Il faisait un temps très doux, ce serait idéal pour poursuivre le travail, Georges et Nicolas échangeaient tranquillement sur la question, et cherchaient comment s’organiser au mieux pour terminer le chantier.

Simone leur avait confié les paniers qui ma fois s’avérèrent bien lourds, elle-même portait un bouquet pour Michelle, et ne cherchait en aucune manière à interférer dans leurs discussions, elle réfléchissait au contact qu’elle avait eu ce matin avec Félicité. En définitive son idée de la rencontrer avait été l’élément déterminant qui avait fait céder les résistances, ne restait qu’à attendre qu’elle rappelle pour fixer les modalités, mais pour le moins les choses étaient bien engagées !

 

Apparemment ils étaient les derniers, la table déjà installée et l’ambiance « bon enfant », Nicolas se dit que ce n’était pas le même climat que celui de la dernière fois, il lui fallut un moment pour trouver ce qui faisait la différence ?

Tout à coup il comprit, ils n’avaient pas leurs tenues Véolia, ni casquettes, ni cottes, ni bottes…Il faillit leur en faire la remarque sur le mode, les gars ce n’est pas un jour chômé, mais il s’en abstint n’ayant pas encore compris ce qui était en train de se passer.

 

Georges aussi avait marqué un temps d’arrêt en voyant sa bande de copains, cette fois lui se dit qu’il n’y avait pas de hasard, Simone ce matin lui avait demandé de se changer, car elle avait une reprise à faire sur sa cotte, et Nicolas n’avait pas retrouvé sa tenue de travail envoyée à la lessive.

 

En deux mot l’ambiance était festive, à y regarder de plus prés, la table avait été dressée avec soin, Michelle aurait bien pu attendre la fin des opérations pour fêter la réussite de l’équipe se dit Georges.

 

Les femmes disparurent à l’intérieur de la maison, et le niveau sonore monta d’un cran, ces messieurs, un peu sourds en raison de leurs âges ne pouvant s’exprimer sans élever la voix, Simone sortit portant un plateau de verres, elle précédait Michelle qui était en charge des bouteilles de Clairette.

 

Cette apparition fut accueillie par des applaudissements et tout le monde fit cercle, ils se mirent à scander - Georges un discours, un discours !

 

-         Et pourquoi devrais-je faire un discours dites-moi ?

-         Parce que c’est ton anniversaire tout simplement !

 

Il aurait voulu répondre à Léon qui venait de l’apostropher mais en fut incapable, les mots s’entassaient dans sa bouche et s’il avait voulu parler, son sabir aurait été totalement incompréhensible pour tous.

 

-         Faites passer les verres, et c’est aux hommes d’ouvrir les bouteilles…

Ceux qui avaient des compagnes les avaient amenées et avec l’équipe de renfort qui n’était pas là lors de la première séance de travail, ils ne devaient pas être loin d’une vingtaine autour de la table.

 

Léon et Marcel avaient disparu, et personne ne sembla s’étonner de leur absence qui ne dura pas bien longtemps. De derrière la maison se firent entendre les premières mesures de Joyeux anniversaire jouées à l’accordéon et à la clarinette.

Le chant fut repris en chœur et fut même bissé plusieurs fois.

 

On sentait que Léon devait être un sacré animateur de bals et soirées dansantes, tant il prenait du plaisir à valser avec son instrument.

Pour Marcel le plaisir ne semblait pas être du même ordre, il s’exprimait plus en retenue, en intériorisation, il jouait les yeux fermés envahi par sa musique.

 

Nicolas s’étonna de voir Marcel enchainer les morceaux, il l’avait vu sur le chantier redemander dix fois ce qu’il avait à faire, car en route il avait mangé la commission, Michelle ayant perçu son étonnement lui dit à voix basse qu’en effet il n’arrivait plus à se rappeler ce qu’il avait fait ou devait faire, mais que la musique qu’il pratiquait avant le choc de son accident lui revenait sans la moindre difficulté, et que c’était ce qui l’aidait à vivre.

- Léon qui est un bon gars l’a pris sous son aile ajouta-t-elle, il l’emmène avec lui dans les bals et les mariages et à eux deux ils forment une équipe d’enfer, ils sont très réputés, les débuts n’ont pas toujours été faciles, car ils n’avaient pas le même répertoire : Léon jouait du musette et Marcel était fan du jazz Nouvelle Orléans, vous voyez le genre, et elle se mit à rire.

 

- Désormais ils font des duos improbables, vous pouvez valser sur Les Oignons et danser le Rock and roll sur la Valse brune. Ça plait bien et ils ont du succès.

 

Pour l’instant ils leur offraient un apéritif musical Jazzy, en un mèdelé endiablé que seul la soif viendrait interrompre, en attendant, leur public du moment ne leur laissait pas une seconde de pause, ils terminaient à peine Summer time que déjà on leur redemandait Passeport to Paradise et bien entendu Petite fleur que tout le monde reprit en cœur.

 

Tout ceci vous vous en doutez bien avec moult tournées de clairette, de petits gâteaux, de cakes et de charcuterie, en particulier une coppa apportée par Marcel encore toute enrubannée des parfums de maquis de son ile natale, c’est aussi comme cela que l’on soigne ses souvenirs.

 

C’est de cette façon que l’on emmagasine des parcelles de bonheur, ici on n’était pas aux Caraïbes ou sur la Côte, mais qu’importe on était tout de même bien loti, à chaque fois que l’un d’entre eux portait un toast en répétant cette phrase rituelle il était vivement applaudi et la bouteille refaisait un tour.

 

C’est Michelle qui vint les ramener dans la réalité.

-         Vous devez prendre une décision, soit j’éteins sous le poulet, et quand vous serez prêt il vous faudra le manger froid, soit je le laisse sur le feu et il va doucement se carboniser, à vous de choisir ?

 

Sa remarque fut accueillie par un grand éclat de rire, et chacun s’empressa de prendre place autour de la table, Simone, remplaçant la maitresse de maison repartie en cuisine pour faire asseoir tout son monde.

 

-         Allez-y doucement, la table du bout n’est qu’un plateau posé sur des tréteaux et si vous vous agitez, vous allez tout flanquer par terre !

 

La remarque arriva trop tard, voulant faire une farce, Léon qui était en bout de table la tira vers lui pour empêcher Claude de s’asseoir, et une nappe, à cheval sur les deux tables et sur laquelle était posés deux grands saladiers entraina toute la vaisselle dans un grande fracas, heureusement sans conséquence.

Le pire c’est qu’au lieu de s’excuser, ces deux nigauds riaient tellement qu’ils étaient totalement en incapacité de réparer les dégâts.

La suite des agapes se déroula bien tranquillement, tout était délicieux et le plat de famille de Michelle fut très vivement apprécié, ce qui ne gâta rien c’est que le cidre qui l’accompagnait permit aux convives de retrouver un taux d’alcoolémie plus conforme aux normes en vigueur.

-         Heureusement que nous sommes tous venu à pieds, il n’y a pas grand chose à craindre pour les alcootests, c’est Christian qui ajouta ce commentaire, lui, c’était un connaisseur, il était connu de tous les formateurs de stages de récupération de points.

 

Le désert arriva dans une douce euphorie, une bonne fatigue commençait à les gagner et là tout à coup la musique leur redonna du tonus ;

 

-         Allez messieurs debout, c’est tout de même pas nous qui allons devoir vous inviter à danser…

 

Hé bien si, ces messieurs se contentèrent de continuer à fumer et si ces dames n’étaient pas venues les chercher certains se seraient endormis sur place. Ce n’était pas non plus des danses Rock and roll, jusque de petites musiques dont il fallait savoir capter le rythme et se laisser porter, une Valse suivie d’un Tango ou d’un Paso, avec entre les deux un petit Slow. Ceux qui ne dansaient pas avaient débarrassé les tables pour que le dessert puisse se prendre dans de bonnes conditions.

Autant il avait été difficile de les faire se lever autant il fut difficile de les faire se rasseoir, c’est que de la musique comme celle là il n’y en a pas tous les jours, dirent-ils pour leur défense.

Il y eut la traditionnelle arrivée des cadeaux, Georges était rouge de plaisir, un pull de Simone, du vin, du plan de salade, un rosier, une binette, un véritable inventaire à la Prévert, chacun commentant son cadeau en lui faisant ses recommandations.

Nicolas se trouvait tout bête, car n’étant pas dans la confidence il était venu les mains vides, aussi vint-il s’excuser au prés de George.

-  Ce n’est pas vrai, dit celui-ci qui demanda à Simone de lui passer le paquet qu’il avait glissé dans son sac.

Il en sorti le cahier de croquis que Nicolas lui avait donné le matin même, il le feuilleta l’œil humide et le fit circuler il passa de mains en mains autour de la table, ceux qui le recevaient restaient bouche bée, les autres faisaient tous leurs commentaires.

 

-         On peut dire que vous avez un sacré coup de patte, c’est la classe.

-         C’est chouette, mais pas très réalisable.

-         Arrête, tu n’y connais rien ! après le dessin pour passer à la réalisation c’est une question de savoir faire, il suffit de s’y mettre !

 

Un véritable colloque d’archis pensa Nicolas, il faut se rappeler la bataille à propos de la Pyramide du Louvre, et des discussions sans fin sur la forme du Stade de France. Quand aux Tours de la défense mieux valait ne pas en aborder la question, c’est formidable de voir les gens s’emparer de ce qu’on leur propose, encore faut-il leur en donner les moyens.

 

-         Moi la terrasse je ne l’aurais pas orientée comme cela, dés midi elle n’aura plus de soleil.

-         Bien vu en griffonnant le dessin, je me suis occupé de l’esthétique sans tenir compte de l’orientation de la maison, vous êtes observateur.

-         Moi, ce sont les aménagements intérieurs qui m’intéressent, à l’extérieur je veux beaucoup de rosiers et des massifs de fleurs, les salades c’est bien gentil, mais l’environnement c’est tout de même important !

 

Les autres femmes approuvèrent.

 

Et l’on disserta en se gavant de gâteau sur les différentes fonctions de l’architecture, d’une façon générale les hommes défendaient les aspects esthétiques et la réalisation, les femmes la fonctionnalité et le côté pratique des aménagements.

Nicolas s’efforça de leur démontrer que l’un et l’autre n’étaient pas incompatibles. Il se fit contrer sévère par l’ensemble du groupe qui avait retrouvé sa cohésion.

 

-         Quand on n’a pas de tunes, on est bien obligé de choisir, car on n’a pas les moyens de faire les deux, tu peux comprendre ça, toi ?

-         Oui, et il s’apprêtait à leur expliquer que dans tous projets il était tenu par un budget d’objectif…Et que…

 

La clarinette de Marcel l’interrompit, il avait du vague à l’âme le bougre et ses notes vous auraient arraché les larmes des yeux s’ils ne s’étaient sentis si bien ensemble.       Un petit vent de nostalgie passa sur leurs têtes, ils étaient bien conscients de vivre là des instants inoubliables.

 

Simone s’étant levée pour commencer à ramasser la vaisselle tout le monde s’y mit sauf les musiciens et ce fut la plus jolie des pagailles, au bout du compte et de très peu de temps tout ce qui avait permis la réussite de cette journée fut nettoyé et rangé.

On ne laissa sur la table que les verres et les bouteilles que les plus déterminés avaient bien l’intention de finir…

 

*****

 

 

 

Marianne ne perdait pas de temps, entre ses coups de téléphone, ses rencontres avec son patron, et les repas avec sa copine, elle se soulait d’activités.

Tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes si Nicolas s’était décidé à se manifester, mais c’était toujours le silence sur la ligne.

 

Son amie Clarisse qui était un peu plus expérimentée en la matière faisait la part des choses tout en s’efforçant de la rassurer.

 

-         Tu n’as pas à te mettre dans un état pareil, il finira bien par se manifester ton bonhomme, sinon c’est qu’il ne présente aucun intérêt et waouh tu passes à autre chose, des mecs sympa il y en a des tonnes…

-         Tu es bien gentille, mais moi je ne compte pas en tonnes mais en kilos, et je n’arrive pas à retrouver ma sérénité. Dieu sait pourtant si j’en ai besoin, j’ai tellement d’idées en tête.

 

Elle hésitait un peu à parler à Clarisse de l’avancée de ses projets, vu les réactions que ça avait entrainé la dernière fois. Maintenant que le rythme s’accélérait cela risquait encore d’envenimer la situation.

 

-         Je te dois des excuses pour la dernière fois, j’ai été nulle, si tu ne veux plus me parler de tes projets je le comprendrai très bien, mais si tu veux m’en parler ça me fera trop plaisir.

 

Ouf, elle avait bien fait d’attendre, les paroles de Clarisse venaient de la délivrer d’un vrai poids, en plus de la joie de retrouver leur vieille amitié intacte.

 

-         OK pas de problème, mais c’est vrai que si je ne peux plus te raconter tous mes délires, je me demande bien à qui je pourrais en parler il n’y a qu’en toi que j’ai une totale confiance.

 

Si elles n’avaient été chacune d’un côté de la table elles se seraient tombées dans les bras l’une de l’autre, c’est tout de même super que l’amitié permette de dépasser les difficultés du quotidien.

-         Pour Nicolas tu penses qu’il vaut mieux laisser courir ? Qu’il finira bien par se manifester ? Je vais suivre ton conseil même si cela me crève le cœur, tu m’avais dit la même chose lors de notre dernière discussion depuis il ne s’est rien passé et je panique grave. Tu as peut-être raison, et puis on verra bien ce qui se produira, c’est que j’y tiens moi, à ce mec. Rigole pas, toi tu changes de partenaire tous les quatre matins, moi je ne pourrais pas, je suis comme ça, c’est tout.

-         C’est qu’elle nous prendrait la mouche cette petite, elle vous a son petit caractère mais ce n’est pas une raison pour porter des jugements blessants sur la vie des copines, je fais ce qui me plaît point barre.

Le verre d’eau qu’elle reçut en pleine figure acheva de faire dégénérer la situation et le fou rire irrépressible qui les prit les mit en situation d’avoir à tout moment des problèmes avec leur voisinage.

 

Quand elles eurent remis un peu d’ordre dans leur environnement et leurs tenues elles revinrent à des questions plus sérieuses.

 

-         Alors tes contacts, et ton stage, là je ne te reconnais plus tu es devenue un véritable TGV

 

Marianne entreprit de lui conter par le menu toutes ses démarches et tractations, celle dont elle était la plus fière concernait son diable de patron comme elle le disait en riant

     - Le seul réel problème que j’ai rencontré a été le feu vert pour le stage au Canada, ce n’était pas une question d’argent qui le faisait tiquer, mais plutôt une question de principe, un tel déplacement convenait pour un médecin ou un patron de laboratoire mais pour une simple rédactrice…Tu vois le genre.

 

-         Vous ne voulez pas un stage de formation à l’utilisation au traitement de textes ? nia. Nia. Nia

-         Oui, oui, il a osé me dire ca comme j’te le dis !  J’ai pris sa réponse avec le sourire me disant qu’avec de l’humour on parvenait souvent à ses fins, mais au fond de moi j’avais la rage.

Pour me venger, je l’ai cloué sur son fauteuil : Vous savez qu’au Lancet ils sont très satisfaits de mes textes, ils m’ont prise pour une Américaine, si, si, ne faites pas cette tête-là.

Tu sais ce qu’il me répond ?

-         Comment savez-vous ce que les gens de l’équipe éditoriale du Lancet pensent de votre travail ?

Le coup de grâce que je lui ai mis : C’est tout bête, je leur ai téléphoné, et c’est eux qui m’ont conseillé ce stage pour renforcer mes connaissances techniques et approfondir mon vocabulaire ! Je n’ai pas pu m’empêcher de lui faire une blague car il avait tout de même été très lourd

-  Au fait ils trouvent qu’il faudrait des contenus un peu plus fouillés et un peu plus consistants dans vos articles !

 

J’allais lui dire que je le faisais marcher quant il a ajouté d’un air penaud :

 

-         Oui j’en suis bien conscient, il va falloir que je travaille cette question et que toute l’équipe s’y mette…En définitive, ce ne sera peut être pas mal que vous fassiez ce stage mais il faudra qu’il y ait un retour pour tout le staff, c’est bien compris.

 

Par deux fois en quelques jours elle avait obtenu ce qu’elle désirait, elle se demandait bien quel serait son troisième vœu, car comme avec le génie de la lampe, ne dit-on pas « Jamais deux sans trois ».

Clarisse lui dit de ne pas s’inquiéter elle trouverait bien une idée, sinon elle le ferait pour elle, et les rires reprirent de plus belle.