Avertissement au lecteur: Ce témoignage sur ma vie a été écrit sans préoccupation de forme dans le cadre d'un travail sur soi.

                                              

 Allez, il faut que je m'y mette, il faut que je mette des mots sur ce qui est ma vie. J'ai toujours rêvé d'écrire et je suis sûr que ma vie pourrait être un roman. Alors, pourquoi est ce si dur de sortir des mots de cette boue. Ai-je si envie de m'incarner, d'aller contre ce destin de " juif errant " comme m'appelait ma mère.

Marie, la mère de David disait aussi de lui : " Tu es né sous une mauvaise étoile " , " Quand un enfant nait, il chasse une autre personne ". David, lui , en a chassé 5. Tous ses grands parents et son père, tous décédés dans les années qui entourent sa naissance. David arrive au milieu de la mort, au milieu du drame et sa venue est une " tuile " de plus.

David nait donc le 8 juillet 1949. Son grand père maternel est mort en 1947, sa grand-mère maternelle meurt au printemps 1949. Son père, Marcel, est atteint d'une leucémie. Paysan, il exploite une petite ferme dans la Creuse et il n'est pas assuré social. Fin 1949, sa maladie entre dans sa phase terminale et il doit être hospitalisé à Guéret, distant de 40 km. 3 fois par semaine, Marie part le matin à Guéret pour donner son sang à Marcel pour qu'il survive encore quelque temps. Elle laisse David et Paulette, sa sœur de 2 ans, sous la surveillance d'Odette , leur sœur de 10 ans. Parfois, c'est une tante qui vient s'occuper de lui. De très longues journées à attendre pour un bébé, à appeler des soins, une présence qui ne viennent pas. Quand Marie revient le soir, fatiguée et desespérée, elle donne machinalement la têtée à David avant d'aller dormir. David n'aime pas ce lait donné sans amour et appauvri par l'angoisse. David tombe malade. Son corps, plus particulièrement son visage et sa tête se couvre d'un eczéma qui l'irrite sans cesse. Avec ses mains, avec ses ongles, David se laboure le visage qui devient une immense plaie. Pour le protéger contre lui-même, Marie lui enroule des cartons autour des bras. Alors, il se gratte en se frottant contre les meubles, contre les murs, le sol… Cela dure 1 ans et demi. Les médecins ne savent pas quoi faire. Un jour, des gitans indiquent un guérisseur à Marie. " Son eczema va guérir, lui dit elle, mais il aura de l'asthme ". Son eczéma disparait effectivement. A 3 ans, un après midi, - et c'est là son 1er souvenir ",  il ouvre les yeux sur le monde et entend quelqu'un dire près de lui : " Tiens, on dirait que David a décidé de vivre. "

Pendant son eczéma, Marcel est mort début 1950 ainsi que ses grands parents paternels en 1951 et 1952.

David a donc décidé de vivre,  ou plutôt de survivre. C'est un enfant secret , maladif. Il a effectivement de l'asthme… souvent… Les médicaments existants ne font de l'effet que 2 à 3 heures après leur prise. Alors il étouffe. Il ne sait pas qu'il a besoin de calins. Alors il n'en demande pas. Alors Marie ne lui en donne pas. D'ailleurs, elle  n'a pas le temps d'être attentive, d'être câline, choquée par tant de malheurs, tellement occupée par les travaux de la ferme avec guère d'autre objectif que celui de mettre quelque chose dans l'assiette de ses 4 enfants.

En plus, Marie ne sait pas être câline. Elle n'a probablement jamais su l'être. Elle entretient le drame sans jamais en parler. Elle s'identifie au veuvage d'un homme dont David ignorera tout.  Le deuil ne peut pas se faire, la vie ne peut pas reprendre.

David vit dans son monde, se tait, se cache, il n'exprime pas ses émotions, ses désirs, persuadé qu'ils ne  seront pas entendus. Sa sœur Paulette, son ainée de 2 ans, se réfugie aussi dans son monde. Ils ne joueront presque jamais ensemble. Sa sœur Odette, est abusée  à 14 ans et demi. Une petite fille, Nicole, nait . Le père bien sur se dérobe. Encore une bouche de plus  à nourrir . Georges, le grand frère de 13 ans son aîne, se sentant investi du rôle de père, fuit et part travailler à la SNCF à Lyon. On ne le reverra presque plus. Marie tente de colmater les brèches au coup par coup. La famille survit en rognant peu a peu le maigre patrimoine. Elle tente de conjurer les mauvais sorts en se confiant de plus en plus souvent à des sorciers, des guérisseurs, à coup sûr pas tous très blancs. Cela inquiète beaucoup David qui sait que des forces invisibles et maléfiques rôdent … 

A 6 ans, David entre à l'école. D'emblée c'est un élève surdoué. Il comprend tout très vite, sans effort. Il suffit qu'il lise une fois ses leçons pour les savoir par cœur. Il est 1er partout sauf en gymnastique évidemment. IL sait aussi au fond de lui qu'il faut qu'il parte le plus vite possible, le plus loin possible de cet endroit, de la Creuse ou  tout  respire la mort.

Sur l'insistance de son instituteur, on l'envoie au CEG en 6ème. C'est le 1er enfant de son village à partir au collège. Au collège, il est encore 1er partout et toujours avec autant de facilité.

Vers 13 ans, David se retrouve dans le lit de sa mère. Tous les soirs, pétrifié, il la regarde se déshabiller, se glisser dans les draps, mettre les jambes de David entre ses jambes et lui dire bonne nuit avant de s'endormir. David se sent prisonnier. Il tombe  malade et manque l'école pendant 1 mois. Sa mère a enfin la bonne idée de l'enlever de son lit.

A la fin de la 3ème,  il est reçu au concours de l'Ecole Normale, seul moyen pour lui de poursuivre ses études . Il sera donc Instituteur, l'Himalaya de tout petit fils de paysan creusois. Il adore l'Ecole Normale.  Il est interne et ne revient a la maison que pour les vacances.

C'est l'adolescence, 1ers émois. David ne peut aborder les filles qui l'émeuvent. Pire il les repousse parfois violemment si elles se rapprochent. Il se crispe, ne peut plus parler.

David  passe son bac pendant les événements de Mai 68. Il le réussit  et comme il est toujours dans  les tous meilleurs, il fait partie des rares élèves à pouvoir poursuivre des études supérieures à la Fac de Poitiers pour être professeur. Cerise sur le gâteau, il recevra un salaire pendant toute sa scolarité. Avec son 1er salaire, il achète une cuisinière pour sa mère car la sienne a rendu l'âme et qu'elle n'a pas les moyens de la remplacer.

David arrive donc à la fac de Poitiers à l'automne 68. Le campus est en pleine effervescence et les Assemblées Générales, les réunions se succèdent quotidiennement. On y refait le monde avec tant de joie, de vie, de liberté. Instantanément, David adhère à ce mouvement, il a tant de frustrations et a vécu tant d'injustices .  Il est grisé, euphorique. Rapidement, il s'engage, milite, prend la parole. Sa capacité à sentir et à anticiper les mouvements sociaux, son impertinence et un certain don d'orateur vont en faire rapidement un leader gauchiste. Mais, en ce temps là, la répression s'abattait sur les étudiants subversifs. Il va " rater " ses examens. Fini le salaire. Fini le salaire, fini le professorat. Sur le coup, il s'en moque. Il est trop occupé à refaire le monde, Il est persuadé qu'il ne sera plus jamais comme avant. Il vit un temps en communauté. Formidable foisonnement social et culturel. Il expérimente aussi les drogues, douces et dures. Le mouvement  se délite peu à peu, s'essouffle et s'enfonce peu à peu dans la marginalité, certains dans la toxicomanie et la délinquance, d'autres  dans des luttes plus radicales, voire le terrorisme.

31 décembre 1973 : David et 2 de ses plus proches amis, Jacques un toxico et Fred un déserteur, veulent faire la fête. Comme souvent, Jacques a besoin de shoot. Ils partent et cassent une pharmacie devant un témoin médusé. Un instinct sauve David, il n'entre pas dans la pharmacie et rentre. A leur retour, Jacques se fait un shoot. Il est en overdose, son visage se boursouffle, il étouffe mais refuse que david appelle l'hôpital. David vit un des dilemmes les plus terribles de sa vie. Risquer que Jacques meure devant lui ou appeler l'hôpital et prison pour tout le monde. Finalement, Jacques s'en remettra mais n'échappera pas à la prison pas plus que Fred.

La plupart de ses compagnons soixante huitards sont repris en main par leur famille. David a manque de gardes fous . Il ne se reconnait plus dans ce mouvement et il se retrouve seul, fiché par la police, Il se sent lâché, trahi. Et puis, il est profondément  malheureux. Il n'arrive pas à entrer dans une relation amoureuse. Et pourtant, les plus belles filles du campus ont tourné et tournent même encore autour de lui, ce leader gauchiste téméraire, impertinent, drôle, intelligent, sensible.  Plusieurs vont même lui déclarer leur amour, le mettre dans leur lit. Mais il ne peut pas. Il les repousse et s'enfuit. Il a honte de ses désirs, de sa sexualité.

Sans lien avec sa mère, il ne peut établir un lien amoureux. Sans image paternelle, il ne sait comment être un homme. Sans image de couple, il idéalise la relation et se sent en échec et impuissant. Et pourtant, il ne pense qu'a ça : partager l'amour, vivre le plaisir.

1974 : Il sombre dans la dépression . Il passe 4 mois à la Clinique Anti Psychiatrique de la Borde.  Il a besoin d'un cadre, de limites, de dialoguer, autant de choses que les thérapies  lacaniennes qui dominent à la Borde ne peuvent lui apporter. 1er echec d'une thérapie. Suit une année d'errance et de solitude. Sa mère avait raison, c'est un juif errant. Elle souhaite l'aider et l'envoie chez un magnétiseur du Bas Berry. En fait ce guérisseur s'avère être un pervers qui  se livre à des attouchements, lui suggére la pedophilie et la zoophilie et qui tente de l'entrainer dans des messes noires. Merci maman.

Il va falloir qu'il trouve sa place dans la société. Il rêve de cinéma et de journalisme mais n'a pas les moyens de se payer une formation. Alors, va pour le social. Il se réinsérera  en faisant une formation d'Educateur Spécialisé

Un jour, à la radio, Jacques CHANCEL  s'entretient avec  Serge Alalouf, présenté comme le magnétiseur du siècle. David veut le rencontrer. Le lendemain, il voit son livre dans une librairie. Il lui écrit  en lui envoyant sa photo et demande un rendez vous. Mais Serge Alalouf ne lui propose pas de rendez vous, il renvoie chaque fois cette photo que David porte sur lui jour et nuit pendant plus de 3 ans. Serge Alalouf finit par accepter de le recevoir en lui disant qu'il ne sait pas si c'est une bonne chose pour lui. David comprend pourquoi en se rendant au rendez vous, une angoisse immense l'étreint alors à l'idée de le rencontrer. C'est une consultation en groupe, Serge ALALOUF reçoit une cinquantaine de personnes en même temps et s'arrête seulement quelques instants sur chaque personne pour imposer ses mains. Mais c'est un être de lumière très puissant et David est réceptif. Pour la 1ere fois de sa vie, il reconnait et accepte les limites qu'un homme lui pose et c'est à sa mort accidentelle, qu'il apprend par la presse qu'il comprend à quel point cet être lui était important et qu'Il se sentait protégé par lui.    

1979 : Il est Educateur Spécialisé diplômé. Après une dispute  avec sa mère sur un fait anodin, il rompt avec sa famille. Pendant 5 ans, il coupe tout contact. Sa mère finit par le retrouver. Grosse angoisse et aussi petit soulagement car il sent que bientôt cette rupture sera définitive. Il angoisse beaucoup a l'idée de devoir fournir des explications et en même temps il espère très fort qu'une communication va enfin s'installer. Mais non, pas un mot, aucune question, ni même une allusion, la vie reprend. Il ne s'est rien passé. Il n'aborde pas lui non plus le sujet.

1980 : il traverse le Sahara en voiture. Moment magique.

1979 : David découvre un lieu de vacances expérimental :   l'Espace du Possible. Ce lieu est créé depuis peu dans la mouvance du mouvement de la psychologie humaniste. On peut venir s'initier à tout ce que la planète connait dans les nouvelles thérapies émotionnelles, techniques de bien être, approches nouvelles de la spiritualité…  C'est aussi un laboratoire auto géré de créativité, d'expériences sexuelles , … David y retrouve le foisonnement de Mai 68 et il adhère complètement. Il commence a faire du travail personnel et à reconstruire son histoire. Cependant, les ateliers sont la plupart du temps animés par des personnes non professionnelles et qui s'essaient à la thérapie,  à l'animation de groupe ou à une technique qu'ils ne maîtrisent pas forcément…  Et puis cet espace de liberté le confronte à ses difficultés avec les femmes, avec la sexualité plus particulièrement. D'autant que les femmes qui sont là sont proches des idées  féministes et  souvent en guerre avec l'homme. Elle viennent ici pour expérimenter le plaisir et le revendiquent très fort. Malheur à l'homme fragile, qui n'assure pas. La sensibilité de David, son humour, son intelligence, sa qualité d'écoute plaisent aux femmes mais la plupart du temps, il se retrouve dans le rôle du confident, parfois de la serpillère. Et puis, il n'ose toujours pas aborder  celles qui lui plaisent vraiment. Chaque été il est amoureux d'une femme,  qui ne s'en doutera jamais car la plupart du temps David n'a pas pu l'approcher à moins de 20 m. Il fait néanmoins quelques rencontres, des " histoires "  brèves.

Sa sexualité est vraiment particulièrement problématique. D'abord c'est une angoisse extrêmement importante et il a des éjaculations extrêmement rapides qui bien sûr frustrent beaucoup des femmes  en quête justement d'épanouissement sexuel. Il lui faudrait du temps, ne pas avoir de pression. Dans les groupes de thérapies, il ne se sent pas écouté, le plus souvent rejeté et ne trouve qu'un peu de réconfort et d'écoute que de la part de quelques hommes. Son histoire fait fuir, sa souffrance semble  trop lourde pour les autres…  E t pourtant, il aurait juste besoin d'une petite attention, d'une marque de reconnaissance …

Et pourtant David s'accroche à l'Espace. D'ailleurs il y vit  aussi des moments magiques. Un jour que son moral est plus bas que terre, il va  cacher son mal être dans un petit taillis sauvage à l'ecart de l'Espace. Un oiseau se pose peu après à moins de 2 m de lui sur une branche. Ils se regardent longuement. David a  envie de le prendre dans sa main. Il avance jusqu'à lui, millimètre après millimètre en étant attentif à ne pas l'effrayer, jusqu'à l'entourer de sa main. Il veut alors le prendre mais l'oiseau s'envole quand ses pattes ne touchent plus la branche. Tant pis, c'était un bien beau moment. Mais l'oiseau revient et se pose sur le sol à quelques mètres de David. Alors david retourne vers lui aussi doucement que possible. Il laisse l'oiseau grimper sur sa main, sur son bras, puis  sur son autre main, son autre bras, sur son épaule. Il veut alors aller lui chercher des graines. Il le laisse pensant qu'il serait effrayé par l'animation de l'Espace. Il revient 10 bonnes minutes plus tard, sûr que l'oiseau a disparu. Non il est toujours là à l'attendre, Il le fait manger dans sa main, dans sa bouche, puis l'emmène dans l'Espace. David passe 4 heures avec son ami, qu'il quitte, le cœur émerveillé.

En 1983, il rencontre Nicole par annonce, 1ère relation amoureuse qui ne durera guère plus de 2 mois. Puis Anita. Ils sont amoureux au début. Il font un voyage au Burkina Faso et decouvrent le Sahel en pleine sècheresse. Ils combleront  ensemble un peu de leur vide affectif pendant environ 2 ans, sans épanouissement sexuel. 

Au niveau professionnel, David  s'installe à Paris en 1980. Il a quelques amis qui comme lui rêvent de faire du cinéma. Il fait bien quelques cachets dans ce milieu, mais il faut bien vivre. L'ANPE l'envoie pour un poste d'Educateur dans un Centre d'Aide par le Travail pour des Personnes Handicapées mentales. Le Directeur de l'établissement lui fait visiter les Ateliers. Non, il ne pourra jamais s'occuper de ces personnes bruyantes, repoussantes, collantes, dont il ne comprend pas le discours et qui  parfois semblent même agressives… Lors de l'entretien qui suit, il parle de ses rêves de cinéma et se montre le moins enthousiaste possible, espérant qu'il prendra un des 2 autres candidats au poste. Non , c'est lui que le Directeur veut . Il ne peut refuser le poste. Le déclic se passe rapidement avec ces âmes errantes. Il se sent en fraternité avec eux.  Il voit en eux leur humanité.  Leurs failles et leur désordre ne lui font pas peur. Le Directeur l'incite à faire du cinéma avec eux et met à sa disposition des moyens exceptionnels pour ce type d'établissement. David va donc commencer par une petite pièce de théâtre puis par un film en vidéo avec scénario et montage. Magnifiques expérience pour eux et pour lui.

Au bout d'un an, il décide néanmoins de partir. Mitterand a été élu et il veut profiter des subventions  accordées aux porteurs de projets. Il lui faut pour cela être au chômage. Son directeur accepte de le licencier. Il crée donc une association et obtient quelques subventions – assez maigres finalement - pour acheter du matériel vidéo semi professionnel .   Pendant quelques années, il va donc alterner la réalisation de documentaires à caractère social (  la plupart du temps des films de commande ) et des activités  pour des CAT. Il faut bien vivre…  et son contact avec les TH est de plus en plus constructeur. Les TH sont vraiment demandeurs de ce qu'il propose et de plus en plus d' établissements vont bientôt être sensibles à son type de travail. Ce qui est nouveau, c'est que David croit dans les possibilités des TH. Il a compris que le H est souvent la cristallisation des problématiques des plusieurs générations d'une même famille et que donc la famille n'a pas intérêt à ce qu'il s'épanouisse sinon le non dit pourrait surgir et mettre en danger la famille entière. Et les politiques éducatives sont élaborées et mises en place par les associations de parents des personnes handicapées. Elles ne visent donc pas l'épanouissement de la personne mais plutôt l'aménagement de la prison dans laquelle on les a enfermés depuis toujours. Heureusement dans les institutions , certains professionnels sont conscients de ce problème.

David  leur offre  des espaces ou il leur est permis de s'exprimer, mais aussi un regard qui fait appel à leurs possibilités et non à leur handicap, un regard qui ne juge pas, qui accueille, prend en compte, une relation d'humain à humain.  Alors, le TH se détend, commence à s'exprimer, donne le meilleur de lui-même et commence à intégrer les formations offertes.  De plus en plus d'etablissements demandent ses services pour des actions de plus en plus élaborées. Il a alors l'idée de proposer des actions d'insertions professionnelles dans des entreprises. On est en 1987 et une loi vient d'être votée qui oblige les entreprises à avoir 6% de TH dans leur personnel. Vœu pieux qui ne concernera exclusivement les TH physiques et dont les TH mentaux seront exclus. Un responsable de L'AGEFIPH, l'organisme collecteur et redeistributeur dit à David d'ailleurs qu'il ne croît pas à la réinsertion des TH en entreprise. David lui y croit et pense que le TH mental peut trouver sa place dans une entreprise à la façon de l'idiot du village, il n'y a pas si longtemps.

1991 – 1994 : Il  invente un concept de formation : les chantiers formation. Par exemple, pour une formation de Peintre en Batiment, il propose de rénover des bureaux et des locaux du CNRS et du CNAM. Pendant 6 mois, des Th vont côtoyer des chercheurs, souvent travailler dans leurs bureaux. Une relation, des liens d'un type nouveau vont naître. Ces exclus vont se sentir utiles (   pour des grosses têtes qui plus est ), ils vont prendre confiance en eux, changer leurs regards sur eux-mêmes, un désir de changement va naître chez eux … Quelque chose se passe de l'ordre de la résilience. Les chercheurs aussi vont changer leur regard sur ce public auparavant si plein d'a priori. Ces formations sont un magnifique tremplin pour une insertion en entreprise et environ 60% trouveront une place dans une entreprise. L'AGEFIPH ne comprend rien . Il contrôle et incrédule ne peut que constater la réussite.

Ces actions sont aussi une expérience particulièrement enrichissante  pour David. D'abord parce qu'elles lui rapportent bcp d'argent et lui procure une vraie notoriété dans le secteur du Handicap. Mais surtout c'est un moment magnifique de dépassement de lui-même. Il doit assurer l'administratif, gérer une équipe, des partenaires, trouver des entreprises, accompagner chacun des stagiaires, faire face à de multiples … Il travaille 60 h 70h par semaine pendant près d'un an. Et chaque debut de semaine quand il fait la liste de tout ce qu'il a à faire, il se dit qu'il ne pourra jamais y arriver. Et pourtant il trouve des solutions, toujours, parfois bcp plus simplement qu'il aurait jamais imaginé. Expérience grisante qui rejaillira dans sa vie.

Marie, la maman de David, meurt  en novembre 1992. Les dernières années de sa vie, David essaie de pardonner, d'établir un lien plus serein. Sans beaucoup de succès. Marie continue de vivre dans le drame, la morbidité. Avec sa toute petite retraite, elle achète (  et doit même emprunter ) un caveau de 9 places pour nous réunir tous un jour, dans la mort, papa, elle et toute sa descendance. Un jour aussi, Marie montre à David 3 ou 4 photos de son père qu'elle gardait précieusement pour elle, de peur qu'on ne les lui vole. David découvre que son père avait une moto, était plutôt bel homme. Une terrible colère monte en David qu'il réprime silencieusement. Il avait besoin de voir ces photos pour se construire.

Les derniers mois de la vie de Marie, David prend conscience du curieux lien qui l'unit a elle. Une communication inconsciente existe entre eux.  Quant elle va bien, David va mal, quand son état empire, il se sent plus léger et vivant. Comme si c'était elle ou lui. Quelques jours avant son décès, David lui prend  la main pour lui dire qu'il l'aime, mais il la relâche aussitôt. Marie décède le jour même du début  de l'action de formation qui l'occupera tant. Plus ou moins consciemment, il vit ce décès comme une délivrance. Il prend néanmoins 2 photos d'elle mais finalement il va les jeter. Il ne veut rien conserver d'elle.

1994 : Il doit faire un choix au niveau professionnel. Il pourrait continuer  dans la formation et la réinsertion des TH mais alors il devra  agrandir sa structure, embaucher  plusieurs personnes à temps plein etc…  etc… Il n'en a pas envie et tout en continuant des actions ponctuelles auprès de personnes handicapées et des  interventions en tant que formateur dans une école d'Educateurs Spécialisés, il crée une maison de production de films. Il réalise une dizaine de films pédagogiques sur des techniques de bien être ( massages, kinésiologie etc …. ) . Mais leur commercialisation dans les librairies ne sera pas aussi facile et lucrative qu'espéré…  Il réalise  aussi quelques films de communication d'entreprise … Mais à l'abri du besoin financier, il s'endort  un peu et ses ambitions de cinéma et de journalisme s'étiolent quelque peu.

La vie amoureuse de David est un peu plus satisfaisante sans être pleine. Il suit aussi quelques thérapies de groupe ( tantra par exemple ) qui lui permettent de se détricoter son histoire.      Il continue d'aller à l'Espace du possible chaque été, plus pour retrouver des amis et s'en faire de nouveaux que par adhésion au projet qui s'éloigne de plus en plus de ses aspirations.

1996 : Il rencontre Christiane. Elle est enceinte dès  leur 1er rapport sexuel. David  est un peu amoureux, Christiane sans doute moins. Au résultat du test, David sent une grande joie l'envahir, mais Christiane est terrorisée. A 38 ans, elle ne se sent pas prête. David comprend d'emblée que ce n'est pas négociable. Quelque chose se  casse dans leur relation qui ne survivra pas très longtemps.

1997 : Il fait le Forum . Le Forum est un programme de 3 jours, sorte de coaching de groupe particulièrement puissant ou il apprend entre autre qu'il est responsable de ce qui lui arrive et qu'il faut mettre le passé dans le passé. Il y apprend aussi à JETER SA CASQUETTE PAR-DESSUS LE MUR et ensuite à trouver la solution pour aller la chercher. Ca marche très fort pour David. Peu de temps après, il rencontre Catherine. Dès qu'il la voit, il se dit " Celle-ci, je la veux ". Elle est belle, beaucoup plus jeune que lui, elle l'emeut si fort. Pour la 1ère fois de sa vie, il va se donner les moyens de la conquérir. Elle est séduite et ils passent un mois de vacances merveilleux. Au retour, il s'installe chez elle.  Quelques jours plus tard, arrive sa fille de 10 ans, qui était en vacances avec son père . Emilie vit seule avec sa maman depuis plusieurs années et n'a pas fait le deuil de la séparation de ses parents. Elle idéalise aussi papa qu'elle ne voit que quelques  Week End et pour les vacances . Il a le beau rôle. Emilie est aussi une vraie petite peste, enfant gâté par toute la famille. Elle rejette violemment David et lui en fait part chaque fois que c'est possible. Il faudra bien 6 mois pour qu'il soit enfin accepté, d'autant que son papa a commencé une nouvelle relation amoureuse. Tout serait donc parfait mais Catherine s'avère être dans le quotidien particulièrement maniaque et même carrément despotique, héritage de sa propre mère. David se défend mais il étouffe quand même beaucoup. L'amour s'étiole peu à peu et ils se séparent l'été suivant.

1999 : Il rencontre Maguy. David n'a pas fini le deuil d'un merveilleux amour qui n'a existé que dans sa tête. Mais Maguy  est amoureuse de lui et ils ont une telle complicité. Elle a 2 garçons qui l'adoptent de suite et elle vit dans le jura dans un chalet en bois. Ils se voient très souvent sans toutefois partager le même toit. Un seul hic mais de taille : aucune entente au niveau sexuel. En plus elle est très absorbee par une formation qu'elle suit à Lyon. Ils passent néanmoins un 2ème été ensemble. En septembre, elle le quitte pour un autre et lui dit par téléphone. Il n'a pas su décripter des signaux ou n'a pas voulu les voir, il n'a pas su engager le dialogue .

2000 - 2004 : Il pratique la bio dansa, les massages, le tantra…. Il participe puis organise des Week End et des groupes de développement personnel auto gérés. Il souhaite aussi créer un lieu de vie, qui s'appuierait sur des valeurs de partage. Cela sera une grande désillusion. Il s'éloigne aussi de l'Espace du Possible .  Le developpement personnel tourne au Nombrilisme. Il ne comprend pas non plus pourtant sa vie bouge pas pas plus que sa sexualite. Il n'arrive toujours pas à nouer une relation amoureuse. Il connait son histoire par cœur et pourtant rien n'y change et il se heurte toujours aux mêmes problématiques. Il n'y croit plus beaucoup et commence à croire ce que lui a dit un jour une voyante " Tu es venu sur terre pour eprouver la frustration d'amour " lui avait elle dit. Il pouvait être fier : on ne pouvait mieux reussir un tel karma.

Il pense qu'il faut aller revivre sa toute petite enfance,  sans doute le nœud de son mal être.

2004 : L'occasion se présente avec la prise d'IBOGA. C'est une plante sacrée africaine . David est prêt. Dès la 1ère cueillérée, il sent la plante s'infiltrer dans toutes les cellules de son corps. Les visions arrivent très vite belles, colorées, fulgurantes. La plante met en scène ses problématiques et donne les scenarios pour les dépasser. Il va visiter son passé. Il se revoit bébé, voit sa mère arriver, lui donner machinalement des soins et la têtée puis s'effondrer de lassitude et de desespoir. Il comprend instantanément qu'il n'est pas responsable du  malheur de sa mère  et il est alors libéré d'un immense poids et culpabilité, libéré de la croyance qu'il a depuis toujours de ne pas être capable de rendre une femme heureuse. Le pardon peut se faire. Toute la nuit et la nuit suivante, il va beaucoup vomir et avoir encore et encore des visions. Il se trouve beau et s'aime .  Dans le train qui le ramène de l'Ardèche à Paris, il  passe une grande partie du voyage à pleurer, mais des larmes qui l'apaisent et qui réparent, qui libèrent. La plante l'a rempli, et aussi a mis un axe. Il est debout, éveillé. Seul petit hic, l'animateur, un jeune gabonais , ne propose pas de suivi. Il aurait besoin d'en parler pour ancrer tous ces merveilleux  acquis. Il devra se débrouiller seul. Il fait un 2ème voyage un mois plus tard, moins puissant toutefois. En regardant Emilie danser, il pense à son père dont il sait si peu et lui dit : " je suis sûr que tu aurais aime être ici ". Au même moment, il sent une main dans ses cheveux. Il est là et restera une bonne partie de la nuit.

Après cette expérience, beaucoup de choses se changent dans son comportement. Il ne supporte plus  les idées majoritairement présentes dans le microcosme de l'Espace, du développement personnel: le nombrilisme d'abord et l'égoîsme qui va avec, la culture du droit au dépend de celle du devoir, la culture de l'instant au détriment de l'engagement et de la responsabilité. La démagogie aussi des bons sentiments, les valeurs féminines idéalisées et les masculines diabolisées. Et bien sûr la diabolisation du pouvoir et de l'argent. Pour lui, chacun est responsable et surtout il veut aussi que les idées s'incarnent dans des actes. Il a aussi besoin de se rendre utile et n'imagine pas qu'une vie épanouie soit seulement centrée sur le développement de sa petite personne. Depuis de nombreuses années, il souhaite ouvrir un lieu de vie et cherche des partenaires responsables. Mais rien ne se fait. Alors, il renonce et achète une petite maison dans le Berry qu'il fait rénover et y habite. Fini Paris, fini l'Espace, fini les illusions, … Il renoue avec la nature, mais aussi ses racines et sa famille. Une occasion s'offre à lui de se rendre utile. Sa sœur Odette vient de quitter son mari, alcoolique, infidèle et sans doute violent. Elle échoue dans un petit HLM, elle qui a toujours vécu dans une ferme et à besoin de jardiner… Il sait qu'elle est en danger. Sous régime de la communauté tant que le divorce n'est pas prononcé, elle ne peut habiter une petite maison avec jardin qui correspond exactement à ses rêves. David lui propose de l'acheter à sa place. Odette le remercie en pleurant pour cet acte que ni ses enfants, ni nos frères et sœurs n'ont pensé à faire. Cela a comme conséquence de faire réfléchir toute la famille et les membres vont commencer à partager, ce qui ne se faisait jamais. L'amour commence enfin à circuler dans la famille. 

2005 : Il va à la Réunion rejoindre une femme rencontrée sur internet. L'horreur au bout de 2 jours … Il loue alors une voiture pour faire du tourisme en attendant son retour. La 1ère personne à qui il parle lui indique un lieu tenu par des indiens ou dit il on fait du Yoga. En fait, il s'agit de l'Ashram d'AMMA. A son arrivée, le Swami qui dirige l'ashram est sur le pas de la porte et semble l'attendre. Ils passeront tout l'après midi ensemble.  Il se sent accueilli. Rapidement, il va en Inde à l'ashram d'AMMA.

L'Inde le happe dès son arrivée et l'entraîne dans sa vibration si particulière. Dès la sortie de l'aéroport, il se sent chez lui, est émerveillé par ses contrastes permanents : l'agitation, le bruit et le calme intérieur, la saleté et la beauté, les couleurs, la mousson qui s'abat subitement, fortement et qui s'arrête de façon aussi imprévisible. Son mental lâche, la circulation des voitures devient un ballet. Tout devient motif à méditation et à contemplation.

L'Afrique lui donne  aussi des occasions de tester sa capacité de don.  Par internet toujours, il  rencontre Véronique, une  camerounaise. Il va la voir et est accueilli comme un envoyé de Dieu. Véronique habite un bidonville à Yaoundé, une baraque en bois de 7 m2 dans laquelle ils vivent à 5 avec sa mère, ses 2 frères et son enfant. Un robinet collectif à 20 m, idem pour les WC. Les eaux usées circulent entre les baraques distantes d'a peine 1m. Et pourtant quel accueil, quelle chaleur , quel soutien dans cette famille et dans ce cloaque. Quelle foi également. On ne manque pas de prier Dieu pour le remercier du peu qu'ils ont et pour lui demander soutien. L'égo de David prend une grande claque. Il  se sent si égoiste  … David ne se mariera pas avec Véronique mais il retournera plusieurs fois au Caméroun pour tenter de mettre en place une structure de commerce équitable . Il enverra surtout beaucoup d'argent, régulièrement pendant 5 ans, pour subvenir aux besoins de la famille, payer les frais de scolarité des 2 frères et de l'enfant et aussi acheter un petit commerce pour Véronique pour  qu'ils soient autonomes rapidement.   Ils abuseront de lui, mais bon , il a l'impression d'avoir les enfants qu'il n'a jamais eu.

A l'ashram d'AMMA, AMMA le confronte à ses problématiques. Ses vieux schémas et scénarios resurgissent. AMMA passe à côte de lui sans un signe, ne répond pas à ses questions. Elle ne l'aime pas c'est sûr et le manipule, s'amuse avec lui. Il fera 4 voyages en Inde, le dernier en 2009. Un  jour, il se place sur le chemin  et répète intérieurement avec force " J'ai besoin de partager l'amour, j'ai besoin de partager l'amour … " AMMA passe à coté de lui, comme d'habitude, sans un regard. Quelques mètres plus loin, elle se retourne, plonge son regard dans celui de David et il entend : " J'ai entendu ta demande ".  Enfin, elle l'a remarqué et regardé mais si elle a entendu sa demande, cela ne signifie pas pour ça qu'elle va y accéder. Il lui demande aussi de lui préparer un retour tranquille en France et d'avoir désormais une vie sans souci. A son retour à Paris, il trouve sa voiture cassée. L'électricité a été coupée pendant son voyage et tout est pourri dans son grand congélateur qui regorgeait des bons légumes de son jardin et de plats cuisinés avec amour. Au-delà du préjudice somme toute bénin, il y voit la réponse d'AMMA. Quelque chose est casse, Il range toutes les photos d'AMMA dans une armoire. Que veut elle lui dire ?, il ne comprend pas. Est il  banni, abandonné de Dieu ??? Ne peut il pas échapper à ce karma de vivre la frustration d'amour, comme lui avait décrit cette voyante ? Qu'a-t-il fait pour mériter pareille injustice ? Tant de questions sans réponse.

2007 : David achète une grande maison pour la rénover et y faire des appartements pour compléter une retraite prochaine qui sera, il le sait, plutôt famélique. La rénovation de cette maison qu'il va réaliser en grande partie va être une expérience particulièrement intéressante qu'il va vivre comme une expérience spirituelle,  comme un franc maçon. Il lui faut se confronter au réel, à la matière, à l'assemblage des poids, des masses, des forces, des matériaux …  Impossible de tricher. Il fait sien ce proverbe chinois qui dit : " tu seras un homme sage quand tu auras construit une maison, fait un jardin et écrit un livre ".

1er janvier 2010 : Il est à la retraite. Sa maison est presque finie, le jardin produit de beaux légumes et commence à fleurir. Que va-t-il faire de sa vie ???  penser à lui ?, trouver l'amour ?,  des voyages ? continuer  sur le chemin spirituel ? Trouver le sens de tout ce qui fait sa vie.  Il sait une chose: il ne veux plus lutter et n'insistera plus. Il est prêt à renoncer. Ses idées sont parfois noires. Sans doute, il ne partagera jamais l'amour, ce qu'il vit comme l'échec de sa vie. Il partira sans doute seul, sans que quelqu'un se soit vraiment intéressé à lui.

Prêt aussi à se laisser aller, à s'abandonner. A s'abandonner à Dieu présent dans le souffle du vent, le chant d'un oiseau, la beauté d'une fleur, le déferlement d'une vague. Présent dans un regard posé avec compassion, dans l'effleurement de 2 âmes, dans le temps suspendu d'une rencontre.  Présent dans le cri de révolte, la tension de celui qui se débat, le merci d'une âme reconnaissante, la ferveur d'une prière. En fait Dieu est partout, il suffit de s'ouvrir.

Il se laissa aller à Dieu de plus en plus souvent. Un jour, il traversait une rue d'une petite ville indienne. Il pensait à Dieu. Une voiture le percuta et son âme instantanément s'éleva loin, loin, sans même un regard vers ce qui fut trop longtemps son enveloppe corporelle. Comme si elle attendait cela depuis très longtemps.  On brula son corps et ses cendres furent dispersées.