Simone fut tout de suite intriguée par le ton qu’avait pris Georges pour l’interpeller alors qu’elle s’apprêtait à sortir pour pendre son linge. Il n’allait pas très bien depuis le départ de Nicolas, et elle mit ce ton grave et compassé sur le compte de ce mal être. Georges de son côté répétait dans sa tête la déclaration qu’il avait préparée pour trancher dans le vif, il n’était en aucun cas acceptable qu’il se laisser berner.

 

La phrase de Nicolas, « Non ils n’ont pas encore d’enfant » l’avait cueilli au plexus comme un crochet du droit de Mohamed Ali. S’il n’avait pas répliqué et questionné plus avant, c’est qu’il en avait eu le souffle coupé et que l’oxygène n’arrivait plus à son cerveau. Lui qui depuis si longtemps se demandait s’il était coupable de quelque chose, ne se faisait désormais plus d’illusion, sa femme elle-même le tenant pour responsable puisqu’en cachette elle communiquait avec leur fils. C’est vrai que les mères ne réagissent pas de la même façon que les hommes, mais là. Il ne pouvait plus penser, cela le brulait au creux de la poitrine avec une telle violence qu’il commençait à se demander s’il n’était pas en train de faire une crise cardiaque, un « infratus » ou quelque chose d’approchant, il n’avait jamais pu se rappeler de ce mot.

 

Simone venait de s’asseoir en face de lui et attendait qu’il se décide à prendre la parole puisque c’était lui qui l’avait convoquée d’un ton comminatoire !

Lui, en face d’elle paraissait crispé, la main sur la poitrine, le visage grimaçant, elle se dit qu’il était bien capable de lui faire un malaise, il fallait que l’affaire fût d’importance pour qu’il se soit mis dans un état pareil.

 

-         Avant que tu ne commences à parler, veux-tu que je te donne quelque chose pour te détendre ?

-         Oui, dans ma trousse de toilette il y a un flacon de Lexomil, donne m’en un cachet.

-         Ah bon, tu prétendais que tu n’en avais plus ?

-         Je t’avais dis ca pour te rassurer, il m’en restait, je n’allais tout de même pas le jeter.

 

Elle, bonne pâte, lui prépara le cachet demandé, et il fallut attendre une bonne dizaine de minutes que le remède fasse son effet ;

 

C’est encore elle qui prit l’initiative de relancer la conversation…

 

-         Si tu en venais au fait, nous n’allons tout de même pas y passer toute la soirée, qu’est-ce qui te tracasse ?

-         En tant que mère, que tu téléphones à ton fils, passe encore, mais que tu ne m’en informes pas, alors là, pour moi qui suis tout de même le père, c’est blessant.

 

Mais qu’est-ce que c’est que ce charabia, qu’est ce qu’il me raconte là, de quel coup de téléphone me parle t-il ?

 

-         Tu pourrais m’expliquer, car là je dois t’avouer que je n’y suis plus du tout.

-         Tu peux bien jouer les saintes Nitouche, cela ne réglera pas ton problème, mais crois le bien, j’attendais quand même autre chose de ta part, ca ne me fait pas plaisir.

 

C’est que là, pardonnez –moi, mais il commençait réellement à lui casser les pieds.

 

Restons calme se dit-elle ou cela va dégénérer.

Elle ne savait pas d’où il tenait cette information qu’il venait de lui fournir, mais elle lui était allée droit au cœur. Enfin après tant de temps, elle savait que son fils était vivant, la situation était donc en train d’évoluer.

Elle ne s’était jamais imaginé qu’il ait pu lui arriver malheur, ils en auraient été informés par ses copains, enfin le pensait-elle.

Elle avait aimé l’idée de s’imaginer Grand-mère, et même si ce n’était pas encore le cas, cela finirait bien par venir…Et puis on verrait bien. Alors pourquoi se mettait-il dans un état pareil, c’était plutôt une bonne nouvelle.

 

-         Tu sais à quel point j’estime Nicolas, mais quand même, lui raconter à lui ce que t’a dit notre fils et ne pas m’en faire part !

-         Où as-tu été chercher que j’avais raconté à Nicolas ce que m’aurait dit Florent, tu es tout de même terrible dans ton genre.

 

Il lui raconta en détail la séance de dessin avec Nicolas la veille de son départ et comment tout à trac il lui avait balancé en parlant de Florent que non ils n’avaient pas d’enfant et ce, alors que moi je venais de lui avouer que je ne savais même pas s’il était marié et avait des enfants.

 

C’est vrai que cette réponse peu paraitre troublante marmonna-t-elle entre ses dents, mais je peux te jurer que je n’y suis pour rien.

 

Georges, ne supportait rien de moins que la mauvaise foi, et là il commençait à trouver que sa femme en rajoutait beaucoup. Dans le même temps il ne pouvait écarter l’idée qu’elle fut sincère, et loin de clarifier la situation cette possibilité venait encore compliquer les hypothèses.

 

-         Tu me jures que ce n’est pas toi…

 

Il n’eut pas le temps de développer plus avant sa pensée qu’elle lui sauta pratiquement à la gorge, pendant quelques secondes il eut peur et s’empressa de s’excuser de sa maladresse ? Mais on avait frôlé l’incident grave.

 

Elle n’était pas mécontente de lui avoir rabattu son caquet, car cette fois il était allé vraiment trop loin, mais désormais on allait pouvoir discuter sur des bases plus sereines.

 

-         Si ce n’est pas par toi, par qui a-t-il bien pu obtenir cette information, hein ?

-         Avant ce matin je t’aurai dit, Michelle, mais depuis notre explication, je ne pense pas qu’elle nous cache encore quelque chose. Penses-tu que ce puisse être un hasard qu’il ait répondu comme ca sans savoir réellement ce qu’il en était.

-         Je ne pense pas, il était très affirmatif, et après sa déclaration quand il a perçu mon trouble, il était très embarrassé.

 

Ils restèrent un long moment l’un en face de l’autre cherchant une explication à cette remarque stupéfiante. Elle n’avait pas été faite pour les blesser, mais très certainement pour leur redonner de l’espoir, mais alors pourquoi ne pas leur avoir donné plus d’explications ?

 

Simone fut comme à l’habitude la première à se reprendre.

 

-         Tu n’as pas oublié que demain matin je vais à Paris pour mon rendez-vous avec Félicité, il faudra que tu m’emmènes à la gare pour huit heures ! Tu m’écoutes, enfin sois à ce que tu fais.

 

C’est qu’il était tout à fait à ce qu’il faisait, Simone venait de lui donner la clé de l’énigme. Il partit vers la maison à pas rapides, Simone était désespérée, il ne pouvait jamais aller au bout des choses. Lui suivait son idée, la réponse c’était le portable.

C’est dans le portable qu’il avait trouvé les coordonnées de Félicité à Annecy, c’est dans le portable qu’il trouverait les coordonnées de Florent.

 

Au dos de l’appareil un petit papier était collé avec un morceau de scotche : pour téléphoner à l’étranger composé ce numéro, 01….puis après mise en route du répondeur composez le, un nouveau chiffre, c’est ma date de naissance, quand vous avez la ligne composez le numéro que vous voulez appeler, bonne chance !

Lorsque Nicolas lui avait remis le portable il était si troublé qu’il l’avait mis dans sa poche sans le regarder, alors que la réponse était là sous ses yeux !

 

Il revint tout guilleret vers Simone pour lui annoncer sa découverte.

 

-         Que vas-tu faire ?

-         Je vais commencer par regarder dans le répertoire, avec un peu de chance le numéro de Florent y sera inscrit, ensuite nous aviserons !

 

Effectivement, le numéro espéré était bien là, en accès direct, il n’y avait plus qu’à !

 

Cela peut paraître simple de composer un numéro de téléphone, que ce soit sur un poste fixe ou sur un portable, mais dans certaine situation ce n’est plus si facile. La peur, cette main brutale qui vous étreint le ventre empêche votre cerveau de commander l’opération. Vous avez beau vous escrimer, vous ratez un chiffre, vous vous arrêtez en plein milieu du numéro incapable d’aller plus loin.

 Ce qui est tout de même paradoxal c’est que si vous ne faites rien ce sera bien plus terrible encore, mais si la connexion cerveau main ne se fait pas vous restez complètement planté, seul en face de vous-même…

 

Dans chaque contact toujours la même hantise, l’appeler pour lui dire quoi, comment va-t-il réagir, si pendant tout ce temps il n’a pas appelé, c’est qu’il ne voulait pas nous entendre, de quel droit pouvons nous nous permettre d’interférer dans sa vie. Peut-être nous en veut-il encore…Il est aussi possible qu’il n’ose pas ou n’ose plus, et puis les jours passent et le temps fait son œuvre, chaque effaçant un peu plus le précédent

 

Georges s’était mis à trembler comme s’il avait une poussée brutale de parkinson et ses yeux embués l’empêchaient définitivement d’obtenir un résultat. Simone depuis quelques instants se demandait s’il fallait intervenir pour lui venir en aide.

 Peut-être valait-il mieux éteindre le portable et attendre qu’un retour au calme se soit produit, ce fut pour cette seconde solution qu’ils optèrent.

 

Le sort a parfois des caprices qui aident à dénouer les problèmes les plus insolubles ou les plus angoissants, Moerani qui de son côté devait faire face aux angoisses de Florent décida de téléphoner à Nicolas pour lui demander son aide pour qu’il intervienne auprès de Florent, et ce qui devait arriver arriva, ce fut Simone qui lui répondit.

 

Moerani marqua un temps d’arrêt en entendant une voix inconnue et fut tentée de couper la communication, mais Simone qui venait de comprendre cria sans lui en laisser le temps.

 

-         Non je vous en prie, ne coupez-pas, je suis la mère de Florent…

 

Il y eut un temps de silence et une voix répondit :

 

-         Bonjour, je suis Moerani la compagne de Florent…

 

*****

Félicité aurait aimé que Simone vienne à Annecy, elle se serait sentie plus forte en l’accueillant sur son territoire. C’était l’une de ses pratiques habituelles, de toujours rechercher à se placer en position dominante, pour ce que cela lui avait réussi, pourtant elle avait cédé sans difficulté. Cette femme l’impressionnait, son calme et sa capacité à se mettre à l’écoute lui donnait l’impression qu’avec elle, elle pourrait déposer les armes et lâcher son masque.

 

Ce n’est pas rien de mener toute une vie en étant toujours sur ses gardes, en voulant imposer son image, un peu comme une marque déposée.

 

-         Ah, oui, Félicité, une maitresse femme !

 

Alors qu’elle savait bien, qu’elle n’était qu’un décor peint, qu’un trompe l’œil, la classe, mais du vent. A maintes reprises, elle avait été sur le point de jeter le gant et d’abandonner. Mais il y avait Nicolas, et elle n’avait pas tenu jusque là pour céder alors qu’elle avait fait tout ce chemin. Ce pouvait-il qu’elle se soit trompée, qu’en mystifiant les autres par ses allures et ses postures, elle ait été sa propre victime et se soit interdit un vrai droit à la vie et au bonheur.

 

Ce pourrait-il qu’à son âge il y ait encore de l’espace pour vivre et être heureuse. Elle ne pouvait pas compter sur Frank pour l’aider, il était aussi coincé qu’elle et pour cause, ils avaient cheminé sur les mêmes routes. Elle n’aurait voulu pour rien au monde qu’il parte, il fallait seulement qu’ils se donnent les moyens de vivre autrement.

 

Quand il n’y a plus rien à perdre, il faut y aller franchement, et cette Simone était peut-être l’opportunité qu’elle attendait…Remonter faire un petit tour à Paris, cela avait un petit charme qui ne se refuse pas.

 

*****

 

Les conditions de travail étaient idéales, luxe confort et climatisation, mais la compétition était rude. Certaines équipes étaient arrivées avec une kyrielle de collaborateurs et un matériel pas possible.

 

Là il devait convenir qu’ils faisaient un peu amateurs. Le jury ne se contentait plus d’esthétique et de forme, il fallait leur donner du solide et du concret. Ils se battirent comme des lions et jamais ils ne furent ridicules. En ingénierie bâtiment ils furent même très bons. Le cabinet avait mobilisé toutes ses ressources et ils purent répondre à toutes les problématiques dans les délais impartis. C’est dans le domaine de la muséographie qu’ils eurent le plus de lacunes les exigences évoluant au fil des discussions, et puis on était là dans un domaine très particulier.

 

Quand l’ensemble du jury réunit les quatre équipes qui s’étaient affrontées durant ces dix jours tout le monde était épuisé, mais heureux que cela soit enfin terminé, les équipes se congratulèrent, chacune espérant tout de même être la lauréate du concours. Désormais il n’y avait plus rien à faire que d’attendre, les experts allaient reprendre les différents projets pour les comparer et les évaluer pour donner au jury les moyens d’arrêter définitivement leur choix.

 

Le Prince héritier qui présidait le jury fit le tour de la salle pour saluer toutes les personnes présentes ayant pour chacune d’entre elles une parole aimable. Avec leur groupe c’est surtout à Nicolas qu’il s’adressa.

 

-         Je ne sais pas si votre équipe gagnera dans cette compétition, mais je tiens à vous féliciter pour l’intelligence de votre présentation, vous avez respecté notre peuple et nos croyances, et vous avez su nous faire rêver, nous qui sommes si souvent blasés, parce que nous vivons au quotidien dans l’abondance. Vous nous avez rappelé que nous sommes des bédouins, et que notre espace de vie c’est le désert.

-         Nicolas le remercia par une formule de politesse en arabe, et conclut en disant qu’ils espéraient bien avoir l’opportunité de revenir dans ce pays pour participer à ce projet pharaonique de la construction de leur musée, Dick leur avait enseigné qu’il fallait toujours avoir « le fighting spirit », formule qu’il avait appris dans le monde du rugby quant il pratiquait ce sport.

 

-         Vous ne connaissez pas le désert je suppose ajouta le prince ? Si cela vous tente, mon fils vous emmènera y passer deux jours, vous verrez, c’est magnifique et magique, c’est aussi assez surprenant quand on ne connaît pas ces espaces et ses propres limites.

 

*****

Quand le Mel s’afficha sur son écran, Marianne ne réagit pas immédiatement. Elle l’avait tellement attendu qu’elle n’arrivait pas à réaliser que cela s’était réellement produit.

Soit, il s’excusait, bien sur il était pressé, pour couronner le tout il promettait d’autres nouvelles car il partait immédiatement à Doha…

La colère commençait à la prendre, c’est où cette foutue ville, qu’est-ce qu’il veut me faire croire, pourquoi pas Istanbul ou Tarascon.

Elle était allée prendre un vieil Atlas qu’elle n’avait pas voulu lâcher après ses études, car lorsqu’elle le feuilletait elle avait le sentiment de partir à l’aventure.

Son doigt courait sur la liste des noms propres, heureusement que c’était une ville commençant par D faute de quoi elle aurait dû remonter des pages entières.

 

Cette fois tu deviens Zinzin se prédit-elle, il suffit de rechercher ou débute la liste des noms propres commençant par D…Enfin Doha, Capitale du Quatar, restait à trouver le pays en question. Ah, oui quand même, ce n’est pas la porte à côté.

 

Si elle avait pu, elle serait partie immédiatement prendre l’avion pour aller le rejoindre, ce qui dans la réalité n’était pas possible. Cela lui donnait du temps pour réfléchir à tout ce qui s’était passé depuis leur dernière rencontre et à tout ce qui semblait s’annoncer pour les temps à venir.

Une nouvelle fois c’est l’attente qui prenait le dessus, elle se prépara une théière, des petits gâteaux, son plaid préféré, et elle décrocha son téléphone…