Elle y avait passé trois ans en tout, qui nous avaient paru à toutes deux une éternité. Trois ans de froid, tant au niveau du climat que de l'atmosphère qu'elle avait trouvé là-bas, et si elle s'était fait des relations, bien sûr, on ne peut pas dire qu'elle y comptait des amis !

« Les gens d'ici », m'avait-elle confié dans une de ses lettres, « sont d'un naturel aussi rude que leurs paysages. Six mois sur douze, il gèle à fendre l'âme, et s'ils ont quand même le teint rougeaud, c'est qu'ils se réchauffent constamment la chaudière à coups de bière et de viina, une eau de vie insipide qui n'a d'autre fonction que de dégeler les artères... Même s'ils savent parler anglais, ils ne font aucun effort pour me joindre à leurs conversations, se moquent de mon accent quand j'essaie de leur parler finnois, et même en ville ils ont des manières de paysans mal dégrossis ».

Ce n'était pas de gaieté de cœur qu'elle était partie là-bas, mais cela avait été le seul moyen pour qu'elle puisse faire sa thèse, à laquelle elle tenait par-dessus tout. Après son master en chimie, elle était résolue à se tourner vers la recherche de traitements pour lutter contre la maladie d'Alzheimer, qui avait gâché les dernières années de son grand-père.

La seule entreprise qui avait pu l'accueillir était basée à Helsinki, elle avait donc fait ses valises.

Trois ans que je ne l'avais pas vue autrement que par l'intermédiaire de Skype, trois ans que son heureux caractère n'égayait plus la maison. J'aurais pu, si j'en avais eu les moyens, lui rendre visite, mais vu le tableau qu'elle me brossait de sa vie, je ne me sentais pas si frustrée...

Enfin, ma thésarde me revenait. Pour l'accueillir, j'avais mis les petits plats dans les grands, et je guettais les bruits de pas avec impatience. J'allais bien la réconforter, la réchauffer, car après tout, comme le disent les anglais, there's no place like home !

Et là, surprise ! Celle à qui j'ouvris la porte avait l'œil vif et le teint frais d'une vacancière !

Elle me parla pendant des heures. Le poulet refroidissait dans son assiette, puis la tisane dans sa tasse... Quand je n'en pus plus de sommeil, elle dut remettre au lendemain la suite de son récit.

Je baillais, il est vrai, et pas seulement de sommeil, mais j'étais surtout saisie d'admiration devant l'enthousiasme avec lequel elle me racontait ses prouesses, l'entêtement qu'elle avait mis à poursuivre le virus assassin de son grand-père, sa ténacité devant les échecs, qu'elle illustrait de multiples détails, ses fausses joies et ses déceptions...

Etait-ce bien là la fille dont j'avais lu les missives désabusées, et qui revenait de ce pays tant décrié ? C'est qu'elle avait passé sous silence dans ses messages ce qui avait conduit à un tel épanouissement, sachant bien que je n'y comprendrais rien... Cela ne tenait ni au pays, ni à ses habitants, ni à quelque prince charmant qui aurait mis du miel dans son quotidien, mais au contenu de ses éprouvettes :sa recherche, qui m'était bien sûr très absconse, mais qu'elle tenait tellement à me conter par le menu, jusqu'à ce jour pas si lointain où elle avait découvert ce quart de moitié de molécule qui permettrait, très bientôt, qui sait, ou dans quelque temps seulement, et associée à d'autres moitiés de quarts de molécules, de faire reculer la maladie.

C'est ces trois ans de laboratoire, de tâtonnements, d'erreurs, dans ce pays quasi hostile, qui l'avaient amenée à me dire maintenant, dans un large sourire : « J'ai connu de vrais moments de bonheur ».

 

Atelier 2 - 12 octobre. Intégrer la phrase inductrice. Employer au moins 5 mots de la liste de l'année. Genre : soit une lettre, soit intégrer une lettre dans une nouvelle