Le 25 avril 2008 j'écrivais cette oraison funèbre en manière de plaisanterie pour taquiner mon vieil ami Pierre qui avait paresseusement décidé d'arrêter l'écriture de son roman autobiographique au seuil de ses trente ans de son pseudo Pierre Parlier. J'étais alors loin d'imaginer que la réalité rejoindrait aussi vite la fiction de cette pantalonnade, laissant tous ses proches et ses amis dans la peine.
Le 22 avril 2008 à 12h 27m 41s, avec la parution du cent trente troisième épisode du "Roman d'un homme heureux 1 ", Pierre Parlier nous quittait.
Il sera mort au champ d'honneur de l'Ecritoire, dans la fleur de sa jeunesse, nous laissant désemparés devant les portes désespérement closes d'une vie d'adulte dont on ne saura rien.
Sentant qu'à partir de trente ans le carrosse de sa jeunesse allait inéluctablement se changer en citrouille, Pierre Parlier a eu l'élégance de poser sa plume pour nous épargner ce désolant spectacle.
Ainsi donc, en ces tristes instants, il m'est doux de vous annoncer que les pères fondateurs de l'Ecritoire sont assurés de conserver leur éternelle jeunesse. Le roman d'un homme heureux de Pierre Parlier, en concession perpétuelle sur l'écritoire restera en compagnie du nouveau signe du mois du Tour de Zodiaque de notre Grand Maître Jean Roulet jusqu'à la fin des temps.
Mais nous, pauvres gens du blog, dont le coeur a battu chaque jour pendant quatorze mois dans l'attente fébrile du rebondissement du prochain épisode, qu'allons nous devenir ?
Mes très chers frères en écriture, recueillons nous un instant pour nous souvenir:
Alger, le boulevard, qu'on appelait le boulevard parce qu'il n'y en avait pas d'autre, le Bar l' Otomatic", les copains Chichou et Belmont, Tchatcha tcha les thons, sa mère, sa grand'mère (qui mourra centenaire), le Général de Gaule, les yaouleds, son premier amour (le bus des Beaux Fraisiers!), le minus habens, le retour d'Allemagne du père, le berceau familial de la Maison Carrée, la venue du général de Gaulle, sans oublier la radio, soeur Odile, les réalisations théatrales, puis à nouveau , le général de Gaulle, les barricades..
Ensuite, l'arrivée à l'aéoport de Paris, avec au bout du bras une lourde TSF à lampes empaqueté dans du papier journal dont la ficelle de raphia lui coupait les doigts, l'accueil de l'oncle dans son magasin de parapluie, la Sorbonne, les amours jamais simples -Ah! qu'il nous en a causé du souci avec ses amours!- le théatre antique, Avignon, le Vaucluse, les représentations avec des pots de confiture en guise de spots d'éclairage et j'en passe, les gaités de la vie de saint Germain avec des célébrités en herbe, parfois citées, parfois non. Notre homme échangera ensuite ces mêmes gaités pour celles de l'escadron. On le retrouve à Nancy puis à Landaû où sa pratique du théatre lui permet de traverser sans peur les pires épreuves car sachant débusquer le coeur tendre qui bât dans le personnage de l'officier le plus sanguinaire.
Alliez à tout cela, le goût de la fréquentation de ses semblables, surtout en milieux clos et transitoires, comme l'armée, les groupes de théatre, et plus tard, l'Espace du possible, mais chutt!! et vous aurez tous les ingrédients de la recette pour obtenir un homme heureux. Ça ne vous rappelle pas le titre d'un roman ça? Ah! J' oublie quelque chose et ce n'est pas le moins important: l 'amour , et surtout la concrétisation de l'amour! Car comme le dit Lacan faisant sien un propos de Sainte Thérèse de Lisieux, il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour! Mais là cela devient un peu plus compliqué, et même très très compliqué mais je n'en dit pas plus pour le pas ...déflorer le sujet( Si l'on peut dire en pareil cas!). En effet, tout le monde n'a pas encore lu " Le roman d'un homme " et l'on a grand tort! C'est une lecture saine qui vous fait voir du pays,une époque, des milieux, vous fait faire du chemin sur la psychologie des personnages rencontrés dont vous avez rapidement l'impression qu'ils appartiennent à votre propre passé. Pour faire bref, le roman universel !
Je vous fais grâce de ses études, c'est toujours fastidieux, c'est d'ailleurs pour cela que Pierre Parlier en parle peu et l'on arrive à Mai 68. Après celles d'Alger, celles de Paris, les secondes barricades comme si vous y étiez(je dis secondes à tout hasard, il y en aura -t-il des troisièmes ?). Mai 68 vécu dans le feu de l'action, sa réflexion ne viendra qu' en 2008 dans un éditorial d'une autorité magistrale sur cette même page de l'écritoire. Un billet lumineux dont la lecture vous donne le sentiment d'être vous même devenu intelligent!
Quand à Petra , la belle allemande ensuite draguée aux Tuileries. Ah! Pétra, je ne vous en dis que cela, encore un amour contrarié, mais vous verrez que Pierre Parlier a fait très fort pour en arriver là.
Un garçon attachant, ce Pierre Parlier, témoin attentif d'une époque en profonde mutation. Un peu compliqué certes, mais toujours drôle et si imprévisible qu' avec lui on ne s'ennuie pas. En tous cas, il ne vous laisse jamais indifférent.
Ecoutez bien, mes très chers frères, rassemblés devant le Panthéon de l' Ecritoire. Dans le lointain la grande voix de Malraux gronde déjà sur nos plaines: "Entre ici, Pierre Parlier, tu as bien mérité de ta plume".
Mais nous, tes compagnons de route, nous restons à jamais inconsolables.
A nos grands auteurs,
l' Ecritoire reconnaissant
NB: Fût-ce l'impact de ce plaidoyer? En tous cas, Pierre reprit sa plume à l' automne 2008 pour livrer à l'Ecritoire ajoutant aux 133 billets déjà parus 81 nouveaux éblouissants épisodes de sa vie d'adulte dont certains particulièrement savoureux sur l'Espace du Possible.