Nuit de pleine lune 12ème épisode

 

 

Cette fois, c’est Clarisse qui vint aux nouvelles, elle se disait qu’avec son caractère de mule, Marianne ne serait certainement pas retournée prendre son travail à l’hôpital, et que cela allait être le grand n’importe quoi !

 

-         Allo, c’est Clarisse, alors ce retour au boulot, comment…oui, bien passé, tu n’as pas eu de problèmes ?

-         Pas de panique, rassure-toi, ils ne s’étaient même pas aperçu que j’étais absente, je dois te remercier car sans toi et tes conseils, j’étais partie pour faire une sottise en abandonnant mon poste !

-         J’aime mieux ca, j’en étais sure, toi tu es une battante qui s’ignore, tout est rentré dans l’ordre, qui vivra verra…

 

Marianne se taisait, elle connaissait l’impatience de son amie, mais elle ne savait pas par où commencer son récit. Elle se sentait un peu dépassée par les évènements survenus depuis le matin.  Il lui fallait tenter d’organiser ce qu’elle avait à dire avant de se mettre à parler, il lui aurait fallu un peu plus de temps et Clarisse ne semblait pas prête à lui en donner l’opportunité.

 

-          En matière sociale tu sais que je m’y connais. Ce n’est pas en te laissant exploiter par ces « tondeurs de chiens » que tu vas t’en sortir. Ces gens là ne pensent qu’à leur renommée et à leurs récompenses, toi, tu n’arrives que bien après, tu ne fais même pas partie de leurs préoccupations !

 

Sur ce point, pensait Marianne, je ne peux qu’être en accord avec elle. Depuis mon arrivée dans le service j’ai été la pigeonne, je me suis laissé plumer, mais cause toujours ma belle, cette fois je vais vraiment te surprendre, tu vas découvrir la pigeonne à qui il a poussé tant de dents que tu ne l’imagines même pas. Elle aimait bien sa copine à l’âme de déléguée syndicale et de Mère Teresa réunie, il fallait bien reconnaitre que sur ce coup là, c’est elle qui l’avait remise sur orbite.

 

-         Si tu acceptais de te taire quelques secondes, je pourrais te donner des informations sur l’état de la situation, enfin si mes problèmes t’intéressent, elle savait qu’en employant cette expression elle allait accélérer le processus

-         Pour les projets et les idées foireuses je te fais confiance, ce qu’il te faut, c’est du solide du concret qui te rapporte de l’estime et du fric

 

Après quoi elle partit d’un grand éclat de rire !

 

-         C’est bien ce que je te disais, tu te tais, et tu vas savoir tout ce qui m’est arrivé en un après-midi.

 

Sentant qu’il se préparait un évènement d’envergure Clarisse accepta enfin de faire silence.

 

Après un long préambule dans lequel Marianne lui rendait un vibrant hommage Clarisse entendit son amie lui raconter tout ce qui s’était passé en trois heures de temps :

 

-         La discussion avec son patron et le reclassement salarial qui s’en était suivi, pas encore le Pérou mais tout de même plus consistant que le RSA…

 

C’est en entendant Marianne lui conter par le menu ses contacts avec « The Lancet » qu’elle fut définitivement stupéfaite et conquise, mais commença à perdre le fil.

 

-         Elle avait en vue une session de formation au Québec pour compléter son cursus théorique, restait à convaincre son Boss de l’utilité de cette démarche, elle paraissait assez sure d’elle-même, cela ne devait pas poser de difficultés majeures, ajouta-telle.

-         Elle avait au passage récupéré les coordonnées de deux autres services, l’un au CHU de Grenoble l’autre à celui de Montpellier qui avaient des difficultés avec les textes de leurs publications. La correspondante du Lancet lui avait promis de leur communiquer ses coordonnées pour qu’elle leurs apporte l’appui technique nécessaire.

-         Waouh ça craint !!!

 

Ce n’était tout de même pas mal comme résultats pour une journée qui avait aussi mal commencé.

Il y eut un petit moment de flottement sur la ligne, c’est qu’après l’avoir poussée à se bouger et à agir pour être reconnue, l’étendue des résultats apparaissaient ébouriffante.

Clarisse avait envie de faire quelques commentaires, mais elle sentait confusément que sa voix risquait d’être grinçante.

Elles étaient dans cette zone difficilement gérable de l’amitié, tout marchait bien tant que chacune tenait son rôle :

 

-         La rigolote avec ses mecs pas possibles qui chaque fois devaient être la petite merveille du monde, qui avait un boulot stable, bien payé, un pavillon à trois quarts d’heure de train mais un pavillon tout de même…

-         Et l’autre la copine sympa que l’on invitait pour compléter son plan de table, qui avait un bon travail intéressant mais mal payé, qui logeait dans un petit studio de vingt cinq mètres carrés dans un quartier minable…

 

Chacune était bien installée sur ses positions, se croyait forte, reconnue et identifiable, un statu quo instable reposant sur des représentations et dans lequel bouger le moindre iota de positionnement pouvait à tout instant mettre à mal la stabilité instaurée au cours des nombreuses années de compagnonnage. Ce n’était pas de la jalousie, mais un petit pincement du style :

-         Pourquoi elle ?

 

De protecteur, on courrait tout à coup le risque de devenir celle qui avait besoin d’être mise sous protection, difficile de reconstituer un équilibre qui a été rompu !

 

Chacune de son côté se faisait la même analyse de la situation nouvelle créée par les démarches de Marianne, se disant que ce n’était qu’une première étape, que cela n’aboutirait peut-être pas.

Toutefois, comment se dire amies si l’on n’acceptait pas de voir celle à qui l’on tient pouvoir enfin imaginer qu’elle va s’en sortir, que dans les mois à venir la galère ne sera plus qu’un mauvais souvenir.

En théorie cela peut paraître simple à mettre en œuvre, dans la réalité c’est déjà beaucoup plus difficile que l’on ne le croit.

Il fallait sortir au plus vite de ce dilemme, Marianne décida donc de changer de sujet de conversation, ce n’était pourtant pas facile, pour une fois qu’elle pouvait démontrer qu’elle n’était pas seulement la paumée de service.

 

-         Tu sais qu’il ne m’a pas rappelée ?

-         Qui, ton patron ?

-         Que veux-tu que je fasse d’un coup de fil de mon patron, non c’est de Nicolas dont je te parle.

-         Les mecs quand ils s’y mettent, ils font tout pour affirmer qu’ils n’ont pas inventé le relationnel…Pleure pas tu verras qu’il y en a plein de charmants et de mignons, il faut seulement que tu trouves le bon !

 

C’était bien elle, la Clarisse, combien de fois n’avait-elle pas dû la consoler après des ruptures chaotiques suivies de soirées de larmes, enfin c’est la vie et la preuve que l’on est tout de même capable d’évolution, merci monsieur Darwin. Mais ce soir elle n’était pas du tout sur cette longueur d’onde, elle n’avait aucune envie de faire de l’humour sur cette question.

Le silence de Nicolas la blessait profondément et la souffrance commençait à la ronger.

Elle renifla pour ravaler ses larmes, c’est peut-être en ayant à gérer ce type de situation que l’on sait que l’on a commencé à être amoureuse !

 

 

*****

 

Mais là-bas aux antipodes la situation restait tendue, Florent refusait obstinément de reprendre le dialogue, il trouvait que sa compagne lui faisait violence en voulant le forcer à parler.

Une, ce n’est pas son problème ! Deux, cela ne la regarde pas se disait-il…

 

Il savait ce type de défense infantile, Moerani vivait avec lui depuis trois ans et c’est elle qui subissait ses moments de dépression voire de désespoir. Dés le début après qu’il lui eut raconté son histoire et les conditions dans lesquelles il était parti de métropole et avait rompu avec ses parents, elle avait refusé obstinément son analyse.

 

-   C’était un accident et on n’est pas responsable d’un accident, sauf si on l’a provoqué, ici ce n’était pas le cas, toi et ton frère en avez été les victimes…

 

Que tu sois parti de chez tes parents c’est une démarche normale, les enfants que les parents mettent au monde sont faits pour s’éloigner et prendre leurs propres marques,

Ce serait le contraire qui serait anormal… mais toi tu as tant de colère en toi tant de souffrance que tu te punis toi-même et par là même tu punis tes parents qui ne t’ont rien fait…

Dans son coin Florent serrait les dents à s’en faire éclater l’émail, cette discussion ils l’avaient déjà eu des dizaines de fois et chaque fois il s’était levé pour disparaître dans le noir et ne revenir que le lendemain matin, elle l’accueillait sans rien dire, le serrait contre elle, attendant que son souffle s’apaise. Elle n’avait pourtant pas l’intention de céder, elle craignait plus que tout que cette souffrance qui lui dévorait l’âme et le corps ne finisse par le détruire, il lui avait fallu mettre le haut-là sur la consommation de cannabis car c’est ainsi qu’il avait pris l’habitude de s’échapper de la réalité et d’errer pendant des heures dans des mondes imaginaires dont elle était exclue.

 

Ce soir peut-être à la suite du coup de téléphone il n’osait pas s’échapper et Moerani en profitait pour développer ses idées en insistant de plus belle ;

 

-         Tu m’as dis que tu étais chrétien et dans votre religion ne dit-on pas que l’on doit pardonner à son prochain ?  Je ne comprends pas que tu ne pardonnes pas à tes parents quoi qu’ils aient pu te faire de terrible.

Et le pardon tu te dois de l’étendre à toi-même quoi que tu penses que tu aies pu faire.

 

Il ne la voyait pas, la nuit était devenue trop sombre, mais il imaginait très bien son visage avec ses yeux immenses qui semblaient vous sonder l’âme quand elle vous regardait, dans ces instants où elle tendait toute sa concentration une ride profonde semblait fendre son front dévoilant sa tension. C’est toujours au moment où cette ride apparaissait qu’il partait ne supportant pas de la voir souffrir, c’est aussi pour cela qu’il était parti de chez lui pour ne plus voir ses parents pleurer.

 

Il avait beau se cramponner à ce qu’il prenait pour des certitudes, il sentait sa résistance faiblir et quelque part il en voulait à sa compagne de venir disloquer ce monde imaginaire dans lequel il s’était réfugié.

 

Il ne gardait de son passage dans la religion que quelques images stéréotypées : Les juifs s’enfuyant d’Egypte en traversant la Mer- rouge, Jésus multipliant les pains ou changeant l’eau en vin à Cana. Il était resté fixé sur des images sans chercher à en comprendre le sens. Moerani n’acceptait pas d’en rester là, elle voulait comprendre et voulait qu’il comprenne ce qu’il y avait d’incohérent dans ses comportements.

 

S’il n’acceptait pas de creuser cette idée de l’amour de l’autre et de soi même comment pourrait-elle le croire lorsqu’il lui disait qu’il l’aimait. Ce n’est pas facile de vivre ensemble lorsque l’on n’a pas la même culture, les mêmes références cela demande à chacun de grandes capacités d’adaptation, et une grande ouverture d’esprit.

 

Il fallait le faire avancer tout doucement sur ce chemin, ne pas le braquer, ne pas réveiller son impulsivité, se contenter de faire un pas après l’autre, elle ne voulait pas qu’il parte, elle pensait que tant qu’il était là les tempêtes de l’océan indien ne pourraient rien contre elle. Quand le point de rupture paraissait trop près, elle se taisait tendait la main vers lui pour qu’entre eux le courant se rétablisse et que la paix revienne.

 

Ce qu’elle ne savait pas, c’est que depuis qu’elle avait commencé à lui parler de sa religion, dont il faut bien l’avouer il était fort loin, mais qu’importe, il avait dans la tête l’histoire de Caïn et Abel, Caïn qui tua son frère par jalousie, cette pensée lui donnait des sueurs froides et lui faisait faire des cauchemars. Lesquels le ramenaient sans cesse à l’accident, il le revivait sous différents angles et à des vitesses variées comme dans un reportage sportif, se pourrait-il qu’il soit un Caïn en puissance…

 

Où que l’on soit sur cette bonne vieille terre, il existe une technique pour se sortir des situations difficiles, changer de sujet. Sentant qu’il était en train de partir dans ses territoires intérieurs, Moerani décida de changer de sujet de conversation.

 

-         Tu as réfléchi à cet appel téléphonique venu de France ?

 

 Pour elle il y avait la France et ici, ici qu’elle ne nommait pas, c’était ici, point. Elle en rêvait de ce pays qu’elle parait de toutes les vertus, où la vie ne pouvait ,être que plus facile, le climat plus agréable, loin des typhons et tempêtes en tous genres qui venaient régulièrement chambouler leur quotidien. Elle avait envie de rencontrer la famille de Fororino ainsi qu’elle avait baptisé Florent dés leur première rencontre. Elle pensait qu’une fois qu’elle aurait rencontré la Mère elle comprendrait mieux le fils ; Et puis une mère et une fille, fût-elle sa bru, ne pourraient que s’entendre, mais de cela non plus il n’était pas question… Pour son Fororino là-bas c’était là- bas et ici c’était sa vie, alors pas de discussion possible.

 

-         Non je ne peux rien imaginer tant que je ne saurai pas qui m’appelle !

 

-         Cela ne te fait pas peur, c’est peut-être une mauvaise nouvelle à propos de tes parents ou de Michelle, tu sais ils sont âgés tu ne dois pas l’oublier, après ce sera trop tard il ne te restera qu’a pleurer…

 

Il savait bien que c’était là le point faible de sa défense, il s’était installé dans un état de fait et désormais il ne savait plus comment s’en sortir, cette femme devait être un peu un génie de la forêt car elle devinait instantanément les sujets auxquels il pensait.

 

-         Demain matin je te promets que je ne partirai pas avant que cette personne n’ait appelé

 

Ils restèrent un petit moment silencieux à écouter les bruissements du vent, quand il entendit les planches de la terrasse craquer, il sut qu’elle était rentrée et il la suivit.

*****

 

 

 

A Annecy Félicité ne tenait plus en place, cet appel téléphonique lui en avait trop dit ou pas assez, maintenant que la mécanique des relations semblait se remettre en marche elle avait envie que cela aille vite.

 

Elle s’était mise à faire du ménage, était sortie faire des courses, avait mis un mot à l’une de ses fidèle amies pour lui faire part des derniers évènements ; mais toute cette agitation n’était pas parvenue à lui calmer les nerfs.

 

Son compagnon se tenait coi attendant le moment opportun pour lui faire part de son avis, il savait qu’il ne fallait jamais anticiper, et qu’une suggestion aussi bonne soit-elle pouvait-être définitivement perdue pour n’avoir pas été exprimée dans le bon tempo.

 

Il fallait se taire, ne pas réagir aux avanies en tout genre, guetter le silence, l’hésitation dans l’expression, la fin d’une phrase qui sous des dehors anodins prenait une forme interrogative dans la forme et la modulation.

C’est qu’ils se connaissaient bien tout les deux, ils étaient de la même bande de soixante-huit pour ne pas dire des soixante-huitards attardés, car ils ne s’étaient jamais complètement remis de leur expérience.

 

La révolte étudiante passe encore, mais les logements collectifs, c’était un souvenir impérissable, ils ne se rendaient même pas compte qu’ils n’en étaient jamais sortis et que leurs vies avaient été un long cheminement bien difficile.

 

Ils s’étaient retrouvés dans une manifestation d’anti-nucléaires devant la centrale de Golfech, c’était chaud, mais à côté du quartier Latin cela était tout de même moins violent. Lui ne l’avait pas reconnue du tout, elle avait eu un doute à propos de ce grand dégingandé qui balançait les pierres comme autrefois les pavés du Boul’mich.

Pour en avoir le cœur net elle avait crié :

 

-         Rudy tu devrais mettre un casque, ils vont t’éclater la tête ! (Ses cheveux roux en faisaient un pseudo sosie de Rudy le rouge alias Cohn Bendit)

 

Comme piqué par une guêpe il s’était retourné d’un bloc, ce surnom des barricades ils n’étaient pas nombreux à le connaître et il cherchait à identifier celle qui l’avait prononcé… à cet instant une grenade lacrymogène était venue percuter son sac à dos l’envoyant bouler dans les rocailles. Elle s’était précipitée, l’avait soigné, dorloté, désinfectant ses nombreuses écorchures, suite à ces avanies et tout à la joie de ces retrouvailles, ils avaient décidé d’arrêter là leur expérience d’anti nucléaire. Pour renouer le fil et se remettre à parler, ne leur restait qu’à quitter leurs Thébaïdes et se choisir un lieu de vie commun ou pour le moins des lieux suffisamment proches pour pouvoir se rencontrer facilement. Cela leur avait pris du temps de faire défiler tout ce qui leur était arrivé depuis cette lointaine époque, il y avait eu des temps de silence, des éclats de voix lorsqu’ils évoquaient certains aspects de leurs actions ou de leurs prises de positions, mais les années avaient fait leur œuvre et les idées nébuleuses de leur jeunesse avaient perdu de leur pertinence et de leur force. De fil en aiguille ils s’étaient dit qu’un plus un, cela faisait deux, et que la vie serait moins aride à vivre ensemble, depuis ils vivaient dans une certaine forme de Félicité ajoutait-il pour la faire râler.

 

*****

 

Pendant ce temps-là, le principal intéressé dormait comme un Bienheureux, s’il avait pu imaginer tout ce qui était en train de se tramer il n’aurait certainement pas été aussi serein, encore que, où pouvait bien se trouver le risque si risque il y avait.

 

Quand il y a dialogue, quand les gens se parlent il est évident que tout ne se déroule pas toujours comme on aimerait que cela se passe, il y a des digressions, des ruptures, des contre pieds et des coups de savate, de vieilles remontées de bile et de rancœur… Il est des mots et des attitudes qui blessent sans que sur le moment personne ne s’en aperçoive. Quand la blessure est profonde et brutale, il y a des cris, des pleurs des mots qui viennent s’écraser sur votre visage et vous laissent anéanti, mais le plus souvent ce sont des multitudes d’écorchures, de blessures bénignes qui vous arrachent la peau laissant s’échapper votre sang donc votre vie, sans qu’à aucun moment vous n’en ayez conscience, quand l’hémorragie vous a saigné à blanc, comme Nicolas vous partez dans le décor !

 

Mais bien sûr, le dialogue c’est aussi la seule façon de s’en sortir de démonter les machines infernales que chacun est capable de mettre en place dans sa vie, ce qui va permettre de retrouver une certaine voie de la sagesse et de la paix ;

Nicolas ne le sait pas encore, mais en abandonnant son portable entre les mains de Georges il a ouvert une puis des quantités de portes par lesquelles le vent dés demain va s’engouffrer.

Pour l’instant il est dans un rêve lent et majestueux, il vole et le monde lui appartient.