Tous dans cette nuit semblaient tendus, dans un seul but, l’attente, certains des protagonistes vivaient cette situation de façon apaisée, accompagnée d’un sommeil réparateur, peuplé de rêves attendrissants, ou plus agitée, avec sommeil mouvementé et cauchemars épouvantables pour d’autres !

Il y avait ceux ou celles qui allongés dans le noir ne trouvaient pas le sommeil gardant les yeux grands ouverts, scrutant un plafond qu’ils ne distinguaient pas.

 

Ils attendaient, comme le veilleur attend l’aube en guettant le soleil, comme l’amoureuse attend son aimé qui ne saurait tarder, ou comme l’angoissé qui depuis des jours interminables attend la nouvelle qui le délivrera.

 

Il y a l’attente tranquille du jardinier, sûr de son œuvre, qui sait son travail bien fait, et sur la trace du sillon recherche la marque de la première levée, cette petite plantule qu’il lui faudra protéger du bec gourmand des merles.

 

Cela peut-être l’espérance heureuse du garçon, qui se dit que cette fois il osera enfin s’approcher, jusqu’à toucher les lèvres aimées dans un premier et chaste baiser, il en a mal au ventre de cette peur rentrée, violente et douce à la fois.

 

L’attente du prisonnier, de l’otage, du condamné, qui chaque matin espèrent que ce sera le dernier jour de cette mascarade de vie dénaturée, qui savent qu’à chaque instant leurs capacités de résistance s’émoussent et que peut-être ils ne recouvreront jamais la liberté, ou pire y perdront la vie.

 

Celle qui derrière sa fenêtre observe la rue espérant toujours y voir revenir celui qui était son soleil et qui a disparu dans la nuit sans rien lui expliquer.

 

Ces temps d’attente, où l’on donnerait tout pour arrêter le temps, voire le rembobiner, pour effacer la sentence entendue qui vient de condamner quelqu’un qui nous est cher, où l’on se dit que tant qu’il y a de l’espoir il y a espérance de vie.

 

La personne âgée, le malade, qui, derrière leurs rideaux attendent la première fleur du printemps, surtout la première rose souvenir d’un amour, qui espèrent aussi le retour de l’hirondelle…

 

Dans l’attente, il y a espoir, tout est encore possible, le pire comme le meilleur, il y reste une marge d’espérance, et qu’il faudra tout faire pour s’en saisir.

 

La vie n’est pas aussi tranchée, s’il y a attente… il y a espoir c’est une réalité, mais aussi un risque, si l’on en reste à ce stade de l’attente, il y a risque de passer à coté de la vie, et plus particulièrement de la sienne, et pourtant c’est si court une vie !

 

 

 

Dans ce cas là, chacun se donne une bonne raison :

Attendre en pensant que c’est à l’autre de …

Attendre le bon moment, la bonne occasion…

Attendre d’avoir la bonne inspiration…

Attendre d’avoir le courage d’oser, de se permettre…

Attendre d’être à la hauteur de la situation, d’avoir les moyens, de rencontrer la bonne personne, d’être capable…

Attendre d’avoir oublié sa honte, celle de ses actes ou de ses paroles…

Attendre que l’on vous donne le feu vert…

 

Et pendant ce temps là, la vie court à bride abattue, et les occasions de s’y épanouir s’y font de plus en plus rares.

 

*****

 

Qu’attendait Nicolas, lui qui avait une situation confortable, une vie agréable, une amie qui ne demandait qu’à devenir sa compagne, de l’intelligence à revendre et des idées plein la tête ?

 

Marianne, elle qui n’avait attendu que Nicolas, enfin lui ou un autre, elle avait rêvé du chevalier sur son beau destrier se laissant porter par la vie et par l’inspiration de l’instant, où en était-elle de ses attentes et de ses espérances ?

 

Georges et Simone semblaient un couple monolithique, mais nous pourrions parier que leurs attentes en partie communes, étaient sur bien d’autres points à mille lieux les unes des autres ! En ce moment crucial, lui dormait et nous ne pouvons pas savoir quels étaient ses rêves, mais elle de son côté veillait, écoutant les sonneries de la pendule, une petite flamme sautillant dans son cœur lui disait que demain serait peut-être un jour différent pour Nicolas, pour elle, elle ne demandait rien, se contentant d’attendre, quoi ? Elle n’aurait jamais osé le dire, de peur d’être trop déçue !

 

A Annecy Félicité avait avalé son cocktail habituel de médicaments et somnifères en tous genres, cette pharmacopée lui permettait de passer des nuits sans rêve, mais aussi sans cauchemar, elle avait très peur d’affronter la réalité et la violence de la vie, mais craignant encore bien plus ce qui remontait de son sommeil, ne se rendant même pas compte que par son attitude elle se maintenait depuis des années dans une situation douloureuse, sans issue, et pour ne pas dire infantile.

Avant de plonger dans le gouffre du sommeil, elle avait eu une pensée pour cet interlocuteur inconnu, qui demain, viendrait la relancer, avec, elle ne savait trop quel message, rien que d’y penser elle était prise de frissons.

Le fait que son compagnon semble s’intéresser à la question l’avait énervée, et désormais elle était plutôt dans un état d’esprit qui l’inciterait à rejeter cet appel…

 

Michelle, seule dans sa maison, attendait que Simone vienne lui demander des comptes, voire se montre réellement agressive, elle avait même imaginé qu’elle devrait la battre en raison de ce qu’elle avait provoqué, enfin ce dont elle se sentait responsable. Ce n’est pas qu’elle soit lâche, mais elle avait été dépassée par les évènements, elle s’était tue, après, il avait été trop tard.

La conséquence de cette incapacité à savoir faire face, était que depuis cet instant, elle attendait que quelqu’un intervienne dans sa destinée et lui permette de recommencer à vivre…

 

Sur son ile Florent avait bien du mal à retrouver le calme et la sérénité, il en voulait à Moerani de l’avoir poussé aussi loin dans ses retranchements. Maintenant, elle dormait paisiblement, le laissant en proie à tous ses démons. Il était bien conscient qu’elle était dans la vérité, que ses raisonnements tenaient la route, mais il avait l’impression d’être au pied d’une montagne, se disant que jamais il ne parviendrait à l’escalader et ce risque d’échouer le paralysait. Pourquoi restait-il ainsi en stand-by, qu’espérait-il de cette attente et de ce silence, il ne pourrait pas passer le reste de ses jours à faire semblant, il lui fallait se reprendre et vivre…

 

Moerani, tournée vers le mur, faisait tout pour donner l’impression qu’elle dormait. Elle avait bien perçu aux réactions de Fororino qu’elle était peut-être allée un peu loin dans ses propos, s’il avait fait mine de partir, elle se serait excusée pour le retenir. Mais il n’avait pas fui comme à son habitude, ce qui était déjà un progrès important, alors… Elle n’en pouvait plus d’attendre qu’il se décide à bouger, à prendre en main sa destinée, elle voulait bien l’aider, tenir sa main, mais pour être sa femme.

Dans le même temps, tandis qu’elle le bousculait, lui empêchant toute échappatoire, elle avait soudain pris conscience de ce que ce n’était pas suffisant, qu’il fallait qu’elle aussi se décide à entreprendre, à bouger, qu’elle mette en œuvre les projets qui s’accumulaient dans ses pensées. Ce n’était pas le tout de se réfugier derrière les problématiques de Fororino pour se dispenser par là même d’agir pour son propre compte, désormais elle se posait à elle-même la question, allait-elle enfin se décider à oser ?

 

Rudy le compagnon de Félicité, qui en réalité s’appelait Frank, était resté dans le séjour devant la télévision après qu’elle fut partie se coucher gavée de somnifères. Il se demandait ce qu’il faisait là, et ce qu’il attendait de l’avenir, si avenir il devait y avoir.

Les retrouvailles à la manifestation de la centrale de Golfech avaient été un grand moment, ils s’étaient laissé submerger par une forme de bonheur, tout à la joie de renouer avec ce temps de la jeunesse pendant laquelle ils avaient cru avoir tout osé. Mais avec le recul et un minimum de réflexion, il devait bien reconnaître que le bilan ne pesait pas bien lourd.

Il y avait bien une question qui le taraudait, mais il n’avait pas encore trouvé l’occasion d’en faire part à sa compagne, il entendait bien la lui poser avant de reprendre la route, s’il osait…

 

Ne dit-on pas que la nuit porte conseil, que le sommeil permet au cerveau de mettre de l’ordre dans les pensées, que les rêves nous permettent de vivre ou de revivre sous forme de métaphores les situations qui nous ont marquées et troublées…

 

Dans cette nuit d’attente, ils sont tous agités par des courants vivifiants emplis de ce qu’ils imaginent, en fait, ils n’en connaissent que des fragments n’ont qu’une connaissance parcellaire de leur destinée, ils n’ont pas encore pris en compte la taille des enjeux qui les concernent.

 

*****

 

Florent n’eut pas besoin de faire sonner son réveil tant il était agité et impatient d’apprendre qui l’avait appelé, et ce que lui destinait cet appel de la métropole, mais il savait que cela risquait d’être long, avec onze heures de décalage horaire son interlocuteur devrait se livrer à tout un calcul pour trouver le moment opportun de le joindre, cependant cela l’empêchait de s’éloigner de la maison par crainte de manquer l’appel.

Il faut avoir vécu un lever du jour dans les îles pour savoir ce que c’est de prendre son premier café de la journée alors qu’une brise tiède et iodée souffle de la mer.

A cette heure là, les autres jours, il prenait son dîner avant d’aller dormir, c’est que le travail de nuit vous créait de drôles d’habitudes, aujourd’hui cela lui donnait l’impression d’être un jour de repos ou de vacances, il décida de se laisser porter par le vent et de déguster chaque seconde de ce repos inattendu.

Ce n’étais pas un lever de soleil de carte postale, avec reflets sur la mer, le ciel était plombé et gris et il ne tarderait sans doute pas à pleuvoir, et ici quand il pleuvait c’était tout de même spectaculaire.

Aux premières gouttes, il rentra se mettre à l’abri et décida de préparer un café pour Moerani, il savait qu’elle aimait qu’il ait ces petites attentions qui permettent de commencer la journée sous de bons auspices.

 

*****

 

Allongé dans le noir Nicolas regardait l’écran de son portable basique, il avait eu le réflexe de s’en procurer un la veille pendant son escapade, en constatant que les cabines téléphoniques de sa jeunesse avaient vécu, il s’était procuré ce téléphone dont personne ne connaissait le numéro ce qui lui donnait la possibilité de ne pas encore être harcelé.

 

Il ne s’imaginait pas qu’il était le premier maillon d’une vaste chaine de déterminisme qui allait se mettre en œuvre tout au long de la journée.

 

Il sortit de sa chambre tenant ses chaussures à la main se déplaçant sur la pointe des pieds malgré cette précaution il eut l’impression qu’il allait réveiller toute la maison tant le parquet craquait.

Seule Simone l’entendit, se demandant bien ce qu’il lui arrivait, elle fut tentée de se lever, puis y renonça, il avait l’âge de se débrouiller.

La nuit était fraîche et le fit frissonner, heureusement qu’il avait pris la précaution d’emporter une couverture, après quelques minutes d’adaptation il commença à distinguer l’allée pour gagner le jardin et la chaise en plastique sous l’arbre.

 

Une fois installé, la couverture enroulée autour de lui, il prit le temps de contrôler sa respiration, il se força à des inspirations profondes attendant calmement que son cœur prenne un rythme plus lent et apaisé.

 

Et il plongea…

 

-         Allo, vous êtes Florent, bonsoir, je suis Nicolas, c’est moi qui vous ai appelé hier. Je tiens à vous rassurer tout de suite, il ne s’est rien produit de grave. Voilà ce qui m’amène…

 

Les premières minutes furent tendues, chacun retenait son souffle, gardant une certaine retenue vis-à-vis de son interlocuteur ; puis progressivement ils en étaient venus aux questions de fond, Nicolas se disant qu’il n’était pas là pour débiter des platitudes et qu’il fallait entrer dans le vif du sujet et, Fororino prenant conscience qu’il tenait peut-être là une planche de salut.

Au départ, Nicolas s’était engagé dans cette démarche pour réconcilier Florent avec ses parents, pour qu’il accepte enfin de pardonner à son père ce qu’il lui reprochait, selon ce que lui avait raconté Georges, et que leur famille retrouve un peu de cohésion et de sérénité…

Très vite il se rendit compte qu’il était loin de la réalité, enfin de celle de Florent ; Car celui-ci lui expliqua en pleurant la culpabilité qui était la sienne d’avoir tué son frère privant ses parents de leur fils préféré, il n’avait pu supporter de les voir s’apitoyer sur lui quand il allait très mal, pensant qu’ils se forçaient pour tenir ce rôle !

 

Nicolas avait vite pris conscience que tout ce qu’il avait imaginé pour préparer cette rencontre ne tenait plus, qu’il était dépassé par la violence du chagrin de son interlocuteur, il aurait voulu être là-bas prés de lui et passer son bras autour de ses épaules, lui dire pleure tant que tu veux, cela va te laver le cœur et les yeux, cela ne sert à rien de garder ces larme- là au fond de toi.

 

C’est alors qu’il repensa à cette idée qu’il avait eue de lui parler comme s’il était son frère, lui qui n’en avait jamais eu, et Florent qui, lui, avait perdu le sien.

 

Ce changement de stratégie eu pour premier effet de faire cesser les larmes de Florent.

Il lui conta ce que représentait sa solitude de fils unique, et comment il s’était inventé des frères et des sœurs pour combler le vide de sa vie au point qu’un beau jour, sa mère avait été convoquée par le directeur de l’école pour qu’elle lui explique pourquoi elle n’avait pas signalé ses autres enfants et lui indiquer dans quel groupe scolaire ils étaient scolarisés. Sa mère avait été si troublée par ce comportement étrange qu’il avait échappé à toutes représailles, mais à partir de ce jour elle l’avait regardé d’un autre œil ! Cette anecdote terminée, ils partirent d’un grand éclat de rire…Cette fois c’est gagné, pensa Nicolas !

Le climat s’étant détendu, ils purent en revenir à Simone et Georges dont Nicolas dut raconter dans le détail tous les éléments de leur vie quotidienne, leur état de santé, leurs conditions de vie, l’avancement des travaux, il édulcora beaucoup ses réponses pour ne pas trop l’inquiéter

 

C’était bon de l’entendre poser toutes ces questions et de le voir ainsi s’intéresser à la vie de ceux qui était ses racines, cela allait faire remonter des souvenirs positifs et peut-être cela l’inciterait-il à renouer des liens ?

 

Nicolas perçut une voix qui s’adressait à Florent au travers des parasites qui lui disputaient la ligne, il pensa à la compagne de Florent qui lui avait répondu la veille, et il le pria de la saluer pour lui.

A son étonnement ce fut elle qui lui répondit, le remerciant d’avoir tenu sa parole :         

 

-   Vous avez rappelé c’est gentil, c’est qu’il était dans tous ses états depuis que je l’avais informé de cet appel. Je ne sais pas ce que vous avez pu lui dire, mais il semble pleinement apaisé et c’est très important !

 

Florent était revenu avec des cafés et il les entendit rire, c’est le moment de les quitter pour qu’ils puissent discuter entre eux de tout ce dont nous venons de parler.

 

-         Je vous laisse, mais je ne manquerai pas de vous rappeler prochainement.

 

Cela faisait une heure qu’ils discutaient et malgré la couverture il était complètement frigorifié.

 

Il demeura pourtant encore un moment sur sa chaise contemplant le ciel, les nuages venaient de se déplacer et la lune trônait en majesté, c’est que c’est fascinant une pleine lune on ne peut s’empêcher de la dévisager enfin si l’on peut dire.

 

Il appela le portable de Marianne pour lui laisser un message, mais comme cela se produit souvent la technique n’était plus au rendez-vous et il n’avait plus de signal, il pensa que c’était le comble il venait d’appeler l’autre bout du monde, mais il ne pouvait joindre un portable en banlieue parisienne.

 

Il replia sa couverture et entreprit de regagner ses pénates, cette fois, s’il n’attrapait pas un bon coup de froid il aurait bien de la chance.

La cuisine était allumée et Simone s’activait autour de la cafetière.

 

-         Je vous avais entendu sortir, mais je n’aurais jamais imaginé que vous soyez encore dehors, vous n’êtes vraiment pas raisonnable, le café sera prêt dans cinq minutes asseyez-vous je vais vous en servir un bol.

-   Il faudra que je trouve le bon moment pour leur expliquer que j’ai eu Florent au téléphone, la question étant, comment vont-ils le prendre ?