La voix grave des cloches appelant les fidèles aux vêpres dominicales s’est tue depuis de nombreuses minutes et, cependant, la rue et les ruelles conduisant à la petite église de St Georgio demeurent vides et silencieuses. L’habituel claquement des chaussures des femmes pressées de se rendre à l’office ne se fait pas entendre. Dans la pénombre de l’église, seules quelques vieilles, assoupies par la fatigue et la chaleur de l’été, somnolent légèrement, affaissées sur les bancs raides. Les plus gaillardes, agenouillées, leur visage tanné enfoui au creux de leurs mains ou, leurs doigts noueux égrenant un antique chapelet de buis, psalmodient leurs Ave Maria. Du portail, grand ouvert, ne parvient que le bruit des feuilles desséchées balayées par le vent brûlant et le chant strident des cigales.

Le curé, prosterné devant l’autel, ne parvient plus à maîtriser son impatience. Après une hâtive génuflexion, il sort, entouré de ses deux enfants de chœur décontenancés, sous le porche surchauffé.

La petite ville semble toujours totalement désertée. Déconcerté, il se résigne enfin à célébrer l’office face aux quelques bigotes en quête d’indulgences.

C’est alors, qu’une étrange rumeur, enflant d’instant en instant, parvient à ses oreilles. Un chœur de voix féminines semble monter à l’assaut de l’église. Bientôt, des dizaines de talons martèlent en cadence les pavés puis les marches conduisant au sanctuaire.

Pétrifié, le curé regarde s’avancer une vingtaine de jeunes paroissiennes brandissant un étendard flamboyant sur lequel se détache,  en énormes lettres dorées, le mot d’ordre :

SOLIDARITE

TOUTES EN JUPETTES !

Le groupe avance, sans hésiter, avant de s’arrêter, dans le transept, face au prêtre.

Médusé, il contemple ses jeunes brebis jusqu’alors si dociles transformées brutalement en d’arrogantes suffragettes. Elles sont là, devant lui, leur regard fier ne quittant pas ses yeux exorbités, têtes nues presque rasées, maquillées telles des catins, revêtues de tee shirts éclatants, courts et moulants, au décolleté provocant, de mini mini jupes laissant entrevoir ce que nul ne devrait voir hors de la chambre conjugale.

Un silence écrasant, à présent, règne sous les voûtes. Les vieilles sorties de leur léthargie, bouche bée, retiennent leur souffle. Ce long moment de stupeur passé, le prêtre sent monter en lui une irrépressible colère. D’un geste impérieux de la main souligné par l’envolée de la manche de son surplis, il leur fait signe de s’asseoir. Les femmes le toisent, impassibles et demeurent immobiles. Furibond, il monte alors en chaire et, prenant Dieu le Père à témoin de ce blasphème, pointe un doigt vengeur vers le Christ en croix, laissant éclater toute son indignation et sa rage en un sermon d’une rare violence.

Enfin, épuisé, hors de souffle, il termine sa harangue par un ordre ultime : « toutes en confession ! »

 

Pour toute réponse, l’étendard se retourne laissant à lire au prêtre son second slogan :

TOUTES SOLIDAIRES

POUR LA CONTRACEPTION

Puis, en un bel ensemble, les jeunes femmes font volte face et, le visage grave,  d’un pas décidé, quittent le sanctuaire, traversent en silence, maintenant, la place surchauffée avant de disparaître dans le dédale des ruelles.

Hébété, titubant, le curé descend les marches de la chaire et, comme frappé par la foudre, s’effondre devant l’autel.

Dans les travées, les vieilles femmes, tout à la fois effrayées et surexcitées, entament une sorte de danse presque statique : deux pas en avant, deux pas en arrière, deux pas en avant, deux pas en arrière, ne sachant s’il faut tenter de réconforter leur curé toujours prostré ou se retirer discrètement afin d’éviter d’essuyer son inévitable et terrible colère. Après quelques timides conciliabules, elles s’agenouillent, dans un bel ensemble, afin d’invoquer, à travers leurs prières, l’aide du Sauveur infiniment plus à même qu’elles de venir en aide à leur pasteur.

La fraîcheur de la pierre pénètre le corps du prêtre étendu au travers de sa soutane trempée de sueur.

Petit à petit, ses muscles tétanisés parviennent à se détendre et sa respiration se fait plus aisée. Dans sa position de totale soumission, il se souvient de sa prise de soutane, quelques décennies auparavant et de l’engagement solennel qu’il avait pris alors auprès du Christ. Il réalise à présent l’étendue de son échec : « Comment ai-je pu, Seigneur conduire ton troupeau de brebis sur le chemin de la perdition ?

Pardonne à ces femmes solidairement perdues dans le péché et fais leur  la grâce de retrouver leur dignité, le sens de leur devoir d’épouse et de mère à l’image de la bienheureuse Vierge Marie. Pardonne à ton humble serviteur son manque de rigueur et aide-le à trouver la force nécessaire pour ramener ces âmes égarées au sein de ton église. »

Rasséréné par ce mea culpa silencieux, le curé se relève comme habité par une énergie nouvelle, fait une génuflexion rapide avant de se tourner vers le groupe des bigotes et de les congédier d’un ordre énergique ne souffrant aucun commentaire : Rentrez chez vous en paix avec le Seigneur ! »

Avanton'écritoire, l'Atelier aux histoires 2010-2011, thème d'année "Solidarité" dix mots qui nous relient... Séance du 15 septembre : Comment démarrer ?