Nuit de pleine lune 6
Il ne lui fut pas facile de retrouver son chemin, à l’aller il avait suivi Georges sans se donner la peine de prendre le moindre repère et maintenant il fallait qu’il se débrouille seul.
Où Georges avait-il bien pu disparaître à la fin du chantier, et en plus sans le prévenir ? Il allait bien s’amuser en apprenant qu’il s’était complètement égaré dans ce labyrinthe.
Comme il n’y avait pas d’urgence et qu’il était pragmatique il finit par retrouver son cheminement de retour.
En le voyant arriver seul Simone parut étonnée de l’absence de Georges, mais elle s’en tint aux explications de Nicolas.
- Voulez-vous boire quelque chose avant d’aller prendre votre douche ?
- Je crois que je vais commencer par la douche, pour le reste on verra après.
En fait il était moulu et se serait bien contenté d’aller se coucher sur le champ, il aurait été capable de compter ses os rien qu’en comptabilisant les différentes douleurs qui le faisaient souffrir.
Ce fut un délice, l’eau était bien chaude et cette fois les serviettes n’étaient pas plus râpeuses qu’il ne le fallait.
A son retour dans la cuisine, il se contenta d’un bol d’eau chaude, la prune de fin de chantier l’avait barbouillé, demain il ferait une journée sans. Il était tout de même satisfait d’avoir tenu, heureusement qu’il n’avait commencé à travailler qu’en fin de matinée.
Simone ne lui posa pas de question, elle continuait de préparer son repas, mais lui avait besoin de reprendre leur dialogue là où ils l’avait laissé, il ne cherchait pas de réponse immédiate, il n’avait besoin que de parler et ici le contact qu’il avait établi lui permettait de penser qu’il pouvait avoir confiance, qu’il était en sécurité, demain ou après demain il repartirait et peut-être ne reviendrait-il jamais dans ce hameau.
Parler lui permettait de mettre de l’ordre dans sa tête. Ailleurs il était si facile de masquer la réalité, le travail, le sport, les repas entre copains et les voyages d’affaires, on vit à cent à l’heure en oubliant l’essentiel, sa propre existence et
Il hésita un petit moment dégustant son bol d’eau tiède à petites gorgées…
- Cela ne vous dérange pas que je continue de vous parler de ce qui me tarabuste à propos de mon père, c’est qu’en vous parlant les choses se mettent en place. La plupart du temps les personnes avec qui j’en ai parlé veulent m’imposer leur façon de penser voire décident de me consoler, le résultat c’est qu’en fin de compte j’en suis toujours au même point.
- Vous savez, quand après l’avoir beaucoup agressé, ma mère a fini par m’avouer la vérité à propos de mon père c’est comme si toute ma vie avait explosé. Cela peut paraître irrationnel, mais c’est ainsi et nous n’y pouvons rien. J’ai appelé cela le syndrome du Titanic, pour essayer de me protéger j’avais mis en place des compartiments étanches, mais rien n’y a fait, sous la pression une cloison étanche a sauté et le déferlement a repris, alors j’ai bloqué la suivante et cela a recommencé jusqu’au moment où j’ai été complètement submergé, coulé…
Simone se demandait comment arrêter ce déferlement, elle ne voulait pas le voir se décomposer comme lors de leur dernière discussion, elle tenta alors une timide intervention :
- Vous êtes fatigué, ce n’est peut-être pas le moment de se relancer sur des questions aussi difficiles, nous pourrions reprendre cette discussion après une bonne nuit ?
Ce n’est plus possible, Nicolas ne l’entend plus, il a commencé de parler, maintenant il faut que cela aille au bout, il n’est pas certain que les autres puissent comprendre ce qu’il a à dire, l’important c’est que cela jaillisse, comme la caldeira qui frémit sous le volcan et qui tout à coup cherche une faille pour pouvoir se lancer à l’assaut du ciel.
- Quand ma Mère m’a avoué la vérité, enfin la sienne, j’ai commencé à me remémorer des lambeaux de souvenirs, mais c’était quelque chose de si lointain que j’ai eu bien des difficultés à en retrouver la trace, ç’avait été si difficile que depuis, tout cela était bien enfoui dans les replis de mon cerveau, en réalité ce qui me blessait, et ce qui me mettait en rage, c’est que depuis des années je savais…
- Comment cela ?
Il marqua un temps d’arrêt !
- C’était, si je m’en souviens bien, un après midi du mois d’avril, j’aurais dû être en cours de mathématique, notre prof, monsieur la Cloche un hurluberlu que nous avions surnommé ainsi car vers la fin de ses cours il ne cessait de nous répéter : la cloche messieurs attendez la cloche…n’était pas là pour d’obscures raisons.
On sentait la jubilation monter dans la salle, et après un moment d’attente nous
étions tous partis en catimini.
Une fois passées les grilles du lycée, les plus fortunés étaient partis au cinéma,
je n’avais plus un sou d’argent de poche aussi avais-je décidé de rentrer à
l’appartement.
Simone est tentée d’intervenir, et puis à quoi bon, qu’il parle !
- J’aimais bien rester dans ma chambre, allongé sur le lit, un bon bouquin sur les genoux. Le parc municipal m’avait attiré, car il y avait toujours des filles qui s’y baladaient, ou qui assises en rond riaient aux éclats quand un garçon venait à passer prés d’elles, c’était terrible et délicieux à la fois.
Elle ne put éviter de rire…
- Ne vous moquez pas de moi je n’étais qu’un ado !
- Vous n’avez rien à craindre de moi, si vous voulez parler, faites le en toute liberté, de même si vous voulez vous taire…
D’une voix tendue Nicolas avait repris
- En définitive j’étais rentré tranquillement, du pain quelques carrés de chocolat et un verre de lait, j’étais aux anges.
C’est le bruit de la clé qui a surpris mon attention me rappelant fort à propos, mais un peu tard, que ma mère m’avait annoncé la veille au petit déjeuner que ce mardi elle rentrerait plus tôt, son service devant subir une opération de désinfection ou quelque chose d’approchant. Il était quinze heures et elle aussi était rentrée directement sans faire de détours.
Il n’était pas question que je lui signale ma présence, il aurait alors fallu que je me lance dans des explications que fort probablement elle n’aurait pas crues, et son coup de fil au lycée aurait déclenché bien trop de problèmes. Une autre objection de taille c’est quelle n’était pas seule, aux échanges de voix j’ai reconnu l’une de ses collègues de travail ce n’était vraiment pas de chance, elles étaient parties pour me bloquer dans ma chambre le restant de l’après midi…
- Sors une assiette pour mettre les gâteaux, j’apporte de l’eau, thé ou café ? Enfin vous voyez le genre !
- C’est vrai, elles venaient gâcher votre solitude si l’on peut dire, mais de là à se cacher…
- Avec le recul je suis bien conscient de mon erreur, mais ne m’étant pas signalé tout de suite après je ne pouvais plus le faire.
Il y a eut des bruits de vaisselle, des rires et puis la conversation s’est installée
formant un bruit de fond continu, leurs voix n’avaient pas la même tessiture,
l’une plus haute que l’autre celle de ma mère, la voix de sa collègue était plus
profonde et plus chaude.
- Ce ronronnement m’agaçait, car il m’empêchait de me concentrer, mais il n’était plus question d’aller fermer la porte sans me faire remarquer, toujours ce fichu problème des explications que je n’avais définitivement pas envie de fournir.
- C’est étonnant ce que les hommes peuvent être butés, quand vous avez décidé d’une chose pour rien au monde vous ne reviendriez dessus, les femmes, nous ne fonctionnons pas du tout comme cela, nous recherchons toujours la meilleure adaptation et s’il le faut nous nous adaptons, excusez moi de mon interruption, continuez.
- Progressivement le ton des voix s’était fait plus grave, mais aussi plus sonore ce qui cette fois rendait toute lecture impossible, la concentration ne se faisait plus et mon oreille malgré moi tentait de capter une syllabe, un mot voire une phrase…
- Cela aussi c’est habituel, les enfants espèrent toujours capter quelques informations sur la vie, sur la sexualité, il faut bien qu’ils fassent leur éducation si leurs parents ne la font pas ;
- Vous ne croyez pas si bien dire, sur la pointe des pieds en glissant sur mes chaussettes, j’étais presque parvenu jusqu’à la porte et je m’apprêtais à essayer de la refermer sans bruit. Plus je m’étais approché, plus leurs paroles étaient devenus distinctes, elles échangeaient sur la façon dont elles avaient vécu les évènements de Mai soixante-huit.
Leurs parcours se ressemblaient, elles riaient en parlant des nuits passées dans le théâtre de l’Odéon, ou au grand amphi de la Sorbonne dans lesquels des orateurs improvisés s’arrachaient le micro…J’ai entendu ma mère dire qu’il fallait reconnaître qu’au delà de leurs piètres prestations d’orateurs, certains garçons étaient très mignons
Et sa collègue de lui rétorquer que c’était bien plus que cela, et que souvent de ces jolis garçons elle avait fait son quatre heures…
Je ne savais pas très bien ce qu’elles entendaient par là, mais à leurs rires j’ai senti que je touchais là à l’intime et je pense que je suis devenu rouge comme une langouste plongée dans son cour bouillon.
- Tu as des enfants toi, a demandé ma mère ?
- Sa collègue lui a répondu et le fil a continué à se dérouler, je ne vous raconte que les grandes lignes, mais toute leur conversation est imprimée dans mon crâne comme les pages d’un livre.
- Oui, bien sur, j’en ai deux, mais les miens ils ont un père, oh excuse moi je n’aurais pas du te dire cela, je blague, mais ce n’est pas drôle.
Tout de même je ne comprends pas qu’une fille comme toi se soit fait faire un môme, tu n’étais pourtant pas complètement naïve, tu savais les risques que tu prenais …Sur ce coup là, tu me scies !
- Non, tu n’as pas à t’excuser, a dit ma mère, je peux parfaitement comprendre ton point de vue, il faut quand même se remettre dans le contexte de l’époque, nous jouions aux révolutionnaires, il y avait cette fusion totale y compris par le sexe, et s’il y avait un enfant, ce n’était pas le problème, la communauté était là pour le porter…Tu comprends nous pensions que nous réinventions le monde alors !
Les conventions, la famille, le mariage tout cela devait être laissé au passé…
- A partir de là j’aurais dû me méfier et partir, je suis resté et elles ont poursuivi.
- Pour nous pas de contrat de mariage, un verre de gin ou tout autre alcool qu’ils avaient grugé, un joint, et l’on s’offrait toutes fières qu’ils s’intéressent à nous.
- Avec le recul, tu ne penses tout de même plus de la même façon, tu n’as jamais eu de regrets, cela n’a pas du être facile tous les jours ?…
- J’avais l’impression que les voix me lacéraient la peau, que par toutes ces déchirures mon sang et ma vie s’échappaient à gros bouillons !
Simone ne put s’empêcher d’intervenir
- Ne vous mettez pas dans tous vos états, si cette discussion vous fait trop souffrir, nous pouvons en rester là.
- Non je vais y arriver, jamais je n’ai parlé de cet après midi terrible même pas avec ma mère et pourtant j’aurais certainement mieux fait de commencer par là.
A ce moment de leur discussion j’étais collé contre la porte, je n’avais qu’un geste à faire pour la refermer, mais ne pas connaître la suite aurait été encore plus difficile à vivre. Je me disais simplement que si cela devenait trop difficile je me boucherais les oreilles, c’est vrai que j’étais tétanisé par l’angoisse mais enflammé à la fois, mes mains étaient positionnées de chaque côté de ma tête prêtes à les recouvrir.
- Je trouve qu’au delà de votre curiosité, vous avez fait preuve d’un certain courage. Vous étiez jeune à cette époque et ce que vous viviez était tout de même très compliqué pour vous…
- Ce que je ne pouvais imaginer c’est ce que ma mère allait dire.
Après une brève interruption pendant laquelle elles avaient du reprendre du thé, n’imaginant même pas le calvaire qu’elles étaient en train de me faire subir les voix ont repris leurs échanges
- Pour tout te dire, si c’était à refaire, et que je me retrouve enceinte, il est évident que je ne le garderais pas et que je le ferais sauter. A l’époque je n’imaginais pas ce que serait la suite des évènements, la solitude quand ils ont été tous partis, le chômage le manque de moyens…La galère quoi, depuis ce temps là je n’ai guère connu que cela…
Mes mains, vous devez vous en douter, ne se sont pas rabattues, je n’ai pas pu et j’ai tout entendu. En boucle je me répétais, elle ne parlait pas de moi, ce n’est pas possible, ce n’est pas vrai !
- J’ai refermé la porte et, à reculons en glissant sur mes chaussettes je suis allé me glisser dans le lit, la couette bien au dessus de la tête et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps…Il faudra que je demande à ma mère la vérité sur ma naissance, c’est cette phrase qui m’a empêché de mourir, c’est tout ce dont je me rappelle avant de m’être endormi.
Depuis un petit moment Simone se demande si elle doit intervenir, c’est tellement étonnant de voir un homme de cet âge lui raconter ce qui aurait dû rester un chagrin d’enfance. Elle avait posé au bout de la table une boite de mouchoirs en papier sentant bien que la tempête montait, mais il ne s’est pas effondré en larmes, ce qu’elle a préféré se disant qu’il n’était pas certain qu’elle ait su trouver les mots justes pour l’aider à aller de l’avant.
Un coup de klaxon se fit entendre, rappel impératif que la boulangère était au bout de l’allée et que la vie continuait.
- Excusez-moi de vous interrompre, mais il faut que j’y aille, elle n’est pas trop patiente, c’est qu’elle a sa tournée à faire.
Il est tout surpris de ne plus entendre sa voix, depuis qu’ils sont là accoudés à cette table il a dans les oreilles un son de voix qu’il ne reconnaît pas, plus bas, plus monocorde, comme s’il en avait gommé tous les affects.
Un flot qui s’écoule et contre lequel on ne peut rien.
Essayez pour voir d’arrêter une crue, ou bien un vent de tempête qui arrache les feuilles d’automne. C’est impossible, il n’y a qu’une possibilité attendre que cela se passe. D’une certaine manière c’est ce qu’a fait Simone, elle n’a pratiquement rien dit se contentant d’être là et de regarder le flot s’écouler. La boulangère était la bien venue pour eux deux, ils ont bénéficié d’un espace de décompression, cela a posé une limite leur évitant de tomber dans le pathos…
Mais il l’entend qui revient, la grille qui grince puis ses pas menus sur le pavage de l’allée, et enfin, la porte de la maison et sa voix dans le couloir.
- Me voilà je n’ai pas été bien longue, et je rapporte du bon pain frais, êtes vous tenté, du pain frais avec un peu de confiture ?
Un petit en cas régressif ne peut pas faire de mal, et à chagrins d’enfance traitement d’enfance.
- Quand j’étais gamin c’est toujours ainsi que l’on mettait fin à mes chagrins, ce sera volontiers, auriez-vous quelques carrés de chocolat ?
La baquette est croquante, parfumée et le chocolat a gardé des aromes inoubliables, c’est un vrai délice, la baguette fraiche qui écorche la langue prouve qu’elle vient de sortir du four.
En bout de table, Simone a sorti crayon et cahier pour noter l’achat du pain, elle range le tout dans une boite en fer blanc qui dans une autre vie a dû contenir des galettes bretonnes.
Il sait qu’il ne peut en rester là, qu’il faut qu’il aille au bout de son récit, comment de victime, il a inversé les rôles en devenant bourreau, enfin si l’on veut.
Il attend que Simone se soit installée et qu’elle ait quitté ses lunettes, quand elle en a terminé avec toutes ces opérations, il sait qu’il peut reprendre.
Elle de son côté se sent rassérénée, la sortie pour acheter son pain lui a permis de se ressaisir, maintenant elle se demande un peu quelle attitude adopter, ne rien faire et attendre, lui proposer de reprendre, pour l’instant elle hésite et puis se dit-elle on verra bien.
Au point où j’en suis elle ne comprendrait pas que j’en reste là, alors continue.
- Tard dans la soirée après de multiples coups de fils à mes copains de classe…C’est qu’elle s’inquiétait de ne pas me voir rentrer du lycée moi qui étais précis et respectueux des horaires, elle est venue dans ma chambre.
- Tiens tu étais là, tu peux te vanter de m’avoir fait une sacrée peur, tu aurais pu me prévenir !
- Je n’étais pas bien, je suis rentré et je me suis endormi.
Devant mon air déconfit, elle n’a pas insisté, je m’en sortais bien…Enfin je l’ai crue à l’époque, tout aurait été si différent si je lui étais sauté dessus en criant et l’insultant, lui disant ma haine et ma colère. Elle m’aurait flanqué une bonne paire de calottes pour m’apprendre à lui parler sur ce ton. Quand elle aurait compris de quoi il était question après que je lui eus avoué que j’étais derrière la porte, elle se serait assise sur le pied de mon lit en pleurant et en me serrant contre elle pour tenter de m’apaiser.
Elle m’aurait dit c’était ma vie mon chéri, elle ne te paraît peut-être pas très brillante mais c’était ma vie et cela ne te regarde pas. Ce que tu as entendu c’était une discussion entre femmes qui cherchent comment vivre. La vie ne peut être que galère et souffrances, il y faut de la lumière et du soleil, et de l’amour, tu comprends cela.
Toi tu es là, je t’ai gardé contre vents et marées je t’ai tout sacrifié et je ne le regrette pas aurait-elle dit… ou quelque chose d’approchant…
Moi aussi j’aurais aimé que tu aies un père, mais cela ne s’est pas passé comme cela et désormais il nous faudra faire avec et chercher à être heureux malgré cela.
Mon cœur aurait commencé à ralentir, depuis un moment il battait si fort que dix fois j’aurais cru mourir ! Elle m’aurait bercé, chanté des comptines en anglais comme lorsque j’étais petit, passé ses mains dans mes cheveux me les ébouriffant pour une fois je n’aurais pas protesté, arrête ! Ils vont être impossible à coiffer, ce qui la faisait rire et la poussait à continuer…
La vie est ainsi faite d’instants où l’on se rencontre où le contact s’établit et de rendez-vous ratés avec toutes les conséquences qui en découlent.
A la suite de cela, de notre incapacité à nous dire, moi que je savais et elle qui se doutait que je savais nous sommes devenus ennemis…
Je lui ai mené une guerre larvée, la tyrannisant pour soi disant savoir, pour quelle me raconte une histoire dont je connaissais déjà la trame, j’étais pris dans un piège infernal, en effet comment lui expliquer que j’avais entendu l’inaudible et vécu une incommensurable douleur.
Depuis nous sommes restés l’un en face de l’autre enfermés dans la douleur et je n’ai pas eu d’autre issue que de la faire souffrir.
- Mais vous m’aviez dit que vous l’aviez obligée à vous dire la vérité ?
- C’est vrai, qu’elle a reconnu qu’elle ne savait pas qui était mon père, mais elle n’a pas avoué qu’elle aurait voulu me tuer !
- Si j’ai bien compris ce que vous m’avez dit, ce ne sont pas tout à fait ses propos, vous avez dit si c’était à refaire je le ferais sauter, en fait elle aurait interrompu sa grossesse, ce n’est pas facile à entendre certes, mais ce n’est pas un meurtre au sens dont vous en parlez !
Là, Simone se dit, tu t’avances sur un terrain difficile, mais ce garçon il faut l’arrêter et lui permettre de se reprendre.
C’est étonnant tes fils sont partis et tu n’as pas eu à gérer de problèmes aussi difficiles avec eux et le mystère de la vie te met en situation d’avoir à aider quelqu’un en grande difficulté.
Que répondre à cela, c’est vrai que Simone a raison, que l’on ne peut juger des situations des dizaines d’années plus tard quand on est plus dans le même contexte. Ce qui intrigue c’est le silence, le non dit, cette simplification qui consiste à penser que ce qui n’est pas su, n’a pas d’importance pour l’autre et ne compte que pour celui qui sait.
Alors pourquoi le raconter à des inconnus et pas à celui qui est concerné, il voudrait bien expliquer tout cela à Simone, mais les mots ne viennent plus il est cette fois complètement épuisé. Il vient de réaliser que lui-même ne peut parler de cette question avec sa mère alors qu’il vient de tout dire ou presque à cette femme qu’il connaît à peine.
Il y a des instant dans son existence où l’on sent que l’on peut parler, on ne saurait dire pourquoi, mais l’on se sait en confiance, les mots viennent tout seuls il n’y a pas de censure on ne se sent pas jugé, il y a tout de même le risque de s’installer dans une bulle de parole et de tourner en rond en parasitant son entourage…
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L’arrivée de Georges vient rompre le silence et ce climat particulier qui s’est instauré.
- Eh bien ! Vous, vous m’avez l’air de ne pas être dans votre assiette, mais je vous ai fait vivre un sacré après midi. Merci, sans votre aide nous ne nous en serions pas tirés. Si vous avez encore un peu de temps à disposer j’aurai deux ou trois choses à vous demander !
- Tu ne peux pas lui fiche la paix, il est épuisé, je ne sais même pas s’il va être capable de diner ;
- Si, si ne vous en faites pas, mais une assiette de soupe suffira, et j’irai dormir.
Ils mangèrent en silence, chacun ayant dans la tête les mots prononcés par l’autre, ce matin ils ne se connaissaient pas et ce soir leurs vies étaient intriquées, la nuit ne serait pas de trop pour mettre de l’ordre dans leurs idées. Que le sommeil veuille bien les prendre et les rêves faire le ménage, « Demain sera un autre jour… »