pratique quotidienne car mon premier geste chaque matin,après avoir allumé mon ordinateur est de m’y rendre dans l’espoir d’y trouver quelque nouveau texte ou bien tout simplement – vanité d’auteur ! – de relever le nombre de visiteurs qui se seraient égarés sur les miens ou peut-être – bonheur suprême ! – y auraient laissé un commentaire. En un mot l’Écritoire a mêlé l’écriture à ma vie d’une toute autre façon que ne pouvait le faire une activité de romancier solitaire qui tricote ses petites histoires dans son coin porté par l’espoir probablement fallacieux de pouvoir un jour être publié.

 

Même si l’Écritoire est une expérience encore embryonnaire, aux résultats certainement modestes et à l’envergure confidentielle, il m’a permis de comprendre que le blog littéraire était un médiateur nouveau dans le champ de l’écriture, entièrement différent de ce qu’est le livre et que, s’il ne saurait bien évidemment le remplacer, il s’y ajoute, promis à prendre selon moi une place de plus en plus importante à l’avenir. Le « peintre du dimanche », comme on dit, c’est-à-dire celui qui sacrifie à sa passion sans pour autant avoir l’ambition de devenir un grand artiste, produit cependant un objet qui quelque soit sa qualité possède une existence concrète, un objet qu’il peut ensuite accrocher à son mur afin de l’offrir à l’admiration de sa femme et de ses enfants, lesquels à leur tout, après sa mort, le mettront au dessus de leur cheminée en souvenir de lui. En un mot le tableau porte trace. Mais le livre !… En tant qu’objet il n’est qu’un volume parmi d’autres dans les rayons d’une bibliothèque qui ne se révèle qu’à celui qui le lit et l’avenir d’une œuvre littéraire, si elle ne devient pas un « classique » sans cesse revisité, est de sombrer tôt ou tard dans un oubli définitif. Encore faut-il qu’elle ait été publiée et combien de manuscrits mort-nés dorment dans les tiroirs ! Écrire dans ces conditions c’est jouer au loto, les chances de gagner sont à peu près équivalentes à zéro. Il ne peut pas y avoir d’écrivains du dimanche comme il y a des peintres du dimanche, sauf à verser dans la folie. Le blog littéraire, en instituant un rapport direct et immédiat avec le lecteur, a cette première vertu d’ouvrir la possibilité d’écrire à toute une catégorie d’écrivains condamnés à renoncer à leur passion pour ne pas basculer dans cette folie. Constater que l’on est lu au fur et à mesure que l’on écrit, ne serait-ce que par quelques dizaines de personnes, non seulement en soutient l’effort mais modifie l’écriture elle-même en la transformant en dialogue. Certes le nombre de visites qui s’affiche en haut de l’écran n’implique pas que chacune corresponde à une lecture réelle - ne nous faisons pas trop d’illusions ! - mais on se dit qu’il doit bien y en avoir cependant quelques unes. Par une étrange loi statistique, d’ailleurs, on remarquera que pour un temps donné le nombre de visiteurs est à peu près équivalent quelque soit l’auteur des textes proposés - belle leçon de modestie ! – mais qu’importe ? l’essentiel est de savoir qu’il y en a. Quel éditeur serait capable de fournir à un auteur le relevé quotidien de ses ventes ?

 

Et puis il y a les commentaires. J’ai adoré pour ma part les polémiques parfois vives qui m’ont opposé à des lecteurs sur les sujets les plus divers, la féminisation des noms, la réforme de l’orthographe, la mort de la littérature, sans parler du débat qui a opposé Pierre Parlier à Olympia Hoffmann à propos des instances du discours et de l’écart existant entre auteur, narrateur et personnage ou les échanges de réflexions sur les « marqueurs de différenciation » à propos du début de « Peurs Communes » de Viviane Youx. On voit ici que l’œuvre est devenue l’occasion d’une réflexion théorique. Le métadiscours n’est plus postérieur à l’œuvre comme il l’était jusqu’ici dans la critique traditionnelle mais il naît en même temps qu’elle, il la génère comme elle le génère et l’accompagne.

Le blog pourrait-il donner naissance à une littérature véritablement interactive ? Je rêve d’un roman pour lequel les lecteurs, à la sortie de chaque nouvel épisode, suggèrerait des suites dont l’auteur ensuite s’inspirerait, ou bien encore infléchiraient par leurs réflexions la psychologie ou le comportement des personnages.

Bien sûr les commentaires pour l’instant sont plutôt rares et je les souhaiterais plus nombreux (cela me rappelle ma position en face des étudiants quand je les suppliais de donner leur avis sur un exposé et que tassés au fond de la classe ils demeuraient muets). Mais la position du lecteur (ou de l’étudiant) est confortable. Il ne faut pas lui en vouloir. Il n’est pas aisé de le débusquer. Ce sont de nouvelles habitudes à prendre, et peut-être aussi une nouvelle façon d’écrire (je ne serais pas étonné par exemple que certaines outrances de Pierre Parlier dans son « Roman d’un homme heureux » soit là simplement pour provoquer de telles réactions).

En résumé je suis donc persuadé que le blog littéraire représente un instrument radicalement nouveau offert aux écrivains et qu’à cet égard celui du château d’Avanton représente une tentative d’avant-garde à laquelle je serai heureux pour ma part d’avoir participé.