Nuit de pleine lune 7éme épisode

 

 

Heureusement pour elle, Marianne avait bien étudié son itinéraire, il n’était pourtant pas facile de conduire en consultant ses notes sur ses genoux, pendant que dans la tête autant de questions se bousculent.

 

Elle manqua le premier embranchement devant la ramener sur la nationale et perdit ainsi pas mal de temps, pour tout arranger elle s’était mise à pleurer, fatigue… stress… et son maquillage lui brulait les yeux.

Un extrait de cours de français lui remontait en mémoire et elle s’escrimait à rechercher le titre de l’œuvre ne se rappelant que cette phrase « qu’allait’ il faire dans cette galère ? »

 

Lors de sa rencontre avec Nicolas elle ne s’était pas posé tant de questions, en fin de soirée, il lui avait dit : -   Tu viens ? Et elle était partie avec lui, aux yeux des autres convives elle avait eu envie de jouer les femmes libérées, et puis il faut bien avouer qu’elle avait attendu toute la soirée qu’il lui fasse cette invitation.

 

Ce soir les choses ne lui paraissent plus aussi claires : Pourquoi Lui ?

Un type qui ne restait pas avec une fille, qui ne voulait pas se marier, qui ne voulait pas avoir d’enfant…Cela posait tout de même des questions, qu’est-ce que cela pouvait cacher, pourrait-elle compter sur lui ? Elle commençait à se dire qu’en définitive il n’y avait pas de hasard, que de son coté cela l’arrangeait bien aussi. Qu’attendait-elle de la vie ? Qui plus est de la vie de couple ? Elle se sentait un peu en attente dans tous les compartiments de la vie, amour, boulot, relations. Elle ne recherchait pas une aventure d’un soir, mais elle avait peur de s’engager, elle était bien installée dans sa vie et la présence d’un homme ne lui manquait pas vraiment, enfin bien installée, fallait-il encore s’entendre sur cette question.

 

Ce n’est pas la présence d’un homme qui lui posait problème, c’était la confiance en elle et sa capacité à vivre constamment avec quelqu’un !

 

Elle sentait confusément tout cela, mais à chaque fois qu’une question affleurait elle la refoulait, se disant que ce n’était là que des idées qu’elle se faisait…

 

Elle décida de se concentrer sur son itinéraire pour ne plus perdre de temps, c’est qu’elle avait de la route à faire, passer chez Nicolas récupérer ses affaires, lui laisser un mot d’explication et rentrer chez elle, elle avait choisi d’habiter cette ville qui jouxtait Paris, ce qui lui permettait de ne pas être trop loin de son travail à l’hôpital Saint Louis.

 

Elle avait été très impressionnée la première fois qu’elle était venue au loft, il faisait nuit, les lumières extérieures s’étaient allumées automatiquement et le portail et la porte du garage s’étaient ouverts à leur approche, puis la surprise, cet intérieur blanc, cet ordre parfait, les tableaux modernes non figuratifs à l’exception du nu de la chambre de Nicolas, la cuisine high-tech. Imaginez ! Non en fait vous ne pouvez pas, il faut l’avoir vu pour comprendre, on ne peut qu’être éblouie quand on vit habituellement dans un studio de trente mètres carrés donnant sur un carré d’herbe, décoré par trois peupliers ébranchés par les élagueurs.

 

Elle pensait que Georges avait un message de sa part à lui transmettre quand il avait accepté de la rencontrer, en fait non, rien du tout, elle avait bien compris que Georges avait été ému par son appel et qu’il voulait qu’elle réfléchisse et se fasse une idée par elle-même avant de prendre une décision. Il lui était apparu comme un vieux sage ne répondant que par des onomatopées, elle avait retrouvé en lui un grand père comme elle n’en avait plus depuis longtemps.

A son contact elle s’était détendue, avait repris son souffle et ses marques, la dimension dramatique de la situation avait disparu ; elle avait déroulé le fil de ses réflexions, pu approfondir ses interrogations, se rendant compte qu’il n’avait pratiquement rien dit et qu’en fait, tout lui paraissait plus clair.

 

Se retrouver dans l’appartement lui fit tout de même un choc, mais elle le regardait désormais avec des yeux décillés, ce qui lui était apparu comme une forme de luxe, lui paraissait désormais froid, manquant d’humanité, il n’y avait pas de présence.

Un espace où l’on vit ne peut être en permanence tiré au cordeau, il y faut du bruit, des objets déposés ça et là indiquant que l’on y vit, comme une pile de CD sur la chaine, de DVD devant la télévision, quelques journaux, un livre avec son marque page posé sur le sol prés du canapé, et un tube de dentifrice sans bouchon oublié sur la tablette du lavabo, voire une paire de chaussettes devant la douche.

Ici, rien de tout cela, cet appartement était une vitrine, un appartement témoin pour la démonstration, une espèce d’espace idéalisé avec des enceintes Bose qui diffusaient de la musique classique dès que vous entriez dans une pièce.

Elle se dit que si elle ouvrait un tiroir ou une armoire le spectacle serait le même, l’ordre et la froideur.

 

-   Parlez avec Nicolas ! Avait dit Georges, ne vous contentez pas des apparences, mais il vous faudra le pousser dans ses retranchements il ne lâchera pas prise facilement quant à parvenir à lui faire dire ce qu’il est réellement … si à l’arrivée ce qu’il vous aura raconté vous convient il sera toujours temps pour vous d’aviser.

Pour elle, tout cela était un peu confus, et cependant elle avait conscience que cette approche devait être la bonne.

 

Pendant leur soirée d’empoignade chez Chris et Ghislaine, elle et les autres femmes présentes savaient bien que tout ce qui était en train de se passer et de se dire était tout de même très superficiel et de peu d’importance, tenant plus du jeu de rôle que d’une réelle explication, même si cela avait été l’occasion de remettre certaines idées en place. Après une telle bagarre où les coups avaient volé bas on pouvait repartir sur des bases plus claires et non plus sur les représentations que chacun se faisait des autres ou de tel ou tel membre du groupe. Un jeu cruel en sorte, lancé par des personnes plus que légèrement imprégnées d’alcool, et qui avaient quelques comptes à régler.

Elle avait pourtant eu le sentiment et les autres femmes avec elle, que pour Nicolas la situation n’évoluait pas du tout de la même façon, il était entré à fond dans le débat s’y investissant corps et âme, il ne jouait pas pour de faux, comme disent les enfants, il y était pour de vrai, ceci expliquant peut-être la suite des évènements, cet instant où il avait dévissé…

 

Son visage avait pâli, sa bouche était restée ouverte sur une phrase inachevée, il avait regardé devant lui comme s’il s’attendait à ce que le sol s’ouvre sous ses pieds et l’engloutisse ; un mot une phrase avait fait mouche et il était tombé comme le faisan cueilli en plein vol par un coup de fusil, tout d’un coup il avait été coupé du monde. Ce qui n’est tout de même pas banal chez un homme de son âge et de sa maturité.

 

Elle chercha de quoi écrire pour lui laisser un mot avant de partir, c’était tout de même la moindre des choses avec quelqu’un dont elle venait de partager l’intimité.

 

Je ne sais comment te dire

Le vent est passé dans mes cheveux

Le soleil dans mes brumes

J’ai entendu un rire

J’ai entendu des pleurs

Etait-ce les tiens, les miens

Le soleil et la lune

Finissent par se rencontrer

C’est alors une éclipse

Mais derrière…

Saurons-nous jamais ?

Saurons nous quoi ?

Qui vivra verra

Merci pour tout     Elle

 

Elle avait signé « Elle » n’osant écrire son prénom, encore ses faux semblants, son incapacité à aller au bout des situations, enfin il faut reconnaître que c’est tout de même lui qui était parti !

 

Elle ramassa son sac, sa trousse de toilette, faillit oublier son pyjama, ce qui aurait fait désordre et alors, elle pouffa.

Elle étala quelques CD devant la chaîne, posa quelques DVD devant la télé et mit des journaux et une tasse à café vide sur une petite table à coté de son fauteuil préféré, ce n’était pas grand-chose, mais ne dit-on pas que le battement d’une aile de papillon à l’autre bout du monde…

Elle sortit en tirant doucement la porte et alla déposer la clé sous un pot de fleur posé sous un buisson près de la serre.

La route jusqu’à chez elle ne lui posait désormais pas de problème, elle la maitrisait bien, ce qui lui permit de se détendre et de mettre la radio de sa voiture à fond pour se tenir éveillée.

                               *****

 

 

   Georges sortit après le dîner, elle n’osa rien lui dire, il s’était équipé en conséquence et n’avait pas emporté la bouteille d’alcool, elle le sentait profondément troublé, comme enroulé autour des questions qui lui faisait mal, elle les connaissait bien puisqu’ils partageaient les mêmes.

Ils étaient bien ici, pas riches, mais pas malheureux pour autant, autour d’eux il y avait beaucoup d’amis, des solides pas de ceux qui passent leur temps à aller et venir, ici ils faisaient bloc, on pleurait quand il le fallait, mais on savait rire, on savait se retrouver au bon moment et une tarte ou une terrine avaient toujours un goût bien particulier, accompagnées d’une bonne bouteille.

Ici on était imprégné par la nature et par ses rythmes, et cela donnait du poids et de la véracité à leurs vies à tous, il fallait attendre que le bon moment soit venu.

 

Si Georges n’emmenait pas d’alcool pour ses sorties stellaires, il s’enivrait à regarder le ciel et les étoiles y cherchant peut-être une réponse à ses maux, il se surprenait à y guetter une étoile filante, et quand il en repérait une, à faire inlassablement le même vœu, tout en se demandant à quel moment il pourrait bien se réaliser, les années passant l’espérance dans ce symbole avait fini par s’émousser ;

Il ne bougea, pas quand Simone vient s’asseoir auprès de lui sur une chaise en plastique, elle avait pris deux plaids, elle lui étala le premier sur les jambes et s’emmitoufla dans le second ;

-         Tu penses à eux n’est-ce pas ?

Et sans attendre de réponse

-         Moi aussi !

 

C’est étonnant comme l’arrivée de ce jeune homme m’a bouleversée ajouta-t-elle, je m’étais faite à l’absence, je ne dirai pas que je l’acceptais, mais je l’avais presque acceptée et là tout m’est revenu en plein cœur, leurs rires, leurs odeurs, leurs vies qui envahissaient, leur façon de ne rien prendre au sérieux…Elle marqua un silence espérant un peu que Georges allait lui répondre, mais à cela aussi elle était habituée.

 

Elle savait que lui, il souffrait en silence, enfin presque, il lui était arrivé de l’entendre pleurer, à cette place même où ils étaient assis en ce moment, seul dans le noir avec sa bouteille et son verre… jusqu'à s’endormir dans sa vieille chaise longue, elle ne savait plus combien de fois elle était venue lui mettre une couverture sur les genoux par crainte qu’il ne prenne froid.

 

Ce soir elle l’entendait qui tirait doucement sur sa cigarette, cela le faisait tousser mais à quoi bon le lui faire remarquer, chacun cache sa misère comme il peut ;

 

-         Je te demande pardon finit-il par articuler, sans mon entêtement ils seraient encore là, enfin là certainement pas, mais nous serions encore une famille, je n’ai pas su les élever, je leur ai trop asséné le sens de mes valeurs, je pensais qu’ainsi nous éviterions les catastrophes…

 

Son ton larmoyant et ces paroles cent fois prononcées, elle ne voulait plus les entendre, c’était ce type d’attitude qui les avait amenés là où ils en étaient, aussi fut-elle tout étonnée d’entendre sa propre voix,

 

-         Cela suffit tu ne vas pas me refaire ton numéro pleurnichard, je connais tout cela par cœur, et cela ne fait jamais rien avancer. Nous sommes malheureux c’est un fait, mais tu n’es pas plus responsable que moi. Nous les avons élevés ensemble et nous n’avons pas su trouver les mots pour aider Florent à surmonter la mort de son frère, lui aussi culpabilisait cet accident, et ce n’est pas seulement nous qu’il fuyait en partant mais tout ce qu’ils avaient vécu ensemble.

 

-         OK, Cela est tout de même important d’être sobre, je reçois le message cinq sur cinq. Eh bien ! dit donc, quand tu t’y mets cela souffle, mais je crois que tu as raison, cependant ce n’est pas aussi facile à faire qu’à dire.

 

-         Ne dis pas cela, tu ne vas pas recommencer, je t’ai vu avec Nicolas, il n’est pas de notre milieu et tu as tout de suite su le prendre, lui parler, le secouer, sous tes airs de vieux ronchon tu as un cœur d’or, il faudra aussi que tu me parles de ta rencontre avec sa compagne, comment l’as-tu appelée ?

 

-         Marianne, il faut que je te raconte ce que j’ai fait avec Nicolas, je lui ai dit que la République avait appelé tu aurais vu sa tête !

 

-         Et en plus tu es même capable de faire de l’humour ! Tu n’avais pas pris ta bouteille c’est bien, cela te rend malade et ne règle rien. Viens allons dormir, si j’ai bien compris, demain vous retournez chez Michelle ?

 

*****

 

Le retour jusqu'à Clichy avait pris plus de temps que prévu, à hauteur de la Défense il lui avait fallu rouler au pas au milieu d’un concert de klaxons.

Mais elle était enfin chez elle, vite un disque, une soupe chaude un yaourt et au lit, demain matin elle aurait bien du mal à voir son écran.

 

Comment Nicolas allait réagir à son départ ?  Il devrait bien comprendre qu’elle ne pouvait rester aussi longtemps loin de chez elle… et puis il avait choisi la position du silence radio, à lui de prendre ses responsabilités, cela lui donnait un petit pincement au cœur mais ne tuait pas l’espérance.

Ma mère m’avait bien prévenu se rappela-t-elle en riant : on ne se jette pas à la tête d’un garçon, en particulier d’un garçon qui change aussi fréquemment de compagne, mais pour rien au monde cela elle ne le raconterait à personne.

 

*****

 

Nicolas pensait être prêt à s’endormir « Comme un tas de cailloux » songea t-il expression qu’il était allé chercher il ne savait où, c’est bien ce qui se produisit pendant une heure, temps fort restreint, après lequel il se retrouva pleinement éveillé la tête ronronnant comme un ordinateur emballé.

 

Il faut que demain matin je me trouve un téléphone pour appeler mon assistante, ce n’est tout de même pas le moment de perdre mon boulot, je lui demanderai qu’elle me fasse une recherche sur internet pour trouver les coordonnées de leur fils en Nouvelle Calédonie, il ne savait pas encore comment il pourrait les utiliser mais il serait intéressant de les avoir !

Il ne pouvait redemander son portable à Georges sachant bien que dès qu’il se reconnecterait au réseau ce serait infernal, c’est toute sa vie d’avant qui l’engloutirait.

Pour l’instant, il regrettait un peu de ne pas avoir le moyen de contacter Marianne, il avait envie d’entendre son rire et la tonalité de sa voix ; c’est peut-être mieux ainsi, car mon pauvre vieux vu l’heure qu’il est, tu te serais certainement fait jeter, et puis l’appeler pour lui dire quoi ?

 

Est-ce qu’en retardant sa reprise de travail et son retour au milieu de ses relations il ne jouait pas avec le feu, quelle signification pouvait prendre son absence pour ses amis et ses collègues ?

·        Ils vont croire que je commence une déprime !

·        Ou bien que j’ai pété un câble comme disent les plus jeunes !

·        Que je suis parti vivre une belle histoire d’amour avec Marianne ou toute autre créature de rêve, on ne prête qu’aux riches…

 

Il passa ainsi en revue toutes les solutions pouvant expliquer son absence, et en définitive n’en trouva aucune de satisfaisante… Enfin si une, il était bien ici, ces gens qu’il ne connaissait pas hier le rassuraient, avaient un mode de vie dans lequel il se retrouvait.

 

Il se rappelait ses années d’adolescence avec sa mère dans leur appartement près de la Bastille, cela avait été des années rudes, mais il n’avait jamais manqué de rien, dans leur immeuble classé insalubre, ils se soutenaient en partageant les bons jours et les mauvais coups, et quand il fallait repeindre une pièce dans l’un ou l’autre de leurs gourbis, il y avait toujours quatre mains pour un pinceau !

 

Je ne me suis jamais posé la question de savoir comment ma mère m’a aidé à financer mes études, certes j’avais une bourse, mais elle était loin de suffire pour faire face à toutes les charges, elle râlait bien certains jours quand les bornes des limites étaient dépassées, en particulier les soirs où, entre étudiants nous étions allés faire une fête un peu trop alcoolisée…Comme si les hommes ne savaient trouver l’apaisement que dans l’alcool, et moi qui étais odieux la plupart du temps.

Elle avait tout de même exigé que je me trouve du boulot, une sacrée aventure… faire la plonge dans des restaurants, c’était le plus classique, mais accessoiriste dans un théâtre, cela avait la classe. Il avait faillit envoyer les études par-dessus les moulins pour suivre la troupe qui partait faire une tournée en province, enfin suivre la troupe pas seulement, c’était plutôt la jeune première qui emportait ses faveurs, elle avait quelqu’un mais il semblait avoir compris qu’il avait ses chances à la façon dont elle lui demandait régulièrement de venir l’aider à s’habiller.

La colère de sa mère avait été à la hauteur de leur conflit, et dans la discussion au moment où il s’y attendait le moins il avait reçu une gifle comme il ne se rappelait pas en avoir reçu depuis son enfance.

Elle était hors d’elle, il avait senti toute la frustration qui était la sienne de ne pas avoir fait d’études et de végéter dans de petits boulots peu ou pas lucratifs.

 

-         J’ai fait la bêtise d’arrêter mes études, ne compte pas sur moi pour te laisser faire la même erreur.

 

Il s’endormit sur cette sentence qu’elle avait appliquée à la lettre jusqu'à sa réussite finale !

  La nuit fut agitée, entre deux périodes de trêve il retrouvait les phases de conflit ou les moments de dépression, il avait l’impression qu’il n’y avait jamais eu d’instant de douceur, que la tendresse était donnée chichement, et bien évidemment qu’ « Elle » ne l’aimait pas, on est victime ou on ne l’est pas...

 

*****