Dans l’incapacité de trouver le repos, Alice se tourne et se retourne dans son lit, s’enroule étroitement dans ses couvertures puis les rejette aussitôt rageusement. Elle se relève, appuie son front contre la vitre froide, contemple le jardin pétrifié sous la lune, puis se recouche pour se redresser quelques instants plus tard. Au risque de réveiller sa mère au sommeil rendu si léger par la maladie d’Adèle exigeant une surveillance presque constante, elle ne peut résister au besoin impérieux de descendre au rez de chaussée afin d’extraire de la poche de son manteau la lettre qu’elle y a enfouie plusieurs heures auparavant. Il lui faut la tenir entre ses mains afin de pouvoir prendre sa décision.

Depuis l’instant où Louis l’a surprise à la sortie du collège pour lui confier ce message à remettre à Adèle, sa sœur aînée, l’adolescente est bouleversée. Louis, ce presque voisin, qu’elle chérit en secret depuis sa plus tendre enfance vient de recevoir son ordre de mobilisation. Dans quelques jours, il rejoindra son régiment à Marseille d’où il s’embarquera direction Alger pour une durée de vingt sept mois.

 Vingt sept mois, une éternité ! Vingt sept mois sans espoir de l’entrevoir dans l’entrebâillement de la porte du fournil lorsqu’elle va acheter la miche quotidienne, mission pour laquelle elle se porte toujours volontaire au grand étonnement de ses proches. Vingt sept mois à trembler pour sa vie. Oui, une éternité pour cette presque encore enfant de quatorze ans.

Blottie au plus près du poêle, profitant de la chiche lumière diffusée par le hublot, Alice lit et relit l’adresse à l’écriture maladroite « pour Adèle grasse à Aline ».Elle relève la faute d’orthographe avec un sourire à la fois ironique et amer. Il est vrai que le jeune homme n’a pas eu la chance de pouvoir poursuivre ses études ; à son âge à elle, il commençait son apprentissage d’ouvrier boulanger.

L’enveloppe semble lui brûler les doigts, elle la pose, la reprend aussitôt, dévorée par le désir de l’ouvrir afin de découvrir enfin la véritable nature des sentiments qui unissent les deux jeunes gens.

La décacheter précautionneusement, puis ensuite la transmettre à sa sœur, d’un air tout à fait détaché, sans aucun commentaire, lorsque celle-ci sortira de la léthargie dans laquelle les complications d’une rougeole tardive l’ont plongée ? Ou plutôt…oui, plutôt l’ouvrir, là, tout de suite, la lire puis la jeter dans le poêle, la regarder se tordre dans les flammes et, enfin délivrée, ne plus y penser. Ne plus y penser jamais !

« Je l’ouvre après je verrai bien, j’aviserai, j’ai encore tout le temps de réfléchir avant qu’Adèle soit en état de parler et surtout de lire ! »

 

                                                           Adèle, ma douce, ma bien aimé,

-Adèle, ma douce !  Mais ce n’est pas possible, on voit bien qu’il ne vit pas avec elle !

Douce, Adèle ? Alors là, il y va fort ! Il ne connait pas son véritable caractère.

A la boulangerie, tout le monde parle de ta maladie. Ils disent même que tu ne réagis plus, que c’est la faute à une très mauvaise rougole. Je me suis bien inquiété tu sais au début de ne plus te trouvé à notre rendé vous du soir puis quand j’ai vu que s’était Aline qui sortait le chien, j’ai vite comprit que t’ avais un problème et même un grave. J’ai pas voulu labordé et lui posé de question, j’ai qu’à moitié confience en elle, j’avais peur qu’elle nous moucharde auprès de tes parents.

Alors là, il est gonflé le mec ! Pas confiance en moi ! Et pourquoi donc, s’il te plait ?

Pas -  confiance-   en -  MOI ? C’est pour cela que tu  m’as  fourgué cette fichue lettre !

Parce que t’es coincé, mon p’tit gars ?

Aujourdui je suis pourtant bien obligé de lui  faire appel  pour te faire passé cette lettre, j’ai eu beau réfléchir, je n’ai pas trouvé d’autre moyens. Pourtant je te le redis je me méfi delle, elle est folle de moi et serai jalouse si elle savait tout de nous. Avec son penchant naturel à prendre ses désirs pour des réalités, elle est persuadé que je rêve de me marié plus tard avec elle. Je lui ai selement dit que je voulai te souhaité une mélleure santé avant de partir.

Moi ? Folle de lui ? Mais il prend ses désirs pour des réalités !

C’est que, ma pauvre douce, j’ai une mauvaise nouvelle à tannonsé : je pars demain matin pour Marseille puis cape sur Alger à moins que j’ai la chance de me faire réformé à la visite médicale qu’ils me ferons passé avant de membarqué. Le médecin a bien voulu me faire un sertificat pour dire quétant petit, j’étais un peu rachitique, sauf que maintenant, ça ne se voit plus guère !

Rachitique, lui ? Il se fout du monde ! Tout le monde dit qu’il est drôlement bien balancé ! Il faut qu’il se trouve un autre motif.

D’un autre coté, si je me fais réformé, tes parents aurons encore une bonne raison de plus de ne pas vouloir de moi : pauvre, ouvrier, sans instrucsion, fils d’une mère sélibatère et réformé par-dessu le marché !

Encore heureux que les parents ne veulent pas le voir rôder autour d’Adèle ! Il manquerait plus que ça ! Au bal des pompiers, il s’est rendu ridicule : pendant  la danse du balai, il refusait même de changer de partenaire. Même que quand j’ai voulu danser avec lui, il s’est moqué de moi en chantonnant : t’es ben trop petite mon amie, t’es ben trop petite, Dame oui ! Et aujourd’hui, il ne me trouve plus trop petite pour lui servir de facteur.

Ya bien des chanses pour qu’on membarque et si cette fichu guerre sarête pas, jen ai pour 27 mois, 27 mois loin de toi ma pauvre douce. Jespère que tu soras mattendre come moi je tatendrai, je te le jure. Note bien que jy vois quan même un intérêt : je vais mapliqué à prendre des galons et tes parents aimerons sa sest sur.

C’est bien dommage que je n’ai pas un stylo rouge comme les profs, je corrigerais toutes ses fautes, j’aurais du boulot ! Il est vraiment nul, archi nul. Tout dans l’allure, rien dans la tête !

Pour le courier, je me suis entendu avec mon oncle, le jeune frère de ma mère.

Je técrirai a son adrese dans une double envelope,tu pouras y allé le soir en promenant ton chien sa te fera marché un peu plus mais come sa tu penseras a moi come si jétais la. Il s’apèle Paul Joulain, il habite 27 (comme 27 mois) rue des tanneries, en desous du canal ou on se baladai le soir. Dès que quand j’arive, je tenvoi mon adrese ma pauvre douce. Sa va faire bizare de sécrire sa nous est jamais encore arivé, même pas un petit mot, y faut se faire à tou !

Pour lui faire bizarre, ça va lui faire bizarre à Adèle de découvrir le niveau d’orthographe de son petit chéri ! Enfin…si je décide de lui donner la lettre !

Jespère que ta santé va vite revenir.

Je tembrase aussi for que je taime.

Ton Louis pour la vie

Pour la vie ! Il ne doute vraiment de rien ! D’abord ça, ça dépend de moi ! Si je brûle cette lettre, Adèle ne connaîtra jamais son adresse pour lui écrire. En fait, je lui rendrais même service à ma sœur, il est vraiment trop nul.

Une rage froide s’empare d’Aline au fur et à mesure de sa lecture, les ricanements succèdent aux larmes, les larmes aux ricanements. Comment elle, première de sa classe de troisième, éternelle habituée du podium emportant toujours tous les prix de fin d’année depuis sa classe de cours préparatoire, a-t-elle pu tomber folle amoureuse d’un illettré ? Inconcevable !

 

Tandis que sonne le glas, des dizaines et des dizaines de silhouettes endeuillées se dirigent vers l’église à travers les rues de la petite ville pressées qu’elles sont d’arriver bien avant l’heure des obsèques afin d’échafauder mille et une hypothèses sur les véritables raisons de la disparition si prématurée de la jeune fille, une si belle jeune fille, aimable, pas fière et de  si bonne famille. Ce qui étonnait c’était de la voir se promener tous les soirs, le long du canal, avec le Louis Joulain. Oh ! Un gentil garçon, pour sûr, mais pas de son monde. Il est certain que Maître Roulot n’en savait rien ! Si le setter avait pu parler…

 Incapable pour l’instant, de rejoindre au rez-de-chaussée tous ses proches accablés de douleur, de supporter le spectacle de sa mère, de ses tantes dissimulées sous d’opaques voiles noirs, Aline, sous prétexte d’une violente migraine,  se terre dans sa chambre afin de cacher sa souffrance et sa honte. Depuis l’aggravation de la maladie de sa sœur, elle ne supporte plus de contempler, ni même d’entrevoir, son reflet dans la glace. Comment croire que ce gentil minois à l’expression angélique cachât une âme aussi vile ? Comment a-t-elle pu se révéler capable de trahir sa sœur en abandonnant volontairement la lettre de Louis dans un des tiroirs de son bureau lequel était, elle le savait, systématiquement fouillé par une mère totalement irrespectueuse de l’intimité de ses filles ? Comment a-t-elle pu ensuite se réjouir aussi intensément de la réaction violente de ses parents qui laissèrent partir en sanatorium une Adèle très affaiblie par une mauvaise pneumonie consécutive à la rougeole non seulement sans un geste de tendresse mais avec des paroles particulièrement injustes et odieuses ?

Elle est à présent profondément convaincue qu’Adèle a renoncé à combattre sa maladie tant elle était désespérée : désespérée de demeurer sans nouvelles de Louis alors que le bilan des soldats tués en Algérie s’alourdissait de jour en jour ; désespérée par la dureté et l’intransigeance de ses parents refusant d’admettre son amour pour Louis ainsi que par l’attitude indifférente pour ne pas dire narquoise de sa jeune sœur à l’égard de qui elle nourrissait une grande tendresse qu’elle avait toujours pensée réciproque.

Alors que les cloches de l’église toute proche se taisent enfin et qu’il lui faut à présent impérativement descendre se joindre aux autres, Aline pressent qu’elle ne fait que commencer une longue, très longue marche sur le chemin du remords.

Qui croirait que la faute d’un enfant pût avoir des suites aussi cruelles ? pense-t-elle.

Thème des dix mots édition 2011-2012 : Dis-moi dix mots qui te racontent…

Une thématique sous le signe de l’intime (en hommage à Rousseau)

Les dix mots :

Ame – Autrement – Caractère – Chez – Confier – Histoire – Naturel – Penchant – Songe – Transports

 

Exercice d’écriture : Un souvenir coupable. Une lecture d’un extrait de Rousseau et une phrase comme déclencheur : La scène du ruban. « Qui croirait que la faute d’un enfant pût avoir des suites aussi cruelles ?» Phrase à insérer dans son texte.

 

Situation : le récit d’un souvenir d’enfance et de la culpabilité qu’il a entrainée.

 

Destinataire(s) :

-          à choisir en fonction de la situation retenue

 

Genre au choix :

-          nouvelle qui inclut le souvenir

-          lettre à une personne impliquée dans le souvenir

                                                  

 

Mots à employer :

Au moins : caractère, âme, confier, naturel, penchant…

 

Le dépliant :

http://www.dismoidixmots.culture.fr/wp-content/uploads/2010/11/DEPLIANT_DISMOIDIXMOTS_courriel.pdf

 

Le livret :

http://www.dismoidixmots.culture.fr/wp-content/uploads/2010/11/LIVRET-DMDM_COURRIEL_BD.pdf

 

Proposition de dates pour les prochaines séances :

Mercredi 12 octobre

Mercredi 9 novembre

Mercredi 21 décembre ?

Mercredi 11 janvier…..