient guère d’intérêt, étant totalement dépourvus d’images. Le marchand de légumes lui, avait des journaux fascinants qui devaient s’appeler Détective et Radar ou quelque chose d’approchant, ils présentaient en couverture des dessins de scènes de crimes ou d’accidents hyper réalistes, la grand-mère s’empressait de les brûler vite fait pour ne pas que nous tombions dessus, mais grand père qui était un grand amateur de la chose, nous permettait d’en profiter un peu !

Pour les documents soumis à autorisation préalable, n’allez pas croire qu’il y avait là ouvrages rares et incunables aux belles enluminures, non c’était beaucoup plus modeste que ça, il y avait : Le journal l’Illustration retraçant l’histoire de la Grande guerre, le Chasseur français, et le Catalogue de la manufacture d’armes et de cycles de Saint Etienne, vous voyez le tableau.


Préalablement à toute consultation, il fallait que la table soit dégagée, qu’on y pose un torchon, autrement pas de prêt. Nous devions promettre de ne pas nous disputer, c’est que l’on n’avait qu’une confiance très limitée dans nos capacités d’attention, et qu’on se méfiait de notre propension à l’agitation enfantine. Le plus souvent on ne nous abandonnait que les catalogues des années antérieures après la parution du nouveau, celui que nous convoitions bien évidemment. Il fallait bien faire de la place, la bibliothèque étant limitée à une étagère dans l’armoire à draps.

Celle qui était la plus attirante et qui nécessitait le plus de négociation, c’était la collection de l’Illustration que je regrette encore d’avoir perdue, elle couvrait toute la période de la Grande guerre, où l’avaient t’ils récupérée ? Mystère, mais qu’importe, c’était beau. Il y avait des photos effroyables c’est vrai, mais aussi des dessins et des scènes peintes par des artistes représentant les différents régiments engagés dans la bataille. Un Spahi sur son cheval, un Dragon avec sa lance et sa cuirasse, des tirailleurs Marocains ou Sénégalais, qui au fil des pages se transformaient en soldats boueux, à la tenue bleu horizon déliquescente, et aux bandes molletières pendouillantes, noyées par l’eau des tranchées. Les chars et les canons nous faisaient forte impression !

Quant il nous voyait le nez perdu dans ces ouvrages au pied du lit de leur chambre, grand père marmonnait « Chair à canon, chair à canon », sans que nous comprenions très bien ce qu’il voulait dire par là.

Une autre source se trouvait être le chasseur Français avec sa couverture en couleur représentant un Setter Irlandais à l’arrêt ou un lièvre en pleine course, ses pages de fusils aux crosses ouvragées et aux canons ciselés ; là il ne fallait ni salir ni déchirer, le numéro étant unique, d’où le torchon. Je n’ai découvert que bien plus tard que c’était là une revue de prédateurs qui s’en prenaient aux animaux, qu’importe, elle permettait de rêver.

Enfin le catalogue de la manufacture de Saint Etienne, représentait le Graal suprême. Ca n’était pas l’encyclopédie des lumières, mais pour nous enfants, et des générations d’adultes, ce fut une source presque inépuisable d’émerveillements. On passait de la découverte du matériel destiné à équiper le parfait ouvrier de la vigne, aux pièges à taupes ou aux machines à ventiler le grain. Les pièges il y en avait des pages entières pour toutes les tailles de gibier de la souris à presque l’éléphant et dans les outils de la pince à épiler à la pince monseigneur…Enfin vous voyez bien quoi ! Juste ce qu’il fallait pour s’émerveiller, mais aussi se donner la possibilité de questionner à l’infini.


Et la lecture dans tout ça ? Me direz vous, bonne question, l’idée ne nous en effleurait même pas, si vous croyez que nous n‘avions que ça à faire, et à penser !

La question de comprendre la signification des signes cabalistiques qui entouraient les images et photos ne nous concernait pas, il y en avait peut être trop, et puis les croquis et images suffisaient amplement pour permettre la compréhension sans avoir besoin de chercher à déchiffrer les petites pattes de mouches qui couraient partout à leur entour.


Il y eut un jour plein de significations, l’un de ces jours que certains marquent d’une pierre noire, les autres d’une pierre blanche…Ce jour où il fallut bien commencer à aller à l’école celui ou l’on perd définitivement son statut de petit, plus une partie et une certaine forme de sa liberté, sans savoir que l’on va en découvrir une autre et se forger un caractère.

Il me fallut comme les autres enfants entrer à la dite école, ce n’était pas un drame, beaucoup de mes petits camarades y étaient déjà, et quelque part on ne faisait que déplacer un peu l’aire de jeux.


Le cérémonial de rentrée annonça la couleur de ce qu’allait être désormais mon quotidien : s’aligner en silence, entrer dans la classe en tenant son sac, et attendre que le maître nous alloue une place…et ajoute :

- Chez moi on se tait, rassurez vous votre tour viendra de parler. Tout un univers !


Et là, dès les premiers instants, la révélation suprême, on m’avait annoncé qu’a l’école, j’allais devoir apprendre à lire, écrire compter, et me taire…sans que je sache exactement de quoi il retournait.


Une fois tout le monde assis et silencieux, le maître prit une baguette et désignant ce qui était inscrit au tableau épela :

 

« Aujourd’hui 10 septembre 1949 Rentrée des classes ».


Puis sur la ligne d’en dessous, Morale :


« L’école est le berceau de la République »


Ce qui me laissa pantois, ce n’était pas de me trouver dans le berceau de la République, mais que ces petits signes aient un sens compréhensible pour le commun des mortels, un peu comme s’ils avaient une âme qui leur donnait une vie propre,

Je dus ressentir ce jour là, la même illumination que Champollion devant la pierre de Rosette.

La suite fut plus mémorable, ce maître avait du passer un pacte avec le diable, parce-que pour lui, les mots et les phrases, puisqu’il s’agissait de mots et de phrases se laissaient apprivoiser par sa langue avec discipline et élégance.

Tandis que pour nous pauvres écoliers les sons se chevauchaient, les syllabes collaient aux dents, les p, les b, les m faisaient un méli-mélo… Les phrases sortaient hachées comme du misée à canards, voire sous la forme d’un jargon totalement incompréhensible n’invitant pas aux transports, et qui plus est, nous mettant en butte aux ricanements et moqueries de nos condisciples, qui il faut bien le dire ne feraient pas mieux quand leur tour de prendre la suite serait venue.


Mais de semaine en semaine, et de mois en mois, les sons, puis les mots, les phrases enfin prirent leur ordonnancement, je découvris que ça allait être en définitive plus facile que ce que je l’avais imaginé au premier abord, je commençais à deviner que j’aurais un penchant naturel pour cet art qu’est la lecture.

Je peux bien vous confier que ce n’était pas encore un texte compréhensible qui s’exprimait par nos bouches enfantines, mais des suites d’onomatopées aux sonorités changeantes et modulations plus agréables à l’oreille qu’à nos débuts.


Depuis que j’étais entré à l’école, ma grand-mère avait pris l’habitude de me lire chaque soir après le dîner, un passage de texte puisé dans un recueil de florilèges de la langue Française. Un ouvrage qu’elle avait reçu en prix pour la réussite de son « Certificat d’études » des mains de monsieur le conseiller général ; comme l’attestait une feuille délicatement décorée collée en première page.

Cet ouvrage était bien austère, puisqu’il ne présentait aucune illustration, me le rendant ainsi complètement abscons.

Elle lisait bien grand-mère, d’une belle voix posée qui me plongeait dans les songes, mais elle mettait un acharnement cruel à rechercher pour cesser sa lecture, le moment le plus tendu du récit, celui où l’angoisse monte et où l’on n’a qu’une hâte celle d’entendre comment la situation va se dénouer.

Chaque soir rituellement, je partais en grommelant, après l’avoir remerciée.

  • - Ne grogne pas s’il te plait, il faut savoir attendre me disait-elle, la frustration fait grandir !
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    Un jour n’y tenant plu : Imaginez, la chèvre s’était battue jusqu’à l’aube repoussant tous les assauts du loup, je sentais qu’elle allait gagner, avec ses cornes, le loup n’avait aucune chance, il n’avait qu’à bien se tenir, c’était joué d’avance, et là stop pour ce soir dit-elle.

    La déconvenue fut brutale, j’étais perdu, peut-être y avait-il une autre option dans le récit, peut-être avait-elle finalement répondu aux appels du cor de Monsieur Seguin, je ne pouvais imaginer un dénouement tragique. Il allait falloir attendre jusqu’à demain soir pour connaître enfin le dénouement de cet affrontement, impossible…


    Je revins sur mes pas après le départ de ma grand-mère, pris le livre, la page était marquée par une vieille carte à jouer, allais-je savoir m’y prendre, car ce n’était plus ma méthode de l’école ?

    Oh merveille, les mots semblaient lumineux, ils s’agençaient tout seuls sans difficulté aucune.

    Mais horreur trois fois horreur :

    Ma petite chèvre se faisait dévorer par le loup aux premières lueurs du jour. J’étais si ému que je n’entendis pas la porte se refermer derrière moi, et un rire cristallin s’éloigner dans le couloir !

    Je me suis demandé pendant plusieurs jours, s’il était bien utile d’accéder à ce monde de l’imaginaire pour y découvrir de pareils drames.

    Ensuite la lecture devint une partie intégrante de moi et « je ne me souviens que de mes premières lectures et de leur effet sur moi »

    Mais l’histoire de cette petite chèvre est entre tout ce que j’ai pu lire, la plus vivante à ma mémoire.


    DG Avanton – Mazeuil Décembre 2011

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    Atelier du 19 décembre : « Premières lectures » Insérer dans son texte au moins une des phrases suivantes :   Rousseau, Confessions I : « Je sentis avant de penser : c’est le sort commun de l’humanité. Je l’éprouvai plus qu’un autre. J’ignore ce que je fis jusqu’à cinq ou six ans, je ne sais comment j’appris à lire ; je ne me souviens que de mes premières lectures et de leur effet sur moi : c’est le temps d’où je date sans interruption la conscience de moi-même. Ma mère avait laissé des romans… »

    Situation : le récit de premières lectures et les effets qu’ils ont eus - Destinataire : à choisir en fonction de la situation retenue  -Genre au choix :

    - Nouvelle dans laquelle un personnage parle à la première personne,

    • soit que cette nouvelle soit écrite à la première personne,

    • Soit qu’elle soit écrite à la troisième personne mais qu’un personnage parle à la première personne dans un discours rapporté.

    - Autobiographie.

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