Nuit de pleine lune 17éme épisode :

 

Il s’était dit que le voyage de retour serait long et qu’ainsi il aurait tout le temps de mettre de l’ordre dans ses pensées. En pratique il n’avait fallu qu’une demi-heure au taxi pour effectuer le trajet. Après sa plongée au travers de la haie, il avait pensé être parti très loin, alors qu’en réalité, il n’était que passé derrière la haie !

 

Un certain Neil Armstrong a dit en posant le pied sur la lune « Un petit pas pour l’homme un grand pas pour l’humanité », lui aurait pu dire après son escapade « Un petit saut de rien du tout, mais quelle grande avancée dans mes pensées » durant toutes les années de sa vie, il n’avait eu qu’une idée pour ne pas dire une obsession, avancer. Il ne s’était jamais posé la question de ce qu’était en réalité la réussite de la vie, était-ce le bon job, l’argent, le rang social, avec en prime la reconnaissance de ses pairs, des domaines dans lesquels il commençait à exceller ?

Mais il ne s’était jamais posé la question de ce qui faisait la richesse du fait de vivre, la joie, le bien être, le fait de bien vivre ensemble, de l’avancée en âge, du fait d’aimer, de vivre harmonieusement avec une femme ou un homme, du fait d’avoir des enfants de les élever, de les voir grandir.

Avancer en visant toujours plus, plus haut, plus fort, et pourquoi aurait-il fait autrement, cela lui avait toujours réussi…Il y avait bien un prix à payer pour tout cet investissement social, la solitude, l’incapacité de retarder le temps qui passe, la course folle.

Les femmes qui passent dans la vie comme les arbres apparaissent la nuit dans les phares d’une voiture, à peine distinguées, passage en pleine lumière les pupilles dilatées par l’éclat de la lumière, pour aussitôt disparaitre…Même pas le temps de tourner la tête pour les regarder une dernière fois avant qu’elles ne soient happées par la nuit et se soient effacées !

 

Il sentait bien qu’avec toute cette séquence de réflexions, son pouls s’était accéléré, qu’il avait un peu chaud et que sa bouche était sèche et amère…

 

La fête chez Michelle avait été superbe, il ne se rappelait plus très bien comment s’était terminée la soirée, car en définitive, ils ne s’étaient décidés à aller se coucher qu’une fois la dernière bouteille d’alcool partie rouler dans l’herbe. Enfin les hommes, car pour les femmes il y avait belle lurette qu’elles les avaient abandonnés à leur sort et à leurs libations, et encore n’était-il pas certain que quelques uns d’entre eux ne soient pas restés dormir autour de la table de jardin.

Le froid du petit jour renvoyant vers leurs pénates les derniers dormeurs.

Georges parodiait l’évangile en disant « Les premiers à boire seront les derniers à se réveiller » Tout le monde avait bien ri, mais il y avait de la congestion pulmonaire dans l’air.

Le lendemain, les arrivées sur le chantier s’étaient faites dans un ordre décalé, mais personne n’avait manqué à sa parole, et ils avaient terminé le travail dans un temps record, plus quelques petites retouches chez l’un ou chez l’autre. Au vu de l’ampleur des tâches, ils auraient tout aussi bien pu monter une Sarl multi-métiers du bâtiment.

 

A cet instant le chauffeur de taxi fit une tentative d’ouverture pour lancer la conversation, et lui faire part de sa déconvenue après la nouvelle défaite en championnat de L1 du Paris Saint-Germain. Il eut la prudence d’opiner dans son sens en grommelant que lui aussi…l’autre satisfait de sa réponse se replongea dans sa contemplation du trafic.

Le voyant hésiter il lui indiqua qu’il devrait prendre la première à droite en arrivant dans le bourg faute de quoi il allait s’emberlificoter dans les méandres des sens interdits.

Cette aventure n’avait pas fait de lui un homme neuf, il se contenterait d’être un homme différent, difficile de dire pourquoi, mais cette … l’avait profondément marqué.

 

Il serait bien resté encore quelques jours avec cette bande de marginaux attachants, mais ainsi va le sort, que ce matin, Georges était venu le tirer du sommeil en lui secouant le bras.

 

-         Debout l’architecte, le devoir te réclame…

-         Hein, que se passe t-il, enquiquineur tu viens d’interrompre mon rêve !

-         Désolé l’ami mais c’est ton patron qui est déchainé il te voulait en ligne, fait fissa, je n’ai pas compris grand-chose, mais la situation m’a semblé urgente.

 

Il se garda bien de répéter à Nicolas ce que lui avait dit son patron : La situation est si urgente qu’il n’y a pas une seconde à perdre. Son assistante passerait le prendre chez lui avec les dossiers. Dick les rejoindrait à Roissy à 15 heures précises avec les billets, ils n’auraient qu’à monter dans l’avion. Il avait ajouté j’espère qu’il aura les idées claires, que vous ne me l’avez pas trop abruti de médicaments ! Restant obstinément sur la ligne de le croire médecin…Nous aurons besoin d’un petit moment pour que je le mette au courant des derniers développements…

 

-         Ne vous en faites pas il se porte comme un charme, et il aura toute sa tête.

 

Il savait bien que cette histoire ne pouvait perdurer, mais il avait fait semblant de le croire, ce garçon était super, et ils s’entendaient si bien.

Nicolas fit mine de se retourner pour se rendormir, mais ho là pas de ça mon coco.

Georges le menaça d’aller chercher un seau d’eau pour le réveiller tout à fait s’il n’y mettait pas une once de bonne volonté.

 

En définitive c’est Simone qui, arrivant avec un bol de café, eut le dernier mot.

 

-         Buvez ça en vitesse et prenez une douche il faut vous presser, il semble que vous êtes attendu d’urgence !

 

Qu’avaient-ils ce matin à vouloir l’arracher aussi tôt à son lit, la journée d’hier comme les précédentes avait été rude et un peu de sommeil supplémentaire lui semblait la meilleure technique de remise en forme.

 

-         Votre patron vous a appelé pour vous annoncer que votre cabinet était qualifié pour la finale d’un concours de je ne sais plus trop quoi ? Ajouta Simone !

 

Sa tête se mit à ronronner comme un ordinateur, ils ont déposé il y a six mois un projet pour concourir à la conception du futur musée d’Art Pré Arabique de Doha au Quatar, le genre de dossier dont on rêve toute sa vie dans les cabinets d’architecte.

 

Tout d’abord garder la tête froide, ne pas s’emballer, être qualifié pour la phase finale ne veut pas dire gagner l’appel d’offre, c’est d’un concours dont il s’agit, il y a donc bien des aléas, et ce ne sera pas forcément le meilleur dossier qui emportera l’offre.

Douché, rasé, habillé en moins de dix minutes, dans son état, il faut le faire.

Ils sont bien tous un peu nerveux dans la cuisine, on craignait cet instant du départ, mais là c’est tout de même un peu brutal.

 

Au moment de monter dans le taxi Simone l’a embrassé en lui faisant promettre de revenir les voir…Georges lui a tendu son téléphone pour qu’il puisse rappeler Dick et reprendre place dans son monde professionnel et personnel.

En retour, Nicolas lui a donné le téléphone qu’il avait acheté en ville et avec lequel il avait appelé Florent. Acte manqué ou coup de pouce au destin, si Florent cherchait à le joindre, ce qu’il ne manquerait pas de faire, il tomberait sur son père, il lui avait préparé une surprise.

 

Le taxi s’est arrêté devant la maison, la télécommande à bien rempli son office, et les portes se sont ouvertes. L’homme attend qu’il lui règle sa course.

-         Cela vous fera cinquante deux euros, j’accepte les cartes de crédit…

-         Bonne idée, je n’ai pas un sou d’argent liquide…Autant le prévenir qu’il n’attende pas de pourboire.

 

Pas de valise à décharger, c’est les mains dans les poches qu’il rentre chez lui. C’est tout de même un peu un choc de civilisation que de se retrouver ici.

 

Il frisonne un peu devant toute cette blancheur, la femme de ménage est passée, elle lui a laissé sa note sur le coin du bureau.

-         je ne vous compte que deux heures il n’y avait rien à faire de spécial, il faudra penser à faire quelques courses il n’y a plus rien dans le frigo ni dans le congélateur. Le courrier est sur la table de la cuisine.

 

Ce n’est pas le moment de s’occuper de tout cela, son assistante risque de se pointer d’un moment à l’autre. Il cherche dans son armoire sécurisée les dossiers concernant le projet Quatar. Ils l’ont baptisé Epervier du désert en raison de la passion de l’émir pour la fauconnerie…Il sait qu’il n’a pas besoin de s’y replonger pour retrouver tout ce qu’ils ont élaboré.

Imaginez une tapisserie, on commence par la trame on sait ce que l’on va faire, mais il faut une base solide, ces fils de chaîne sur lesquels la tapisserie viendra s’accrocher fil à fil.

Il avait fait à l’Emir et à son comité de sélection la surprise des « Milles et une nuit », leur racontant une série d’anecdotes sur leur pays, sur sa flore sa faune, la beauté du désert et ses les dunes qui chantent, les couchers de soleil qui vous donnent l’impression que les sables sont devenus de l’or en fusion.

Ils avaient aimé ses paroles sur les sonorités de leur langue et apprécié qu’il ait entreprit de l’apprendre. Les couvertures des dossiers qu’il leur avait remis étaient des reproductions de calligraphies anciennes avec lesquels le dossier était présenté. La jeune calligraphe qui les avait réalisées s’était inspirée de documents des collections du château de Chantilly pratiquement inconnues de tous.

Et pour couronner le tout, il avait pris un risque majeur que toute son équipe avait désapprouvée, il avait construit son projet au travers du regard et des propos d’une femme ce qui dans un pays musulman était tout de même une sacrée prise de risque…Mais les Mille et une Nuits ne sont-elle pas une succession d’histoires contées par une femme, et ils étaient tous restés sans voix.

La preuve était donnée que tout cela avait parfaitement fonctionné, ne restait plus maintenant qu’à transformer l’essai.

 

Sonnerie de téléphone !

Cela aussi il l’avait un peu oublié, ce que cela pouvait être stressant et désagréable.

 

-         Oui…Bonjour Colette, pas de problème je suis chez moi…Vous allez passer me prendre, c’est gentil ça m’évite d’appeler un taxi, j’aurai terminé ma valise dans cinq minutes.

-         Le patron m’a dit de vous expliquer que nous serions là bas une dizaine de jours. Le temps nécessaire pour les présentations complémentaires et les délibérations. Il a dit aussi qu’il fallait prévoir des tenues simples mais chics, il a beaucoup insisté sur ce point. A tout à l’heure !

 

Les réflexes professionnels reviennent vite, sortir la valise faire ses choix dans le dressing, mettre en charge Ordinateur portable et black Berry, vérifier que le passeport est bien avec ses papiers. Cela parait simple mais en fait c’est tout un art de le faire efficacement et avec une grande économie de mouvements et de déplacements. Il ne part pas en terre inconnue, Doha est l’une des villes les plus modernes du monde et ses centres commerciaux sont d’un approvisionnement et d’un décorum extraordinaires, mais il n’est pas là bas pour faire du tourisme et il aime bien ses habitudes.

 

Quand la sonnette retentit il est sur son trente et un et n’a plus qu’à sauter dans le taxi.

A chaque fois qu’il retrouve son assistante, Colette, il ne peut s’empêcher de se remémorer les films de James Bond et le regard que portait sur lui Mony Penny l’assistante du grand patron. Cela n’avait pas manqué elle l’avait regardé de la tête aux pieds pour vérifier qu’il était bien aux normes édictées par le Boss, satisfaite elle avait évalué le volume des bagages pour mesurer sa capacité de survie en terre étrangère…

Elle ne changera jamais se dit-il !

 

Dick avait retenu une petite salle de travail au Sheraton hôtel en plein centre de Roissy CDG, et fait préparer un superbe brunch. Le plus agaçant c’est que le brunch en question ils n’en avaleraient que quelques miettes n’ayant pas le temps de tout faire et les dossiers et manger, de plus il n’était pas question de faire des taches sur un document.

Ils étaient comme des gamins qui regardent un arbre de Noël, jamais ils n’étaient encore parvenus aussi loin dans une compétition de cette importance. C’était bien là le hic car désormais ils allaient avancer à l’aveugle face à des concurrents redoutables, mais quel que soit le résultat de cet affrontement, ils auraient beaucoup appris et seraient plus aptes à l’avenir pour aborder ce type de confrontation.

 

Ce matin encore il buvait le café de Simone assis au bout de la table, et tout seul dans son coin il se mit à sourire, Dick et Colette le regardèrent l’air inquiet, c’est qu’ils craignaient qu’il n’ait pas complètement récupéré de son accident ou qu’une crise de vague à l’âme intempestive l’empêche d’être entièrement à ce qu’il avait à faire.

 

Dick leur renouvela tous ses encouragements et ses recommandations avant qu’ils ne passent en salle d’embarquement, et leur certifia qu’il serait là au plus tard au début de la semaine suivante juste avant les derniers débats…

Ils avaient plus d’une heure d’attente à tuer et chacun entreprit de gérer ce temps de la façon la plus utile possible. Colette reprit sa check liste pour la énième fois, malgré les propos rassurants de Nicolas, elle avait toujours peur d’avoir oublié quelque chose, mettant ainsi leur mission en péril.

Nicolas reprit l’une de ses habitudes favorites, celle de pianoter sur son portable, il en était à la limite du toc et la brève coupure chez Georges et Simone n’avait pas été suffisamment longue pour lever son addiction.

Il y avait un sacré ménage à faire tant les Mels s’y étaient accumulés, mais qu’importe il avait le temps et c’est sans perdre une seconde qu’il entreprit le nettoyage. Ce n’était pas une tâche aussi simple qu’il pourrait le paraître, il ne fallait pas rater les messages pouvant avoir de l’importance, que ce soit les messages personnels ou ceux concernant les dossiers qu’il avait en charge au sein du cabinet.

·        Un message de sa mère pour se plaindre de son silence, pas de commentaire cela pouvait attendre !

·        Un permis de construire retoqué par le tribunal administratif, plus embêtant, une montagne de paperasserie en perspective et au bout du compte aucune assurance d’emporter l’affaire.

·        Un entrepreneur qui menaçait, faute de versement d’un acompte d’arrêter le chantier.

 

Et tout cela à de multiples exemplaires la routine habituelle, il transféra sur l’ordinateur de Colette tout ce qui la concernait, ne gardant par devers lui que les messages les plus personnels.

Quand il avait vu s’afficher sur l’écran le message de Marianne son pouls s’était accéléré et il avait senti son sang battre sur sa tempe, maintenant que tout le superflu avait été éliminé, les messages utiles transférés sur le site du bureau, il pouvait consacrer un peu de temps à sa vie personnelle.

Les premiers messages avaient un ton enjoué, elle s’apitoyait sur son sort, lui faisait des recommandations pour sa santé, lui parlait à mots couverts de leur avenir si possible commun.

Puis elle lui racontait le développement de ses problèmes professionnels et l’aboutissement de ses démarches, on y sentait bien toute sa détermination et la qualité de ses argumentaires.

 

Les messages suivants devenaient moins toniques on y sentait la tristesse qui pointait, la désillusion, le ton était celui de la peine et du reproche…et puis plus rien !

 

Il s’apprêtait à lui répondre, bien conscient d’être la cause de cet état de morosité qui la plongeait dans cette situation, quand les hauts parleurs prièrent les passagers de se préparer pour l’embarquement.

 

Il prit tout de même le temps de taper un message pour lui demander de pardonner ce long silence dû à un contexte qui lui avait échappé, et qu’il ne manquerait pas de l’appeler dès son arrivée à Doha, plus beaucoup de petit mot qui ne regardent qu’eux

 

Le vol jusqu'à Doha se déroula sans encombres, ils voyageaient en classe économique, peut-être qu’à l’avenir, en cas de succès, le cabinet leur offrirait des places dans la classe supérieure, pour l’instant on n’en était pas encore là.

 

Il aimait l’arrivée sur ces villes du monde qui ont eu un développement très rapide aidé par une manne financière importante on y a fait appel aux meilleurs cabinets d’architectes du monde pour y faire éclore des bâtiments aux formes extraordinaires auxquels on n’aurait même pas songé il y a seulement quelques dizaines d’années. C’est que désormais il n’y a pas qu’à Manhattan que l’on peut découvrir des ensembles de Gratte ciels impressionnants, Singapour, Shanghai, Kuala Lumpur, et l’ensemble des Emirats sont entrés dans la course au gigantisme et aux prouesses technologiques parmi bien d’autres. Sa vocation il l’avait découverte dans un livre racontant l’aventure de l’architecte français Le Corbusier et sa cité idéale, une année en vacances, il avait tanné ses parents pour qu’ils fassent un détour de plus de cent cinquante kilomètres pour aller visiter la chapelle de Ronchamp œuvre de son héros, ils avaient cédé mais obstinément refusé de le laisser partir au Pendjab où il voulait aller visiter la capitale, Chandigarh. Depuis ces premiers regards sa passion ne s’était pas éteinte. Il avait rêvé de faire partie de l’équipe qui a construit le grand stade de Pékin, cette idée du Nid d’oiseaux, l’avait incité à sortir des sentiers battus pour présenter son projet en ailes de faucon, pour définir la forme des toitures du futur musée de Doha.

 

Colette le tira de ses réflexions pour qu’il puisse jeter un œil sur la corniche de Doha qui défilait sous les ailes de leur airbus A 300, outre le Palais de l’émir elle affichait tous les principaux ministères du pays et quelques hôtels impressionnants.

Le plus spectaculaire étant les immenses tours dans lesquels étaient installées toutes les grandes sociétés du pays comme la Tornado Tower en ce début de soirée, elle étincelait en bleu vif c’était la phase d’illumination qu’il préférait, et il aurait passé des heures à la contempler. Côté verdure et végétation il ne fallait pas s’éloigner du centre ville, car dés les faubourgs les dunes et le désert reprenaient leurs droits.