...C'est encore, dans le langage donc dans la pensée, «  chez la mamie », bien que nous soyons propriétaires depuis plus d’un an de La Javelle. Je voulais tant agrandir sur un jardin mon espace vital sis au 76. Notre voisine décède, son fils choisit de nous vendre la propriété, et voilà. Pourtant non ! cela ne se passe pas ainsi dans notre cerveau. La petite maison est venue avec le jardin, comme en surplus. Je ne me sens pas encore chez moi, à côté.

Les travaux d’aménagement ont commencé par le percement des murs et la mise en place de portes-fenêtres qui font entrer la lumière et le soleil. Notre double habitation s’ouvre à présent sur le jardin. Elle est devenue un chantier où je circule dans la pénombre, en veillant où se posent mes pieds pour passer, par la droite, de la salle à manger au débarras côté rue, puis à la pièce claire que nous venons de rénover chez la mamie. Trois marches et la dernière enlevée, remplacée par un parpaing. Petit danger. Un matin, l’habitude s’installant, j’ai posé le pied dans le vide, trop à droite, et je me suis retrouvée la tête en bas, le dos râpé dans l’escalier qui mène à l’atelier. Ce fut l’occasion de vérifier la qualité de mes réflexes. Je me suis rattrapée à la gaine des fils électriques pour arrêter ma chute et ne pas taper de la tête contre la paroi là où l’escalier tourne. Mais j’étais un peu sonnée et surtout éclairée des dangers au quotidien du chantier en cours.

Au petit jour, je sors donc par la gauche, par ce qui sera la future terrasse où les deux maisons se réunissent. L’air frais emplit mes poumons. Matineuse, je me sens bien dans cette douceur d’été qui revient. Noirs envols dans le ciel moiré de rose au matin, par-delà la maison du voisin et le grand cèdre .Etre ouverte au monde au lever est précieux.

Je me baisse vers les violettes, ces discrètes perles qui éclairent l’herbe. Fière de les avoir conservées, je repense aux âmes disparues, à Marcelle, la mamie, et à ma belle-mère, Andrée, dont elles étaient les fleurs préférées.

Je me relève. Le ramage des pigeons postés en ligne au faîte de l’église me dérange. Alors, je rentre me chauffer, pratiquer les échauffements abdos et étirements devant W9, déjeuner et lire les infos sur l’écran de mon ordinateur, regarder mes courriels. HO ! C’est l’anniversaire du 11 septembre. La matinée se passe les yeux rivés sur l’écran télé où les politiques, les présentateurs répètent à, l’envi héros, héros, héros pour évoquer les milliers de victimes. Une satire de la manie de cette pensée unique bout dans ma tête et mes doigts l’écrivent spontanément sur WORD.

J’envoie un courriel à la liste d’adresses pour partager mon écœurement devant la façon dont le mot « héros » est galvaudé. Non pas que je trouve ma production digne d’intérêt. Plutôt comme une revanche. Pour me libérer de cette parole chewing-gum qui rend ma pensée prisonnière.

« Un petit ressenti personnel du matin. A discuter. Chantal »


Et je joins le poème en pièce jointe.


Célébrations de poudre


Et oui. Je ne suis point d’avis de regarder

Toute la journée la célébration en boucle

Du onze septembre,


Fuyant le feu, chaque victime prise au piège

Aurait le statut de héros.

Mais non.

Héros et victimes n’ont pas le même sens.

Ils ne relèvent pas des mêmes valeurs.

Pauvre monde que le nôtre qui confond tout

Dans une soupe médiatique en guise de messe.


Ces images tragiques, ressassées, à la télé.

Sont une punition imposée aux peuples,

A cause du onze septembre


Corps dans le vide, la victime prise au piège

Aurait le statut de héros.

Mais non.

Héros et victimes n’ont pas le même sens.

Ils ne relèvent pas des mêmes valeurs.

Pauvre monde que le nôtre qui confond tout

Dans une soupe médiatique en guise de messe.


Rivés à leur écran comme un drogué asservi

Ils refont vivre ces terroristes-pilotes

Du onze septembre


Chaque victime, écrasée, brûlée, prise au piège

Aurait le statut de héros.

Mais non.

Héros et victimes n’ont pas le même sens.

Ils ne relèvent pas des mêmes valeurs.

Pauvre monde que le nôtre qui confond tout

Dans une soupe médiatique en guise de messe.



Pour commémorer New York revêtu de gris

Sous le zoom des caméras, nos yeux tremblent

A cause du onze septembre.


Chaque victime prise au piège

Aurait le statut de héros.

Mais non.

Héros et victimes n’ont pas le même sens.

Ils ne relèvent pas des mêmes valeurs.

Pauvre monde que le nôtre qui confond tout

Dans une soupe médiatique en guise de messe.


Que New York célèbre ses pompiers, les héros. OK.

Que New York communie devant les milliers de morts des deux tours, ses victimes. OK.

Mais qu’on en fasse ce spectacle mondial annoncé à l’instar des fêtes des jeux olympiques,

Où les caméras vrillent le détail pathétique,

Je trouve cela

obscène.


Chantal Giordano, Dimanche 11 septembre 2011

 

 

Autrement dit, en cette journée anniversaire mondiale d’une tragédie impensable par le nombre de morts qui fait entrer un événement dans l’Histoire, malgré la célébration médiatique qui m’a travaillée au petit matin, en ma journée poitevine de retraitée placide, j’ose confier dans le confort de notre atelier d’écriture que l’accomplissement des projets de restauration qui bonifient ma demeure, la sensation de l’infini dans la simplicité et la beauté de la nature, l’accord avec les âmes des morts que j’aime, les bons réflexes qui me protègent et la revanche par l’exercice littéraire sur un prêt-penser invalidant, ces moments où je me sens exister, je les ai ressentis comme une force, une énergie de vie qui me fait dire : « J’ai connu de vrais moments de bonheur ».

 

Atelier d'écriture : 

Insérer : « J’ai connu de vrais moments de bonheur. », et 5 des dix mots : Ame, autrement, chez, confier, histoire

Forme : Nouvelle et lettre ou plutôt mail et pièce jointe…