La quantité de passion était toujours la même, mais au lieu qu'elle soit à peu près uniformément répartie, il n'y en avait plus qu'un seul de nous deux qui la ressentait.

 

L'autre, (moi, en l'occurrence), la subissait.

 

L'effusion me convenait ; la fusion, non.

 

Cela ne signifie pas que je vécus comme une routine ce qui succéda à nos premiers embrasements. Elle ne m'en laissa pas le temps ; les invitations au voyage succédaient aux cadeaux ; le corps qui s'offrait, aux mains qui se proposaient ; les gestes, aux paroles.

 

Mais bientôt les larmes prirent la place des rires, et les reproches celle des déclarations.

 

Je n'y pouvais mais... La magie avait disparu, et je me trouvais pour une fois de l'autre côté de la barrière.

 

Je n'étais plus le demandeur.

 

J'étais le demandé.

 

Et cela me devint rapidement insupportable.

 

Je compris – enfin ! – ce qu'avaient pu ressentir parfois certaines des femmes qui avaient partagé quelque temps mon existence, et pouvais maintenant mieux comprendre leurs réactions d'agacement à mes sollicitations d'amoureux transi.

Car celle que j’évoque aujourd’hui ne me laissait jamais le temps de souffler.

Que ce soit physiquement ou intellectuellement, il me fallait toujours être sur la brèche.

Encore voulait-elle bien admettre – Dieu merci ! – que mon organisme avait besoin de se refaire une santé avant de pouvoir de nouveau repartir à l'assaut de ses charmes.

Mais si elle acceptait – bien obligée ! – de me laisser souffler de temps à autre sur ce terrain-là, il en allait tout autrement de l'intellect dont la marmite devait bouillir en permanence. Toute question de sa part ne pouvait engendrer qu'une réponse de la mienne, et l'absence de cette dernière ne pouvait que donner naissance à une autre question.

 

Le terrain de la dialectique devait être occupé quoi qu'il arrive, et je crois qu'il m'arriva plusieurs fois d'aller rompre une lance au croisement de ses cuisses pour obtenir – je ne dirais pas un instant de silence, loin de là ! – mais une forme de repos intellectuel, au détriment d'une certaine lassitude physique.

Il me souvient d'un soir où la conversation – son monologue, plutôt – se déroulait sans interruption, et sans que j'entrevoie la moindre possibilité de tarir le flot.

De quoi parlait-elle ?

 

Dieu me damne si je m'en souviens. Je n'éprouvais qu'une furieuse envie de dormir, car la belle avait déjà suffisamment épuisé ma virilité pour qu'il ne me reste plus que cette échappatoire.

 

J'avais vraiment très envie de dormir. Moins que je ne le manifestais ostensiblement, mais plus qu'elle ne le souhaitait.

 

Et elle parlait !

 

Elle parlait ! !

 

Elle parlait sans cesse ! ! !

 

J'en arrivais alors à émettre un ronflement, pour essayer de lui couper le sifflet.

 

Quelque peu suffoquée de l'outrage, elle me demanda alors d'une voix acide : - Tu dors ? et devant mon absence de réponse, se résolut – enfin ! – à faire de même.

 

Mais j'avais bien senti qu'elle m'en voulait de n'avoir pas prêté attention à l'intégralité de son discours.

 

Le lendemain matin, alors que  les dernières vagues du sommeil me déposaient doucement sur la plage de la conscience, je sentis comme une présence à mon flanc.

 

Je ne bougeais pas, tentant de deviner ce que je ne pouvais m'empêcher de ressentir comme une menace.

 

Je continuais donc à « dormir », d'un sommeil large et profond.

 

Et peu à peu, je compris, aux bruits, à l'ambiance, à l'atmosphère, à sa respiration, qu'elle était à côté de moi, et qu'elle attendait que je me réveille.

 

Sa présence, sa respiration, la tension que je percevais, tout était menaçant.

 

Lâchement, je continuais à faire semblant de dormir, me demandant comment sortir d'une situation qui ne pouvait s'éterniser.

 

C'est elle qui se mit alors en scène.

 

Elle commença à bouger, à s'étirer, comme si elle reprenait conscience.

 

Puis elle se mit à me donner des coups de pied, des coups de fesses, ainsi que peut le faire une personne s'étirant « naturellement » au sortir du sommeil.

 

Je tentais de continuer à faire le mort, espérant gagner quelques minutes.

 

Peine perdue.

 

Elle en vint à me donner de tels « coups » qu'il me fallut bien revenir à l'état conscient, ce qui était évidemment le seul et unique but de toute cette agitation.

 

Car elle reprit alors son histoire à l'endroit exact où elle l'avait interrompu la veille, lorsqu'elle m'avait cru endormi.

 

Je faillis hurler.

 

Je me retins.

 

Mais elle venait de signer l'arrêt de mort de notre relation.

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Ce fut une histoire d'amour comme on en vit parfois, une histoire d'amour qui, comme tant d'autres, s'acheva dans la douleur.