3 éme épisode

 

 

 

   A son retour dans la cuisine, Simone ne retrouva pas Georges, il avait disparu ayant épuisé son temps de pause, réglé comme une horloge, au bout de vingt minutes il se levait et reprenait ses activités.

 

Il était pourtant essentiel qu’elle le voie, avant que leur invité surprise ne se réveille.

C’était bien joli de recevoir ainsi les gens qui débarquent sans prévenir, mais pour elle, autant il était naturel de les accueillir, autant son système de pensée ne lui permettait pas de le faire sans un minimum d’organisation et de cohérence, ainsi, pour combien de temps ce monsieur était-il là ?

 

Elle se dirigea vers le jardin dans la direction duquel elle entendait rugir un moteur de tracteur, c’est qu’il n’avait pas perdu de temps le Georges, il avait été quérir Léon son voisin avec qui il passait la moitié de son temps. Léon avait un petit tracteur Ferguson gris, rescapé des temps du plan Marshall, un outil bien pratique avec lequel il retournait tous les jardins de ses voisins alentour.

Ils avaient tout simplement décidé de sortir la voiture de sa mauvaise posture sans attendre l’arrivée du dépanneur

Ce n’était pas une mince affaire, vu qu’ils voulaient la sortir en abimant le moins possible les planches de légumes du jardin. Léon fumait tranquillement au volant de la machine, tandis que Georges râlant et pestant à chaque salade écrasée et à chaque poireau enterré le guidait avec de grands gestes dignes d’un sémaphore, ils avançaient tranquillement à petite vitesse mais insensiblement ils se rapprochaient du bord.

 

Simone pour les attendre s’était assise sur une chaise de jardin au pied du noyer, en définitive elle commençait à trouver cette histoire assez amusante.    

 

Un inconnu qui débarque chez vous, en passant comme cela au travers de la haie, c’est tout de même une histoire originale, ne trouvez-vous pas ?

 

Enfin l’opération de remorquage étant terminée et la voiture désormais stationnée dans l’allée, ne restait que le trou béant dans la haie et deux longues rainures tracées dans la terre meuble du potager, pas de quoi fouetter un chat, les deux hommes se congratulèrent satisfaits de la réussite de leurs efforts.

Ils effectuèrent le tour de l’accidentée pour évaluer les dégâts qu’elle avait subis en énonçant divers qualificatifs flatteurs à propos de la solidité des voitures allemandes.

Cette dernière avait assez peu souffert de sa sortie de route : la barrière avait brisé les phares et enfoncé son capot lui donnant un air chafouin, les rétroviseurs pendaient lamentablement, et de longues rayures zébraient les flancs de l’avant à l’arrière, enfin il faudrait voir ce qu’allait dire le garagiste !

 

Ils abandonnèrent sur place tracteur et voiture pour aller prendre le verre du réconfort et se remettre de cette rude séance de travail.

 

*****

 

Simone dut remettre à plus tard la discussion avec son mari, elle les laissa entrer dans la cuisine, ils se débrouilleraient bien tout seuls, et elle partit entreprendre d’étendre son linge.

C’est une tâche simple, qui permet tout à la fois d’agir et de continuer à penser en se parlant à soi même.

 

-         Je regrette de ne pas avoir osé lui poser les questions qui se pressaient sur le bout de ma langue au moment du petit déjeuner à ce monsieur Nicolas, le résultat de mon excès de prudence c’est que désormais les questions ne me sortent plus de la tête.

 

-         Même accidenté et sale, pour moi ce ne peut être qu’un monsieur, il suffit de voir son costume et ses chaussures et la voiture qu’il conduisait, Georges m’a dit que tout l’intérieur est en cuir !

 

-         Il ne porte pas d’alliance, mais ca ne veut pas dire grand-chose, de nos jours, les gens vivent ensemble sans se marier, et cela ne semble pas poser de problèmes, il est peut-être « patché », comme le font les jeunes aujourd’hui.

 

-         Sauf s’il y a des enfants…Mais peut-être faudrait-il d’abord qu’il ait une femme ?

 

-         A son réveil, en sortant de la voiture, il n’a semble t-il, pas manifesté le moins du monde un désir de téléphoner… Alors qu’il aurait dû commencer par là !

 

Elle revint du jardin avec sa grande corbeille vide, Léon et Georges étaient toujours attablés, et à leurs mines réjouies, elle comprit qu’ils avaient bien arrosé le sauvetage.

Face à ce genre de situation, elle optait toujours pour le silence, ce que son homme comprenait très bien, il remercia Léon et se dépêcha de l’expédier avant que la situation ne se tende un peu plus.

 

-         Heureusement qu’il était là sans lui je ne sais pas comment j’aurais réussi à sortir cette foutue bagnole, c’est qu’elle pèse son poids. Ne fais pas cette tête, je lui devais bien ça, il me dépanne toujours au quart de tour…

 

-         D’accord, mais n’en fais pas trop, j’ai d’autres soucis, qu’allons nous faire de lui… ? dit-elle en indiquant la direction de la chambre d’un mouvement de tête.

 

-         Rien de spécial, attendons qu’il se réveille, après on improvisera.

 

-         C’est que je ne me sens pas très à l’aise, on sent bien qu’il n’est pas de notre milieu, et qu’il doit bien se demander dans quel monde il est tombé !

 

-         Je ne pense pas que ce soit sa préoccupation première, jusqu'à présent il s’est bien adapté, ce qui m’étonne encore, c’est qu’il n’ait pas cherché à contacter qui que ce soit, alors que j’ai trouvé son téléphone portable dans la voiture, c’est un comportement tout à fait étrange.

 

-         Tu penses que ce pourrait être une personne en fuite, là tu m’inquiètes ?

 

-         Pas vraiment, je n’ai rien dis de tel, un homme en fuite n’aurait pas été ivre !

 

Elle n’osa pas lui parler de la ribambelle de questions qu’elle se posait à propos de son hypothétique épouse voire de ses éventuels enfants, ni d’où il venait et de son travail…

Quand elle se retourna, Georges était déjà reparti à ses occupations.

 

 

*****

 

 

Nicolas n’avait pas dormi très longtemps, les suites de l’accident, un lieu qu’il ne connaissait pas, un lit très étroit et un peu défoncé, c’était vraiment trop de changements dans ses habitudes pour qu’il puisse se laisser aller au sommeil sereinement.

 

-         Qu’est-ce que je fabrique ici pensa-t-il dès qu’il ouvrit un œil, et maintenant qu’est-ce que je vais faire ?

 

Après un nouveau temps de demi-sommeil, il se mit à dérouler l’ensemble de ses préoccupations :

 

-         J’ai besoin d’un peu de repos, d’un temps de décompression, mais je ne peux tout de même pas m’incruster, ce ne serait pas convenable…

-         Il faut que j’appelle le cabinet pour leur dire que je prends quelques jours de repos, indiquer à mon assistante les dossiers qu’elle doit mettre en attente et ceux qu’elle doit activer, cela va mettre un sacré bazar, mais il faudra bien qu’ils fassent avec.

-         Il faut que je demande où trouver un pressing pour donner mes vêtements à nettoyer, je ne sais pas si je trouverai cela dans le coin ?

 

-         Le vrai problème c’est Marianne, je l’ai plantée là hier soir avec des gens qu’elle n’affectionne pas trop…Elle a dû rentrer à l’appartement et voyant que je n’appelais pas, elle aura fait ses valises, rien à dire, mais je ne me sens pas très glorieux…Elle a du charme et un sacré caractère…Mais tout de même quand je pense qu’elle s’est permis de me traiter de mâle adolescent, lâche et versatile, incapable de prendre ses responsabilités !

-         C’est bien la première fois qu’il y en a une qui se permet de me parler comme cela…Et toutes les déchainées qui faisaient chorus, sans compter qu’il n’y a pas eu un copain pour m’apporter son soutien. Il ne faudrait jamais se lancer dans de pareilles discussions après avoir bu et pour avoir bu, nous avions notre dose, ce n’est pourtant pas la première fois, d’habitude on se contentait de dormir dans les fauteuils, mais là on a fait très fort, il risque d’y avoir de gros dégâts collatéraux…

 

Ce devait être cette petite phrase prononcée par Marianne et appuyée par Ghislaine à propos de son immaturité et de sa lâcheté, comme chez tous les mecs avaient-elles ajouté, petits éclats jaillis au milieu de la discussion générale qui l’avaient touché de plein fouet, provoquant son trouble et par voie de conséquence avait amené son départ de la soirée.

Désormais, cette idée lui trottait dans la tête et elle allait lui dévorer tranquillement les pensées.

 

Il fallait qu’il se lève, déjà qu’il était arrivé ivre mort, enfin pas tout à fait mort, et parfumé de manière nauséabonde, il ne fallait pas ternir sa nouvelle réputation en flemmardant en pleine matinée.

Mais il avait besoin de rester ainsi, en boule sous l’édredon, même si le lit n’était pas très confortable, il y était au chaud enkysté autour de ses angoisses.

 

*****

 

-  C’est invraisemblable, j’ai appelé son portable toute la nuit sans obtenir le moindre résultat !

Marianne ne tenait plus en place !

 

-         Quand pendant la soirée je l’ai vu se lever, j’ai compris qu’il allait partir et dans son état, je savais que c’était prendre beaucoup de risques.

    

-         On est parfois faible, je n’ai pas osé le rappeler, ni me lever pour aller le rechercher et l’apaiser, après tout ce que nous nous étions dit je n’étais plus en état, et puis devant les autres j’ai eu peur de leurs réflexions, déjà qu’ils me prennent pour la dernière de passage, ce qu’ils ne se sont pas privés de me dire.  Il semble que lorsque quelqu’un s’approche de l’un des membres du groupe ils ne le supportent pas, je n’allais pas en plus leur donner le plaisir de tenir des propos salaces à mon encontre !

 

-         Mais c’est terrible d’attendre en se disant que si le téléphone sonne ce sera peut-être pour m’annoncer qu’il est mort ou qu’on l’a retrouvé grièvement blessé à la suite d’une sortie de route.

-         C’est vrai que c’est un vrai gosse, et qu’il a des comportements d’ado colérique et immature.

-         Ses amis n’ont pas été chiches pour m’expliquer que je n’étais que sa énième compagne   « Celle du moment comme ils disent ».

 

-         Je l’avais déjà aperçu à diverses reprises dans des soirées, je savais donc à quoi m’en tenir sur son compte, je ne peux pas me plaindre…Mais il sait aussi se montrer si gentil qu’à mon tour je me suis laissé embarquer. Si je suis là c’est de mon plein gré, il ne m’a jamais rien promis !

 

-         Il y a des moments où je me trouve ridicule de m’accrocher ainsi. Quand il est parti, il n’a pas eu un regard pour moi, il ne m’a pas proposé de partir avec lui, monsieur était en colère nous ne l’avions pas traité comme nous aurions du alors on claque la porte avec des airs de prince outragé. Mais c’est aussi dans ces moments là que je tiens à lui, il a son air boudeur et fait sa lippe…on voudrait lui dire : « allez viens ce n’est pas grave, fais moi un sourire »…                  Mais maintenant où est-il ?

 

-  Allo, allo…Enfin, mais où étais-tu, j’étais morte d’angoisse ?

         Dis-moi quelque chose, je n’ai pas dormi une seconde de la nuit…

 

-         Oh excusez moi monsieur je pensais que c’était Le portable de Nicolas mon ami je suis désolé, ah c’est bien le sien...

-         Nicolas est chez vous, il va bien, il dort, un petit accident de rien du tout, il a besoin de repos, je vous en supplie, vous me dites bien la vérité ?

-         Je ne dois pas m’inquiéter, il n’a pas la moindre égratignure…Seule la voiture…oui, oui…

 

-         Ah vous ne pouvez pas me le passer, c’est mieux pour l’instant…

 

-         Mais au fait vous êtes qui ? Comment ? Joseph l’homme qui l’a recueilli… Vous ne pouvez pas me raconter, ce serait trop long, oui, oui, ce n’est pas un hôpital ou une clinique ?

 

-         Bien, je me sens plus rassurée, pourrai-je vous rappeler ? Merci, je vais pouvoir aller dormir.

 

-         Dites lui que, enfin, non ne lui dites rien, je préférerais que vous ne lui disiez pas que j’ai appelé, peut-être pas tout de suite.

 

-         Merci monsieur Joseph et à bientôt…

 

Non, ne pas rappeler, pas tout de suite, ne pas pleurer, laisser ce téléphone et aller dormir, il sera toujours temps d’aviser plus tard…

Je ne lui ai même pas demandé s’il était choqué, et s’il avait parlé de moi…J’ai l’air d’une hystérique, je ferai peut-être mieux de ramasser mes affaires et de rentrer chez moi.

*****

Est-ce toujours le côté raisonnable de sa personnalité que l’on n’écoute le plus, certainement pas, sinon, il y aurait moins de larmes versées et moins de cœurs brisés.

 

Elle prit une douche brûlante avec musique et bougie parfumée, c’est vrai que Nicolas, en plus d’être parfois gentil était tout de même un homme de goût.

 

Son loft était tout à fait étonnant, avec une vue magnifique sur la forêt en face de sa terrasse, à l’intérieur tout était blanc, bien agencé et méticuleusement rangé, à la limite de la maniaquerie, c’était une ancienne usine qui lui avait servi de travaux pratiques à la fin de ses études d’architecte, lui et ses copains s’en étaient donné à cœur joie, et le résultat était à la hauteur de leurs compétences.

Elle savait tout cela car il ne pouvait s’empêcher d’en parler dès qu’il rencontrait quelqu’un.

Les pièces étaient décorées avec des toiles qu’il achetait à ses anciens condisciples des beaux arts, dont certains se révélaient avoir un véritable talent.

Elle aurait donné cher pour être le modèle du nu qui décorait sa chambre, cette toile d’une expression très moderne donnait l’impression que le corps plein de vie allait se détacher du mur et se mouvoir dans la pièce…Elle n’aurait pas osé lui demander si le modèle était l’une de ses Ex.

 

Pour l’instant elle profitait du cadre et de sa chaleur après une nuit fort difficile, peuplée de cauchemars et de frayeurs elle se sentait moulue et la chaleur de l’eau sur sa peau lui permit de se détendre. Elle s’enroula dans son peignoir de bain tout imprégné des effluves de son eau de toilette, maintenant elle avait faim, et elle se prépara un plateau appétissant garni de tartines beurrées et de ramequins de confitures qu’elle compléta avec des tranches de fruits frais et une bonne théière de Darjeeling, avec juste une petite touche de lait.

Les jambes repliées sous elle, elle se cala dans le canapé, il était difficile d’y choisir une place tant il était vaste, conçu en pétales de fleur permettant de s’installer face à la cheminée qui occupait tout un mur, ou pour se régaler de la beauté du spectacle de la forêt et des champs, ou tout simplement se poser confortablement devant son émission de télévision préférée.

 

Il y avait la place pour y installer une sacrée marmaille, mais cela aussi faisait partie des mystères de la maison !

 

*****

Depuis qu’elle avait raccroché, Joseph se posait bien des questions : avait-il le droit d’intercepter cette communication, qu’elle idée avait-il eu de garder par devers lui ce téléphone ?

Il ne s’était pas posé toutes ces questions, le téléphone était là, il l’avait ramassé, et comme Nicolas ne demandait rien, il l’avait gardé comme pour le protéger d’un maléfice. Maintenant que cette machine infernale n’arrêtait pas de sonner, il commençait à se sentir mal à l’aise.

Il n’avait jamais manipulé ce type d’appareil, et au début quand il avait voulu répondre, il avait lamentablement échoué, ce n’est que par hasard qu’il avait appuyé sur la bonne touche, au moment de l’appel de cette jeune femme. Au moins il savait maintenant que Nicolas n’était pas seul au monde, mais où allait-il en pleine nuit sur cette petite route sinueuse pour venir se planter dans son jardin, il serait tant de voir cela lorsqu’il se réveillerait.

 

Nouvel appel, il était devenu le standardiste de monsieur !

 

-         Oui !

-         Allo Nicolas, qu’est ce que tu fous, tu as un rendez-vous à onze heures

-         C’est que ce n’est pas Nicolas !

 

-         je vous prie de m’excuser, j’ai du faire une erreur de numéro d’appel.

 

-         Non, non, c’est bien son téléphone, mais il dort, il a eu une nuit difficile

 

-         Comment cela, mais qui êtes vous ?

 

-         Tout ce que je peux vous dire, c’est que physiquement il va bien, mais qu’il s’est retrouvé dans mon jardin après une petite sortie de route…

 

-         Il n’est pas blessé au moins ?

 

-         Non je vous ai dit que physiquement il va bien, mais il semble un peu épuisé, et je pense qu’un peu de repos lui est indispensable.

 

-         Ah, vous êtes médecin, excusez moi, mais si vous le dites !

 

Après une seconde de réflexion.

 

-         Médecin, non pas vraiment, mais je vais prendre soin de lui.

 

-         Transmettez-lui nos amitiés et des vœux de prompt rétablissement, il y a des urgences au bureau ce serait important qu’il passe un coup de fil à son assistante.

 

-         Pouvez-vous me dire qui vous êtes, pour que je lui fasse la commission ?

 

-         Je suis Dick le patron du cabinet d’architecte dans lequel il travaille.

 

-         Merci.

 

La situation prenait tournure, il avait une compagne, un travail, restait à comprendre pourquoi il ne réagissait pas plus que cela…

 

*****